En Turquie, tous les chemins mènent au coup d’État (1/3)
Dupuy, c’est ainsi qu’ils l’avaient baptisé, le petit chiot sauvé par les pompiers du fond d’un puits de prospection de soixante mètres de profondeur dans lequel il était tombé au cours des premiers jours de février, à Beykoz, sur les rives asiatiques du Bosphore, à Istanbul. L’affaire s’était déroulée pendant treize jours devant les caméras, et le suspens était tel que presque tout le pays était cloué devant les télévisions pour regarder les travaux de sauvetage en direct.
La Turquie n’est pas un pays de contradictions, elle est la contradiction par excellence… Tout près du lieu de ce sauvetage héroïque, des travailleurs d’une mairie d’une autre petite commune d’Istanbul chassaient au fusil les chiens errants ; et un peu partout, dans le fin fond de l’Anatolie, des campagnes régulières d’empoisonnement et de gazage continuaient… C’est, en effet, une coutume très alla turca : la charité pour un (ou plusieurs) cas précis tandis qu’ailleurs, et aux yeux de tous, défilent les atrocités. Je dois l’avouer : c’est un pays bipolaire, hallucinogène, schizophrène.
Presque tous les voyageurs en Orient (Edmondo de Amicis, Chateaubriand, Flaubert, Nerval, Gautier, Loti et al.), ont chanté la douce liberté des chiens errants d’Istanbul, ô combien ils étaient heureux, ô combien étaient surprenantes les démonstrations continuelles d’affection des Turcs pour ces animaux ! Il y avait même des fondations pieuses pour ces vigiles urbani, ces gardiens robustes des quartiers ! Dans un livre riche et surprenant, l’écrivaine Catherine Pinguet nous raconte la fin de cet âge d’or : tout se gâta deux ans après la révolution de 1908. Vers le mois de juin 1910, entre 60.000 et 80.000 chiens furent enlevés puis déportés sur l’île d’Oxia, au large d’Istanbul, où, privés d’eau et de nourriture, ils s’entre-dévorèrent et moururent au grand malheur des habitants. C’était exactement cinq ans avant les premières déportations du génocide des Arméniens.
Faisons attention aux dates et aux ac