Santé

Les maisons de santé sont-elles la panacée ?

Sociologue

Réduction des offres de soins, désertification médicale et saturation des urgences : les inégalités territoriales d’accès à la santé ne cesse d’augmenter. Pour pallier ce problème, des modes d’organisation collectives émergent et rassemblent différents professionnels de la santé. Ces maisons de santé, qui s’inscrivent dans le champ des politiques locales mais restent dépendantes de l’initiative privée, peuvent-elles s’avérer une solution ?

La santé n’a pas vraiment fait partie des questions que le président de la République avait décidé d’aborder dans le cadre de son Grand Débat avec les français. Elle n’est cependant pas restée très longtemps à la porte car les témoignages et préoccupations des Français ont conduit les problématiques de l’accès, de la continuité et de la qualité des soins à être posées : fermetures de maternité, territoires à l’abandon, dégradation des conditions de travail pour les soignants, etc. Autant d’enjeux vitaux sur lesquels les français ont exprimé leurs inquiétudes.

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L’offre de soins se réduit pour diverses raisons et la désertification médicale est à l’œuvre dans plusieurs territoires. Les fermetures de lits dans les services hospitaliers soumis à la T2A (tarification à l’activité) amoindrissent les capacités d’accueil. Au-delà d’un problème d’offre, c’est aussi un problème d’organisation du système qui est apparu : le cloisonnement entre médecine hospitalière et médecine de ville par exemple ne permet pas des prises en charges coordonnées. Par ailleurs, le monde de la santé voit émerger de nouvelles pratiques professionnelles qui rendent acceptable l’exercice à temps partiel de la médecine.

Face à ces constats, des formes d’organisation des soins de premier recours se développent pour organiser l’accès à des soins en ville et constituer une alternative à l’hospitalisation en permettant un moindre recours aux urgences. Parmi ces formes d’organisation des soins, les « maisons de santé pluri-professionnelles », reconnues légalement en 2008 regroupent des médecins généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes, pharmaciens et autres professions. Elles ouvrent à ces professionnels libéraux un mode d’exercice collectif et coordonné de la médecine. Plébiscitées par le candidat Macron en 2017 comme par les autres prétendants à l’élection présidentielle, ces structures apparaissent comme une réponse à un certain nombre des enjeux d’accès aux soins de santé mais aussi de lutte contre le délaissement territorial.

Derrière la question des structures, c’est celle du soin qui est posée et de la capacité du système à s’adresser aux patients dans toute leur complexité.

Le plan Santé du président de la République vise l’objectif que l’exercice isolé se réduise progressivement pour devenir – ce sont ses termes – « une aberration » en 2022, que les hôpitaux de proximité puissent offrir une graduation des soins et l’accès à des filières mieux coordonnées. Au moment où les missions des futurs hôpitaux de proximité de dessinent, la place des structures regroupées déjà existantes se pose alors. Une pléthore de structures existe, ce qui pose la question de leur intégration : centres de santé, maisons médicales, mini-cliniques et maisons de santé pluri-professionnelles peuvent-elles se couler dans une organisation territoriale qui améliorerait la qualité de la prise en charge du patient ?

Derrière la question des structures, c’est celle du soin qui est posée et de la capacité du système à s’adresser aux patients – et donc aux personnes – dans toute leur complexité. Les maisons de santé pluri-professionnelles mettent le soin avant la structure, au sens où elles développent l’inter-professionnalité des soignants et de la coordination des soins, même si les professionnels ne sont pas regroupés en un même lieu. Bien que peu nombreuses et implantées de manière non uniforme sur le territoire, les maisons de santé proposent un mode d’exercice libéral qui reconfigure en profondeur l’activité médicale. Leurs projets de santé remettent au centre des principes d’action de la médecine sociale fondés sur la prise en compte du patient dans sa globalité, les prises en charge à domicile (quand se rendre chez le patient se fait de plus en plus rare), l’accueil des stagiaires, le refus des dépassements d’honoraires et le soin aux personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle.

Si 1 000 structures sont comptabilisées comme en fonctionnement en 2018 par l’observatoire des maisons de santé mis en place par la Direction Générale de l’Organisation des Soins, l’essor des maisons de santé pluri-professionnelles est présenté par ses promoteurs comme la solution au problème public des inégalités territoriales et sociales de santé et une réponse possible à la « crise » dans l’accès et la continuité des soins primaires en France.

La Fédération française des maisons et pôles de santé joue un rôle actif de groupe d’intérêt dans la mesure où elle se positionne comme un « entrepreneur de cause » dans la construction d’une réponse « clé en main » au problème public posé. La dynamique de mobilisation collective de la fédération en faveur d’une nouvelle organisation des soins primaires donne à voir que des acteurs issus du terrain s’organisent pour anticiper et proposer des solutions possibles pour les pouvoirs publics.

En considérant que la reconnaissance d’un problème se joue dans l’espace public, le discours de la fédération française des maisons et pôles de santé s’est transformé progressivement pour s’adresser au plus grand nombre.

L’entreprise de cause lui sert à convaincre l’ensemble des professionnels de santé des avantages à exercer au sein, ou à côté, de ce type d’organisations d’exercice regroupé. Afin d’apparaître comme le porte-parole légitime des maisons de santé, la Fédération des maisons de santé pluri-professionnelles a en effet construit et stabilisé un discours pour convaincre de la pertinence de l’offre de ce type de structure. Elle a cherché à persuader d’autres professionnels de se rallier aux modes d’exercice collectifs qu’elle promeut, en communiquant largement sur les conditions de travail, ou en fournissant des ressources pour aider des soignants à développer leur propre maison de santé.

Elle a également pour vocation de convaincre les plus réfractaires qu’ils ont intérêt à laisser cette offre trouver une place dans l’organisation du système de santé. Pour produire ce récit donnant du sens à ce modèle de soin, les membres de la Fédération se positionnent dans le débat d’experts comme les détenteurs de l’argument d’autorité et du vécu sur le terrain, puisque même les plus politisés continuent à soigner pour conserver la légitimité donnée par le fait d’exercer auprès de patients.

En considérant que la reconnaissance d’un problème se joue dans l’espace public, le discours de la fédération s’est transformé progressivement depuis 2008 (date de la création de cette association) pour s’adresser au plus grand nombre. La médiatisation croissante des « maisons de santé » peut être mesurée à partir de la base Europress et du nombre de documents (articles, dépêches, documents de presse) ayant les mots-clés « maisons de santé » dans le corps de leurs articles. Leur nombre augmente régulièrement au cours de la dernière décennie.

L’officialisation de la « maison de santé » comme structure de soins ayant, à partir de 2008, une définition posée dans le Code de la santé publique, puis une reconnaissance explicite dans la loi HPST constitue une étape importante de leur médiatisation. Cette dernière se poursuit en 2011, grâce à la loi Fourcade et la création de la structure juridique dédiée. Lancé en juin 2013 par le ministère du Logement et de l’Égalité des Territoires, le Pacte « territoire santé » leur a offert encore une visibilité supplémentaire en encourageant l’organisation des soins en équipe pluri-professionnelle par le lancement de nouveaux projets grâce à une rémunération forfaitaire d’équipe. Enfin, l’année 2016 a inscrit la notion d’« équipe de soins primaires » et l’instauration des « maisons de santé universitaires » dans la loi Touraine de « modernisation de notre système de santé », ce qui a donné une nouvelle occasion de faire connaître au grand public les maisons de santé.

La fédération des maisons de santé agit comme un groupe d’intérêt dans la mesure où elle persuade les financeurs et les partenaires, les tutelles et les collectivités territoriales, d’accompagner ces initiatives en tant que solution à leurs problématiques locales. Le travail en direction des élus consiste ainsi à leur fournir un argumentaire pédagogique en faveur des maisons de santé que les membres de la FFMPS adaptent en fonction des territoires.

Même si les tutelles soutiennent de plus en plus les maisons de santé, leur impulsion reste essentiellement dépendante du « bon vouloir » des professionnels de santé.

En zone rurale, l’ancien président de la FFMPS explique comment le fait de laisser le médecin généraliste rejoindre une maison de santé peut être bénéfique même si, à première vue, les localités y voient une perte : « Si des professionnels de santé quittent une commune pour créer un regroupement sur une autre commune proche, il sera nécessaire d’expliquer aux habitants de la commune quittée ce qu’ils gagnent en contrepartie de la perte de ce professionnel. La réponse est que ce regroupement va créer les conditions optimales d’une meilleure organisation et d’une meilleure accessibilité. Il permet d’assurer la continuité des soins par le partage d’information concernant les patients (sous réserve de leur accord). Il permet aussi une permanence des soins. Et, enfin, d’améliorer la qualité des soins par un exercice partagé et coordonné entre plusieurs professionnels. Si les habitants de la commune perdent en proximité, ils gagnent en accessibilité, permanence et qualité des soins. »

En zone urbaine, la FFMPS a identifié un frein à l’installation dans l’absence de locaux et la concurrence pour ceux disponibles avec d’autres offres de services, l’enjeu étant de « ne pas se faire piquer tous les emplacements par les banques ou un Carrefour Market ». Les installations des nouveaux médecins ne sont donc, pour ces professionnels de santé très impliqués, pas seulement des problématiques individuelles et pourraient – ou devraient, selon les points de vue politiques – être gérées collectivement.

Même si les tutelles soutiennent de plus en plus les maisons de santé, ces initiatives demeurant privées, leur impulsion reste essentiellement dépendante du « bon vouloir » des professionnels de santé. Les limites de cette solution – qui consiste à « accompagner » les professionnels de santé libéraux pour qu’ils organisent eux-mêmes le service public de santé – sont de deux ordres : d’une part, elle reflète l’absence de volonté et/ou de capacité à réguler le système par le haut — l’État n’ayant jamais été en mesure de contraindre les professionnels de santé.

D’autre part, elle peut entraîner des variations territoriales forte et une rupture d’égalité républicaine dans la mesure où les différentes manières d’organiser les services de soins de proximité selon les territoires, hétérogénéité propre au phénomène de déconcentration que connaissent les agences régionales de santé, peut de fait augmenter les inégalités au lieu de les réduire.

Les membres des maisons de santé, même marginaux car peu nombreux, peuvent-ils former un nouveau segment professionnel qui transforme l’équilibre entre les différents offreurs de soins ? La rhétorique de la crise et des « déserts médicaux » légitime leur organisation des soins et accroît le soutien des pouvoirs publics au développement d’un mode d’exercice médical de premier recours qui participe à maintenir des îlots d’accessibilité sanitaire sur le territoire.

Le projet de santé développé dans chacune des maisons comptabilisées par les agences régionales de santé donne corps au collectif en attribuant du sens au fait d’exercer en maison de santé. Il permet un partage des problématiques de santé avec les élus, les agences régionales de santé ou l’assurance-maladie pour une approche populationnelle de la santé et en fait une organisation pleinement ancrée sur son territoire. Sera-t-elle la réponse apportée aux préoccupations des Français pour offrir un service public de santé à la hauteur des besoins en termes d’accessibilité, de prises en charge de qualité, de coordination des soins dans un contexte d’augmentation de la dépendance, des maladies chroniques et de poly-pathologies ?


Nadège Vezinat

Sociologue, Maîtresse de conférence