Politique

Le progressisme, work in progress

Philosophe

À une époque où l’idée de Progrès semble bien battue en brèche, le retour du mot « progressisme » a de quoi frapper. Au-delà du paradoxe, il s’agit d’analyser ce que cette tendance dit de notre rapport au temps et au monde. Si l’avenir est en crise, il faut aussi tenter de repérer les contre-feux qui tentent de s’inventer et les directions suivies par celles et ceux qui entendent au présent réarmer leur progressisme.

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Le mot de « progressisme » s’est discrètement installé dans le débat public : tel article signale, ici, le « renouveau du progressisme américain » consécutif à l’élection de Donald Trump ; tel directeur éditorial entend, , consacrer les colonnes du magazine qu’il pilote à « faire dialoguer les sensibilités du camp progressiste » ; telle femme politique devenue directrice de collection explique, ailleurs, qu’il s’agira pour elle de documenter « les batailles culturelles du progressisme ». La fortune récente du terme tient, comme souvent, à la manière dont il en remplace d’autres, devenus impraticables dans un espace où les frontières politiques peinent à se formuler – l’anglais « liberal » se traduit malaisément, l’invocation du socialisme suscite d’infinies querelles. C’est aussi que se dire progressiste revient à promouvoir, dans la lecture des enjeux sociaux et culturels, des polarités alternatives à celles de l’affrontement droite / gauche : soit que l’on se veuille adversaire des conservatismes (et le mot permet alors de donner du lustre à l’appel, en lui-même guère neuf, à remettre en mouvement une société bloquée) ; soit que l’on entende reprendre l’initiative face à la percée des discours réactionnaires, déclinistes et identitaires, discours auxquels on n’entend ni céder le droit de définir la direction du mouvement collectif, ni abandonner l’aspiration à aller mieux, quitte à se situer un peu crânement à contre-courant de l’époque.

Le paradoxe veut, toutefois, que cette nouvelle jeunesse du progressisme et l’usage retrouvé de ce mot entraînant interviennent dans un moment, le nôtre, où la confiance dans le progrès est devenue introuvable : depuis des années déjà, la critique de l’idée de progrès et de ses corrélats a quitté le champ clos du débat sur les métaphysiques de l’histoire, pour s’imposer comme l’horizon dans lequel nous sommes commis à vivre. C’est là affaire moins d’options philosophiques ou politiques que de sensibilité immédiate


[1] H. Rosa, Accélération – une critique social du temps, La Découverte, 2011. p. 337.

[2] J. Derrida, J. Habermas, Le “Concept” du 11 septembre – dialogues à New-York (octobre-décembre 2011), Galilée, 2004.

[3] B. Latour,  Face à Gaïa – Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, 2016. p. 15.

[4]  J. Bouveresse, Le Mythe moderne du progrès, Agone, 2017. Une version antérieure de cette conférence est disponible en ligne ici.

[5] F. Hartog, Régimes d’historicité – Présentisme et expérience du temps, Seuil, 2003.

[6] B. Latour, Face à Gaïa – Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, 2016. p. 268.

[7] Pour reprendre la périodisation traditionnelle du progressisme politique que rappelle, notamment, A. O. Hirschmann, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Fayard, 1991, p. 14.

[8] B. Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ?, La Découverte, 2017.

[9] P. Macherey, S’orienter, Kimé, 2017.

[10] M. Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ?», Dits et écrits, t. IV, p. 564.

[11] Cité par G. Agamben, Le Temps qui reste : un commentaire de l’Épître aux Romains, Rivages, 2000. p. 46.

[12] Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte, 2017 ; Rutger Bredman, Utopies réalistes, Seuil, 2017.

 

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Politique

Notes

[1] H. Rosa, Accélération – une critique social du temps, La Découverte, 2011. p. 337.

[2] J. Derrida, J. Habermas, Le “Concept” du 11 septembre – dialogues à New-York (octobre-décembre 2011), Galilée, 2004.

[3] B. Latour,  Face à Gaïa – Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, 2016. p. 15.

[4]  J. Bouveresse, Le Mythe moderne du progrès, Agone, 2017. Une version antérieure de cette conférence est disponible en ligne ici.

[5] F. Hartog, Régimes d’historicité – Présentisme et expérience du temps, Seuil, 2003.

[6] B. Latour, Face à Gaïa – Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, 2016. p. 268.

[7] Pour reprendre la périodisation traditionnelle du progressisme politique que rappelle, notamment, A. O. Hirschmann, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Fayard, 1991, p. 14.

[8] B. Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ?, La Découverte, 2017.

[9] P. Macherey, S’orienter, Kimé, 2017.

[10] M. Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ?», Dits et écrits, t. IV, p. 564.

[11] Cité par G. Agamben, Le Temps qui reste : un commentaire de l’Épître aux Romains, Rivages, 2000. p. 46.

[12] Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte, 2017 ; Rutger Bredman, Utopies réalistes, Seuil, 2017.