Quand le capitalisme change de direction
Un rapport récemment publié par Oxfam France et le Basic confirme, s’il en était besoin, que la crise financière de 2008 n’a pas modifié les priorités de la gouvernance entrepreneuriale. Aujourd’hui comme hier, les entreprises du CAC 40 distribuent plus de deux tiers de leurs revenus en dividendes. L’importance des sommes consacrées à la rémunération du capital se traduit par une compression de la masse salariale mais aussi par la faiblesse des investissements pourtant requis pour pérenniser la compétitivité des firmes. Que tant de PDG gagent la reconnaissance de leur talent sur leur aptitude à répondre aux exigences de rentabilité immédiate formulées par les actionnaires atteste en outre de l’inefficience économique des politiques dites de l’offre – puisque, pour l’essentiel, le produit des avantages fiscaux et des allègements de cotisations sociales octroyés aux entreprises n’est pas réinvesti par leurs bénéficiaires.
Pour autant, à trop fixer leur attention sur l’indécente répartition de la valeur ajoutée qu’exposent les rapporteurs d’Oxfam et du Basic, les détracteurs du capitalisme financiarisé risquent de se tromper de cible. On sait en effet que, parmi les prédateurs les plus redoutables de l’économie mondiale, d’aucuns – tels Amazon, Google et Facebook – se montrent particulièrement rétifs au versement de dividendes. Jeff Bezos et ses émules ne sont certes pas moins soucieux du bonheur de leurs actionnaires que leurs collègues plus dispendieux. Reste que, pour les uns comme pour les autres, le véritable objectif ne consiste pas à rémunérer généreusement le capital mais bien à susciter son appréciation. Or, il ne s’agit pas là d’une distinction secondaire – en particulier pour qui milite contre l’hégémonie de la finance. Car le capitalisme ne sera pas le même selon que les managers veillent en priorité au crédit de l’entreprise dont ils ont la charge ou qu’ils s’occupent seulement d’assurer des profits trimestriels conséquents à ses propriétaires.