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En Turquie, tous les chemins mènent au coup d’État (1/3)

Historien

Il y a presque deux ans, le 15 Juillet 2016, la Turquie a subi une tentative de coup d’état manqué. Acte de folie, cet événement a conféré au président Erdoğan un considérable pouvoir d’éradication de toutes sortes d’opposition. Deux ans après, au seuil des élections anticipées du 24 Juin, retour sur l’histoire de la dérive autoritaire turque.

Dupuy,  c’est ainsi qu’ils l’avaient baptisé, le petit chiot sauvé par les pompiers du fond d’un puits de prospection de soixante mètres de profondeur dans lequel il était tombé au cours des premiers jours de février, à Beykoz, sur les rives asiatiques du Bosphore, à Istanbul. L’affaire s’était déroulée pendant treize jours devant les caméras, et le suspens était tel que presque tout le pays était cloué devant les télévisions pour regarder les travaux de sauvetage en direct.

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La Turquie n’est pas un pays de contradictions, elle est la contradiction par excellence… Tout près du lieu de ce sauvetage héroïque, des travailleurs d’une mairie d’une autre petite commune d’Istanbul chassaient au fusil les chiens errants ; et un peu partout, dans le fin fond de l’Anatolie, des campagnes régulières d’empoisonnement et de gazage continuaient… C’est, en effet, une coutume très alla turca : la charité pour un (ou plusieurs) cas précis tandis qu’ailleurs, et aux yeux de tous, défilent les atrocités. Je dois l’avouer : c’est un pays bipolaire, hallucinogène, schizophrène.

Presque tous les voyageurs en Orient (Edmondo de Amicis, Chateaubriand, Flaubert, Nerval, Gautier, Loti et al.), ont chanté la douce liberté des chiens errants d’Istanbul, ô combien ils étaient heureux, ô combien étaient surprenantes les démonstrations continuelles d’affection des Turcs pour ces animaux ! Il y avait même des fondations pieuses pour ces vigiles urbani, ces gardiens robustes des quartiers ! Dans un livre riche et surprenant, l’écrivaine Catherine Pinguet nous raconte la fin de cet âge d’or : tout se gâta deux ans après la révolution de 1908. Vers le mois de juin 1910, entre 60.000 et 80.000 chiens furent enlevés puis déportés sur l’île d’Oxia, au large d’Istanbul, où, privés d’eau et de nourriture, ils s’entre-dévorèrent et moururent au grand malheur des habitants. C’était exactement cinq ans avant les premières déportations du génocide des Arméniens.

Faisons attention aux dates et aux ac


[1] Sur Ahmet Rıza, cf. la thèse de doctorat (sous la direction de F. Georgeon) non publiée d’Erdal Kaynar : Ahmed Rıza (1858-1930) Histoire d’un vieux Jeune Turc, EHESS, 2012, 897 p. Pour comprendre la période, il faut absolument consulter les ouvrages de Şükrü Hanioğlu, Young Turks in Opposition, Oxford University Press, 1995 et Preparation for a Revolution: The Young Turks, 1902–1908, Oxford University Press, 2001, entre autres.

[2] Ibrahim Temo, étudiant à l’École de Médecine est l’un des cinq fondateurs de l’organisation secrète qui allait devenir le CUP, fut informé de ce mode d’organisation maçonnique secrète au cours d’un voyage à Naples. Le candidat était reçu par trois membres masqués du CUP et portant une pèlerine. Il devait prêter serment en posant la main successivement sur le Coran et sur un pistolet. On ne pouvait pas quitter le CUP tant qu’on était en vie. On attribuait aux membres un numéro de rang dans une cellule définie. Par exemple, Temo était le no. 1 de la première cellule.

[3] Berthe Georges-Gaulis publie sa Nouvelle Turquie en 1924 (Librairie Armand Colin), tandis que Ahmet Insel publiera une autre Nouvelle Turquie, celle d’Erdoğan en 2015 (La Découverte).

[4] A l’aube du 31 mai 2010, les commandos israéliens avaient abordé par hélicoptère et dans les eaux internationales, le Mavi Marmara, navire amiral d’une flottille islamiste partie pour briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Les commandos avaient ouvert le feu, tuant neuf militants et faisant de nombreux blessés. La flottille avait été affrétée par l’ONG turque IHH (la Fondation d’aide humanitaire), une organisation islamiste proche du gouvernement turc et du Hamas palestinien.

[5] Car ce coup d’État égyptien avait eu lieu tandis qu’Erdoğan affrontait le plus grand soulèvement de l’histoire Turque, Gezi. Les événements avaient commencé au parc du Gezi, à Istanbul, la nuit du 31 mai 2013. Initialement mené par des écologistes et des riverains qui s’opposaient à la destruction du

Levent Yilmaz

Historien, Professeur d'histoire intellectuelle et culturelle

Notes

[1] Sur Ahmet Rıza, cf. la thèse de doctorat (sous la direction de F. Georgeon) non publiée d’Erdal Kaynar : Ahmed Rıza (1858-1930) Histoire d’un vieux Jeune Turc, EHESS, 2012, 897 p. Pour comprendre la période, il faut absolument consulter les ouvrages de Şükrü Hanioğlu, Young Turks in Opposition, Oxford University Press, 1995 et Preparation for a Revolution: The Young Turks, 1902–1908, Oxford University Press, 2001, entre autres.

[2] Ibrahim Temo, étudiant à l’École de Médecine est l’un des cinq fondateurs de l’organisation secrète qui allait devenir le CUP, fut informé de ce mode d’organisation maçonnique secrète au cours d’un voyage à Naples. Le candidat était reçu par trois membres masqués du CUP et portant une pèlerine. Il devait prêter serment en posant la main successivement sur le Coran et sur un pistolet. On ne pouvait pas quitter le CUP tant qu’on était en vie. On attribuait aux membres un numéro de rang dans une cellule définie. Par exemple, Temo était le no. 1 de la première cellule.

[3] Berthe Georges-Gaulis publie sa Nouvelle Turquie en 1924 (Librairie Armand Colin), tandis que Ahmet Insel publiera une autre Nouvelle Turquie, celle d’Erdoğan en 2015 (La Découverte).

[4] A l’aube du 31 mai 2010, les commandos israéliens avaient abordé par hélicoptère et dans les eaux internationales, le Mavi Marmara, navire amiral d’une flottille islamiste partie pour briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Les commandos avaient ouvert le feu, tuant neuf militants et faisant de nombreux blessés. La flottille avait été affrétée par l’ONG turque IHH (la Fondation d’aide humanitaire), une organisation islamiste proche du gouvernement turc et du Hamas palestinien.

[5] Car ce coup d’État égyptien avait eu lieu tandis qu’Erdoğan affrontait le plus grand soulèvement de l’histoire Turque, Gezi. Les événements avaient commencé au parc du Gezi, à Istanbul, la nuit du 31 mai 2013. Initialement mené par des écologistes et des riverains qui s’opposaient à la destruction du