Société

La sécurité, vieille lubie ou nécessité dans un monde de plus en plus incertain ?

Sociologue, Sociologue

Presque devenue synonyme d’ordre public, la sécurité tend à perdre l’acception qui renvoie à la protection de la cohésion sociale et des libertés individuelles. Les nouvelles oppositions entre enjeux globaux et nationaux, et la tendance grandissante au chacun pour soi qui ouvre la voie au marché, bousculent la Sécurité sociale, et invitent à interroger ses principes et modes d’organisation, pour qu’elle reste à l’image de ce que Pierre Laroque, son fondateur, souhaitait, « une création continue ».

La notion de sécurité tend aujourd’hui, dans le discours politique et journalistique, à être réduite à son sens « sécuritaire ». Le mot est devenu quasiment synonyme d’ordre public matériel. La peur de l’autre, le thème de l’immigration et bien sûr la menace des attentats en particulier ont largement contribué à promouvoir cette acception limitée. Or, c’est oublier que la sécurité est un besoin immuable, constant, qui concerne à l’évidence d’autres dimensions de la vie des hommes en société.

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La myopie qui prévaut aujourd’hui concernant l’usage restrictif de la notion est préjudiciable à une appréhension de la sécurité comme condition à la fois d’une pleine liberté individuelle et de la cohésion sociale. Et ce à fortiori dans un contexte où la permanence des inégalités et de la pauvreté rendent d’autant plus nécessaire de s’affranchir d’une telle vision étriquée. Les mobilisations de ces dernières semaines suffiraient à l’attester.

La sécurité est en effet indissociable de la protection dans toutes ses dimensions : politique, économique et sociale. Telle fut très tôt la conviction fondamentale de celui qui allait attacher son nom à la création de la Sécurité sociale. Dès 1930, jeune conseiller d’État, Pierre Laroque dont l’histoire a essentiellement retenu le rôle dans la création de cette institution, pose le besoin de sécurité dans les rapports sociaux comme une exigence de paix et de justice sociales. Les assurances sociales à l’application desquelles il participe (lois de 1928-1930) constituent une première avancée dans la protection des travailleurs les plus vulnérables contre certains aléas de la vie.  Quelques années plus tard, dans le cadre du Conseil national économique il rédigera un rapport sur les conventions professionnelles [1] ; son objectif est de réduire l’arbitraire patronal dans un contexte où le déséquilibre de pouvoirs entre employeurs et employés se solde par la négation de toute liberté de ces derniers. Pour Pierre Laroque, en effe


[1] Les conventions collectives de travail, rapport présenté à la session du CNE du 30 novembre 1934.

[2] « Le « père » de la Sécu se prononce pour un prélèvement social généralisé », interview donnée au Quotidien du médecin, 6 janvier 1989. Cependant, on peut légitimement penser qu’il aurait été opposé au processus de fiscalisation actuel qui remet en cause les principes mêmes de la Sécurité sociale (voir Anne-Claire Dufour, « La poursuite assumée de la fiscalisation de la Sécurité sociale », Revue de Droit sanitaire et social, nov.-déc. 2017, p.983-992).

[3] Article pour le Bulletin de la direction régionale de Strasbourg, daté du 22 juin 1948, AN 20030430/56.

[4] Hors des Affections de Longue Durée et hospitalisations qui sont quasi totalement prises en charge.

[5] Elisa Chelle, « La complémentaire santé comportementale : un nouveau logiciel assurantiel ? », RDSS, juil.-août 2018, p. 674-686.

[6] Christophe Willmann, « Le compte personnel d’activité : être et avoir », Droit social, n°10, oct. 2016, p. 814.

[7] « Sous l’œil de son fondateur, la Sécurité sociale », Réforme, 28 nov. 1987.

Colette Bec

Sociologue, professeur émérite de sociologie, Université Paris Descartes, membre du Lise (CNAM-Cnrs)

Yves Lochard

Sociologue, Chercheur à l'IRES

Notes

[1] Les conventions collectives de travail, rapport présenté à la session du CNE du 30 novembre 1934.

[2] « Le « père » de la Sécu se prononce pour un prélèvement social généralisé », interview donnée au Quotidien du médecin, 6 janvier 1989. Cependant, on peut légitimement penser qu’il aurait été opposé au processus de fiscalisation actuel qui remet en cause les principes mêmes de la Sécurité sociale (voir Anne-Claire Dufour, « La poursuite assumée de la fiscalisation de la Sécurité sociale », Revue de Droit sanitaire et social, nov.-déc. 2017, p.983-992).

[3] Article pour le Bulletin de la direction régionale de Strasbourg, daté du 22 juin 1948, AN 20030430/56.

[4] Hors des Affections de Longue Durée et hospitalisations qui sont quasi totalement prises en charge.

[5] Elisa Chelle, « La complémentaire santé comportementale : un nouveau logiciel assurantiel ? », RDSS, juil.-août 2018, p. 674-686.

[6] Christophe Willmann, « Le compte personnel d’activité : être et avoir », Droit social, n°10, oct. 2016, p. 814.

[7] « Sous l’œil de son fondateur, la Sécurité sociale », Réforme, 28 nov. 1987.