Du régime scientifique des sciences sociales
Décidément, les pièges du positivisme et du relativisme continuent à s’ouvrir, béants, devant les chercheurs en sciences sociales, génération après génération. Tenir une route qui évite ces deux dangers n’est pas toujours chose facile. Face à l’ambition (illusoire) des uns de produire des lois au même titre que les sciences dites « dures », face à l’abandon (déplorable) par les autres de tout projet véritablement scientifique, il faut relire l’ouvrage majeur de Jean-Claude Passeron Le raisonnement sociologique, le meilleur traité d’épistémologie des sciences sociale à ce jour, qui décrit les exigences et les difficultés de la spécificité des sciences sociales[1].

Oui, les sciences sociales relèvent d’une exigence scientifique, et entendent produire des énoncés plausibles sur des échantillons plus ou moins étendus du monde social (des bouts d’espace-temps, à périmètres et à durée variables). Non, elles ne sont pas pour autant en mesure de proférer des règles universelles, elles ne relèvent pas du régime poppérien de la falsification, propre aux sciences expérimentales, mais d’un régime qu’on pourrait appeler « wébérien » de la plausibilité, en tant que sciences de part en part historiques, autrement dit toujours dépendantes de contextes historiques particuliers. L’histoire dont il s’agit est bien sûr celle des hommes en société.
Une lecture critique du récent article de Bernard Lahire permet de faire le point sur la situation actuelle des sciences sociales[2]. Ce texte a en effet le mérite de mêler des énoncés incontestables, qui relèvent de fondamentaux des sciences sociales, en s’opposant à juste titre à diverses dérives ou impasses contemporaines, et des énoncés éminemment contestables, animés par la nostalgie des ancêtres fondateurs (Karl Marx ou Emile Durkheim par exemple, admirables généralistes de bureau), et leur rêve de fonder une science nouvelle de l’humanité qui rejoindrait les sciences naturalistes. Faire le tri dans les arguments de Lahire est