Le progressisme, work in progress
Le mot de « progressisme » s’est discrètement installé dans le débat public : tel article signale, ici, le « renouveau du progressisme américain » consécutif à l’élection de Donald Trump ; tel directeur éditorial entend, là, consacrer les colonnes du magazine qu’il pilote à « faire dialoguer les sensibilités du camp progressiste » ; telle femme politique devenue directrice de collection explique, ailleurs, qu’il s’agira pour elle de documenter « les batailles culturelles du progressisme ». La fortune récente du terme tient, comme souvent, à la manière dont il en remplace d’autres, devenus impraticables dans un espace où les frontières politiques peinent à se formuler – l’anglais « liberal » se traduit malaisément, l’invocation du socialisme suscite d’infinies querelles. C’est aussi que se dire progressiste revient à promouvoir, dans la lecture des enjeux sociaux et culturels, des polarités alternatives à celles de l’affrontement droite / gauche : soit que l’on se veuille adversaire des conservatismes (et le mot permet alors de donner du lustre à l’appel, en lui-même guère neuf, à remettre en mouvement une société bloquée) ; soit que l’on entende reprendre l’initiative face à la percée des discours réactionnaires, déclinistes et identitaires, discours auxquels on n’entend ni céder le droit de définir la direction du mouvement collectif, ni abandonner l’aspiration à aller mieux, quitte à se situer un peu crânement à contre-courant de l’époque.
Le paradoxe veut, toutefois, que cette nouvelle jeunesse du progressisme et l’usage retrouvé de ce mot entraînant interviennent dans un moment, le nôtre, où la confiance dans le progrès est devenue introuvable : depuis des années déjà, la critique de l’idée de progrès et de ses corrélats a quitté le champ clos du débat sur les métaphysiques de l’histoire, pour s’imposer comme l’horizon dans lequel nous sommes commis à vivre. C’est là affaire moins d’options philosophiques ou politiques que de sensibilité immédiate