Tunisie : la « démocratisation » ou l’oubli organisé de la question sociale
Sept ans après la révolution tunisienne, les mouvements de protestation dénonçant les conditions de vie, la vie chère, la marginalisation des régions de l’intérieur et du sud, l’exclusion de pans entiers de la population, les violences policières, l’indignité des traitements par l’administration, et la corruption peuvent donner l’impression que « tout a changé pour que rien ne change » et justifier les discours de désenchantement et de retour à l’ancien ordre. Les analyses fleurissent d’ailleurs, dénonçant les blocages de l’économie qui nourriraient les revendications sociales et fragiliseraient la démocratie, annonçant le retour des caciques du régime Ben Ali au nom d’un besoin urgent de compétences réformatrices, préconisant une reprise en main sécuritaire pour prévenir désordre et anarchie, meilleurs terreaux pour le terrorisme, ou louant l’union nationale enfin réalisée, seule stratégie capable de protéger la société contre l’extrémisme et de mener à bien les réformes économiques. La parenthèse révolutionnaire serait-elle en train de se refermer ? Ou au contraire, la Tunisie, « unique rescapée des printemps arabes » persisterait-elle dans son être, celui de l’« exception » et du « modèle », désormais démocratique à défaut d’être économique ?
Omniprésence des débats identitaires et discussions sur la place de la religion dans la vie politique ont caractérisé les premiers moments révolutionnaires. Aussi étonnant et dommageable que cela ait pu être au regard des mots d’ordre de la révolution, cet « oubli » de la question sociale s’explique aisément : c’est autour des questions identitaires et religieuses que se sont joués les rapports de force et qu’ont pris forme les recompositions politiques. Les gouvernements qui se sont succédés entre 2011 et 2014 ont été incapables de prendre à bras le corps les délicates questions d’égalité, de citoyenneté et de redistribution des richesses, absorbés qu’ils étaient par les débats autour de la future Constitution