Economie

Réforme de l’Assurance chômage : une lutte contre les chômeurs plus que contre le chômage

Economiste

La réforme de l’assurance-chômage promue par le gouvernement n’a pas pour principal objectif de faire baisser le chômage mais de dégager rapidement des économies. Côtés salariés, elle durcit considérablement les conditions d’octroi des allocations aux chômeurs ; côté entreprise, elle pénalise, par le biais des cotisations, le recourt abusif aux contrats courts. Mais loin d’être partagé, l’effort budgétaire sera en grande partie supporté par les chômeurs les plus précaires.

Depuis les annonces du Premier ministre du 18 juin, nous en savons un plus sur les nouveaux contours de l’Assurance chômage en France pour les années à venir. En attendant l’analyse détaillée des décrets, notons que, sans surprise, cette réforme s’inspire davantage de la lettre de cadrage envoyée en fin d’année 2018 par le gouvernement aux partenaires sociaux que du discours du Président devant l’Organisation internationale du travail à Genève le 11 juin dernier.

Une réforme pas forcément plus équitable ni plus incitative pour les chômeurs

Le premier axe de la réforme consiste à rendre notre système d’assurance chômage plus équitable et plus incitatif à la reprise d’un emploi. A cet égard, la proposition du gouvernement consiste à modifier le salaire de référence qui permet de calculer le montant de l’indemnisation du chômeur. Aujourd’hui, celle-ci est calculée en appliquant un taux de remplacement à un « salaire journalier de référence », c’est-à-dire en ne prenant en compte que les salaires perçus les jours effectivement travaillés au cours du mois.

En proposant de passer, à compter du 1er avril 2020, à une base mensuelle et non plus journalière pour évaluer ce salaire de référence, la proposition du gouvernement va dans la bonne direction et permettra notamment d’uniformiser les droits des chômeurs. En effet, en se basant sur le nombre de jours travaillés, le système actuel engendre deux écueils : d’une part, il rompt le principe d’égalité selon lequel « 1 euro cotisé ouvre les mêmes droits » puisqu’à salaire horaire équivalent, un chômeur ayant travaillé à mi-temps au cours de la période de référence aura une indemnité inférieure à celui qui aura travaillé à temps complet mais uniquement la moitié de la période. D’autre part, il peut générer une situation aberrante permettant dans certains cas de figure de gagner plus en alternant des périodes d’emploi et de chômage qu’en travaillant à temps complet. Si ce deuxième écueil est bien une réalité – observée aussi bien par Pôle emploi que par l’Unedic malgré des différences – qu’il convient de corriger, notons qu’il ne concerne que les salariés dit « en permittence », c’est-à-dire qui alternent périodes de travail et de chômage, que cela concerne à plus de 90 % des chômeurs qui touchent moins de 1 300 euros par mois – soit 30 % de moins que le salaire médian – et que ces derniers percevront moins longtemps qu’un autre chômeur leurs allocations.

Ne pas encourager ce type de pratique est un bon principe, et ce à plusieurs égards : pour les finances publiques d’abord avec près de 700 millions d’économies attendues, pour l’équité du système à travers des droits identiques pour chaque euro cotisé et enfin pour lutter contre la précarité de l’emploi. Car rappelons-le, ce statut de « permittence » n’est pas optimal pour un salarié : non seulement ces indemnités ne leur ouvrent aucun droit notamment à la retraite, et ce statut rend également plus difficile l’accès à la formation, à un crédit bancaire ou à un logement de qualité.

La seconde mesure est de rendre les indemnités des chômeurs les plus aisés dégressif dans le temps. Pour tous les allocataires âgés de moins de 57 ans, qui bénéficiaient d’un salaire supérieur à 4 500 euros bruts par mois (treizième mois inclus), le gouvernement instaurera dès le 1er novembre 2019 une dégressivité de 30 % sur leur indemnisation chômage à partir du 7e mois, avec un plancher d’indemnisation fixé à 2 261 euros nets. Cette mesure n’a pas de réelle justification économique.

Selon la littérature académique, le profit optimal des allocations est obtenu avec un système à droits constants. Des droits dégressifs seraient optimaux que sous des hypothèses extrêmes et généralement associés à une générosité très élevée du système d’allocation. A cet égard, les pays qui ont mis en place la dégressivité des allocations l’ont combiné avec une augmentation du taux de remplacement initial à un niveau supérieur à celui observé en France (Pays-Bas, Portugal, Espagne). La dégressivité crée par ailleurs des effets indésirables notamment lorsque celle-ci se concentre sur les plus qualifiés : d’une part, rappelons que cette catégorie étant plus rarement au chômage que les autres actifs, celle-ci « subventionne » déjà l’assurance chômage en contribuant plus qu’elle ne coûte. D’autre part, les auteurs de la seule évaluation empirique[1] menée pour la France suite à la mise en place d’allocations dégressives au cours des années 1992-1996, insistent fortement sur l’apparente capacité des chômeurs à haut revenu de manipuler la date de leur reprise d’emploi, tout en notant que leurs données ne permettent pas de juger la qualité ni la rémunération des emplois obtenus.

Il est fort à craindre que face à une forte dégressivité de leurs allocations, les demandeurs d’emplois les plus aisés acceptent alors des postes moins bien payés et sans rapport avec leurs qualifications. Outre le fait que cette mesure engendrerait une injustice pour cette catégorie qui ont déjà un effort contributif net positif, elle priverait d’autres chômeurs moins qualifiés d’un emploi correspondant à leur formation, annulant tout effet macroéconomique sur le chômage et ralentissant au total le retour à l’emploi.

En résumé, cette mesure n’a pas de justification économique sérieuse, s’apparente à un impôt nouveau pour cette catégorie de chômeurs, engendre inégalités et injustice, et constitue une rupture du contrat social républicain.

Contre l’utilisation abusif des contrats courts par les entreprises, le gouvernement reste au milieu du gué

Du côté des entreprises, la volonté du gouvernement est de lutter contre l’utilisation abusive des contrats courts. Cette volonté est louable : l’usage des contrats courts ne doit pas être bridé par principe, mais la théorie économique ne justifie pas qu’il soit débridé, en particulier si ces contrats sont toujours plus courts, dans des activités pérennes où la demande est stable, voire en expansion. Or, le développement des contrats courts est ininterrompu depuis près de 30 ans, et segmente inexorablement le marché du travail. Et en France, comme nous l’avons montré avec Bruno Coquet dans un rapport remis au Sénat en 2018, les contrats courts ne sont pas seulement ce trait de l’époque que l’on retrouve dans tous les pays semblables au nôtre, car il a été doublement favorisé par la réglementation et des stimuli économiques. Renouer avec un usage maîtrisé des contrats courts nécessite de rééquilibrer la réglementation et les incitations économiques, en s’appuyant davantage sur ces dernières.

Si les deux mesures proposées par le gouvernement – taxe forfaitaire de 10 euros sur chaque CDD d’usage et mise en place d’un bonus-malus sur les contrats courts- vont dans la bonne direction, on peut toutefois regretter que le gouvernement se soit arrêté au milieu du gué, laissant ce point de la réforme dans un état inachevé.

Concernant les CDD d’usage, rappelons que cette dérogation au CDD n’est autorisée que pour une vingtaine de métiers et une trentaine de conventions collectives. Or, comme l’a détaillé un rapport de l’IGAS de décembre 2015, 30 secteurs d’activité et 231 conventions collectives recrutent sous cette forme de contrats, représentant 150 000 salariés hors de toute liste réglementaire et conventionnelle. Pour accroître son efficacité et limiter significativement le recours abusif de ce type de contrat, la taxe forfaitaire aurait dû s’accompagner d’un renforcement des moyens pour faire respecter la loi en ce domaine.

Par ailleurs, pour lutter contre le développement rapide des contrats courts qui enferment les salariés concernés dans des situations de précarité, le gouvernement propose la mise ne place d’un bonus-malus pour les entreprises en fonction de leur comportement observé l’année précédente en matière de rupture de contrat de travail. Cette idée s’inspire de l’experience rating généralisée aux Etats-Unis depuis les années 80. Si cette annonce va globalement dans la bonne direction, elle nous semble comporter un grand nombre de faiblesses : tout d’abord, il est regrettable et peu justifiable économiquement de limiter ce bonus-malus à 7 branches d’activité, excluant de ce dispositif les deux tiers des contrats courts et notamment des secteurs très gourmands en CDD court comme la santé, le bâtiment ou les intermittents du spectacle.

Le problème à traiter ici n’est pas l’utilisation des contrats courts mais son recours abusif par certaines entreprises, la situation de précarité des salariés que ce comportement engendre et le coût qu’il fait peser sur l’Assurance chômage (9 milliards d’euros) et ce quel que soit son secteur d’activité. Pire, selon les modalités finalement retenues, cette mesure pourrait s’apparenter davantage à une taxe sectorielle qu’à une taxe sur les contrats courts. Le gouvernement a également décidé d’exonéré de cette mesure les entreprises de moins de 11 salariés, créant un nouvel effet de seuil alors qu’une franchise sur un nombre de contrats courts par entreprise aurait été préférable. Enfin, il est probable que l’instrument de la tarification comportementale de l’assurance chômage soit nécessaire, mais insuffisante : compte tenu de l’ampleur prise par le phénomène des contrats courts sous l’effet de nombreux déterminants, il y a bien peu de chances qu’un instrument aussi indirect que l’assurance chômage puisse à lui seul ramener l’usage des contrats courts à ce que commandent la théorie économique et la raison.

Nos travaux effectués avec Bruno Coquet indiquent une autre voie, celle des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires car, même si elles ne sont pas réservées aux contrats courts, leur ciblage sur les bas salaires, donc les emplois peu qualifiés, favorise de facto l’usage des contrats courts. Rendre la formule d’allégement dépendante de la durée du contrat apparaît ainsi comme un levier très efficace d’agir sur la durée des contrats, d’une puissance bien plus élevée que la tarification comportementale de l’assurance chômage.

Une économie budgétaire supportée par les chômeurs les plus précaires

Le dernier axe consiste à s’attaquer à la générosité du système. Parmi les mesures annoncées, deux ont pour principal objectif de dégager rapidement des économies et non de faire baisser le chômage. Il s’agit du durcissement de l’ouverture des droits et des conditions de rechargements de ces derniers : dorénavant il faudra avoir travaillé 6 moins sur les derniers 24 mois et non plus 4 mois sur les derniers 28 mois pour accéder à l’assurance chômage et avoir travaillé 6 mois au lieu d’1 pour voir son indemnisation prolongée d’autant.

Ces mesures de rendement – qui devraient permettre d’économiser près de 2,8 milliards d’euros sur les 3,4 milliards attendus par le gouvernement d’ici la fin du quinquennat – font peser les efforts d’économies principalement sur les chômeurs les plus précaires. Or d’autres sources d’économies auraient pu être envisagées : c’est le cas de la prise en charges par l’assurance chômage du financement de la politique de l’emploi (3,5 milliards d’euros), de l’indemnisation des travailleurs frontaliers (600 millions d’euros), des intermittents (1 milliard) et des intérêts sur la dette de l’Etat, dépenses qui relèvent plus de l’impôt que des cotisations.

Enfin, la soi-disant « générosité » du système français vient en contrepoint de la faiblesse des transferts publics. S’attaquer aux montants d’indemnisations des chômeurs en France revient plus qu’ailleurs à s’attaquer à la principale source de revenus de ces derniers. Car il est possible de choisir d’aller vers un système plus équilibré entre revenu provenant de l’Assurance chômage et revenu lié aux transferts de l’Etat. Mais ce passage d’un régime Bismarkien – assurantiel – vers un régime plus Beveridgien – universel – entamé par ce gouvernement avec la bascule des cotisations sociales salariales chômage vers la CSG, devrait alors être accompagné par la redistribution des économies réalisées sur les montants d’indemnisation chômage distribués en transferts sociaux en direction des chômeurs afin d’éviter de les enfermer dans une trappe à pauvreté. La motivation de la réforme ne serait plus budgétaire mais systémique.

 


[1] Dormont B., D. Fougere et A. Prieto (2001), « L’effet de l’allocation unique dégressive sur la reprise d’emploi », Économie et Statistique.

Éric Heyer

Economiste, Directeur adjoint au Département d'analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques

Notes

[1] Dormont B., D. Fougere et A. Prieto (2001), « L’effet de l’allocation unique dégressive sur la reprise d’emploi », Économie et Statistique.