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Retraites, un système social doit-il singer les placements financiers ?

Economiste

Annoncé au gouvernement ce mardi, le haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye a développé sa vision dans un rapport remis le 19 juillet 2019. Il y préconisait la mise en place d’un système universel de retraite, financièrement équilibré, à points, contributif selon le principe « un euro cotisé doit donner les mêmes droits ». Il devrait porter comme ministre une réforme qui rompt avec le système actuel, basé sur les principes de l’assurance sociale, et s’aligne sur le modèle par capitalisation.

L’objectif premier de la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron est de stabiliser (voire même de faire baisser) la part des retraites publiques dans le PIB. D’ici 2050, en raison de l’allongement de la durée de vie et la présence en retraite des cohortes nombreuses d’après-guerre, le ratio entre le nombre de retraités et celui des actifs doit augmenter de 25%, même avec des hypothèses favorables de recul de l’âge de la retraite. Maintenir le ratio entre retraite moyenne et salaire moyen nécessiterait de faire passer la part des retraites dans le PIB de 13,8 à 16,5%, donc d’augmenter progressivement les taux de cotisation. Comme les gouvernements précédents, le gouvernement actuel s’y refuse.

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Le rapport remis le 19 juillet dernier par le haut commissaire devenu depuis ministre chargé de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, préconise de maintenir la part des retraites dans le PIB, ce qui nécessite obligatoirement une baisse du niveau des retraites par rapport aux salaires, de l’ordre de 25% d’ici 2050. Dans les projections du COR (Conseil d’Orientation des Retraites), cette baisse était assurée dans le système actuel par l’indexation des salaires pris en compte et des retraites déjà liquidées sur les prix (et non sur les salaires). Dans le système préconisé, elle se fera par le niveau choisi pour la valeur de service du point, puis par la baisse de cette valeur. En 2050, les retraités figureront de nouveau dans les couches les plus pauvres de la population.

Dans le système préconisé, les cotisations achèteront des points, qui, cumulés au moment de la retraite, seront transformés en droit à pension, par une valeur de service du point. Au départ, 100 euros de cotisations donneront droit à 10 points, c’est le prix d’achat du point, puis à 5,5 euros de pension, pour un départ à l’âge du taux plein fixé à 64 ans, soit un taux de rendement de 5,5%. Les cotisations seront revalorisées comme le prix d’achat du point, mais il n’est pas garanti que ce prix augmentera bien comme le salaire moyen, ni que le taux de rendement restera fixe. Au contraire, il est prévu que le prix d’achat du point puisse n’augmenter que comme les prix et que le taux de rendement puisse baisser.

L’âge du taux plein sera progressivement augmenté avec la hausse de l’espérance de vie, le dispositif ne tiendra pas compte de la capacité du salarié à se maintenir en emploi, ni de sa carrière

En fait, le taux de rendement sera fixé en 2024, « selon les hypothèses macroéconomiques du moment ». Il est déjà prévu qu’il baissera avec l’augmentation de l’espérance de vie. Le gouvernement pourra le faire baisser pour équilibrer le système. Du fait des souplesses ainsi données au gouvernement, les salariés n’auront plus aucune garantie sur leur taux de remplacement (le niveau de leur retraite relativement à leurs salaires). Le système de retraite était au départ un système à prestations définies : le régime général garantissait un taux de remplacement de 50% sur la moyenne des 25 meilleures années ; le régime de la fonction publique un taux de 75% sur le dernier salaire indiciaire. L’équilibre du système se faisait par hausse des cotisations. Le système préconisé sera un régime à cotisations définies ; les taux de cotisations et donc les ressources seront fixes et l’équilibre sera obtenu par la baisse de la valeur de service du point, donc par la baisse des retraites.

Une fois liquidées, les pensions seront indexées sur les prix et non sur les salaires. Le rapport ne propose pas un système rigide en comptes notionnels où le prix d’achat du point comme les retraites déjà liquidées évoluent obligatoirement comme le salaire moyen et où le taux de rendement est déterminé de sorte que, pour chaque retraité, la valeur actuarielle des pensions à recevoir est égale aux cotisations accumulées, compte tenu de son âge de départ à la retraite et de l’espérance de vie de sa cohorte. Le système sera beaucoup plus souple, sans la moindre garantie donc pour les salariés.

L’âge ouvrant le droit à la retraite restera à 62 ans, mais sera introduit un âge du taux plein de 64 ans. Partir à 62 ans se traduira par une pénalité de 10%, soit, compte-tenu des moindres cotisations, par une baisse de l’ordre de 14,3% du niveau de la retraite. L’âge du taux plein sera progressivement augmenté avec la hausse de l’espérance de vie.  Ce dispositif ne tiendra pas compte de la capacité du salarié à se maintenir en emploi, ni de sa carrière. Or, il existe une différence d’espérance de vie, à 35 ans, de 6,5 ans entre un cadre et un ouvrier. Un système qui l’oublie sera foncièrement injuste. Un euro cotisé rapportera plus à un cadre qu’à un ouvrier.

Dans le système actuel, le droit au taux plein dépend de deux paramètres : l’âge, mais aussi la durée requise de cotisation (42 ans aujourd’hui, 43 ans bientôt). Le report prévu du départ à la retraite est assuré à la fois par l’allongement de la durée de cotisation requise, mais par aussi par le fait que les cohortes successives ont commencé à cotiser de plus en plus tard. Un ouvrier qui a commencé à travailler à 20 ans pourra partir à la retraite à taux plein à 63 ans ; un cadre qui a commencé à cotiser à 23 ans, devra attendre 66 ans. Ainsi, la réforme préconisée sera favorable aux cadres (qui auront droit à une surcote de 10% à 66 ans au lieu de 68 ans), mais nuisible à beaucoup de salariés.

La retraite publique est une assurance sociale et salariale, elle ne doit pas singer la retraite par capitalisation

Bizarrement, ce 26 août, Emmanuel Macron a feint de découvrir qu’il faudrait tenir compte non seulement de l’âge, mais aussi de la durée de cotisation (ce qu’il avait oublié dans son programme présidentiel). En sens inverse, ne tenir compte que de la durée de carrière nuirait aux femmes à carrières incomplètes et, à l’avenir, aux jeunes qui auront eu des difficultés à s’insérer dans l’emploi. Cela réintroduira la notion de durée de cotisation, qui n’existe pas en principe dans un régime par points. Ainsi, la logique de la réforme préconisée par Jean-Paul Delevoye est brisée.

Ce nouveau système serait plus contributif, donc plus juste nous dit-on. C’est oublier que la retraite publique est une assurance sociale et salariale. Elle ne doit pas singer la retraite par capitalisation, elle doit fournir un niveau de retraite satisfaisant à tous les actifs, elle doit effacer les accidents de carrière. Elle doit être redistributive en assurant des taux de remplacement plus élevés aux salaires les plus faibles. Elle ne doit pas prolonger les rémunérations excessives.

Dans ce cadre, elle peut être rétributive, récompenser l’évolution de carrière, donc tenir compte du niveau de salaire atteint. C’est ce que permettait la règle des 25 meilleures années ou celle des 75% du dernier traitement indiciaire. De ce point de vue, l’insistance sur la strict contributivité est un leurre. Un système salarial, qui assure un niveau de retraite satisfaisant à chacun, qui tient compte du niveau de qualification atteint, est plus protecteur qu’un système contributif, sans garantie de taux de remplacement, qui enregistre tous les accidents de carrière comme les hasards du début de carrière.

Le nouveau système sera moins redistributif, les périodes de chômage seront plus pénalisées. Dans le système actuel, les taux de remplacement en dessous du plafond sont supérieurs aux taux au dessus du plafond. Pour un salarié dont le salaire sous-plafond évalue comme le salaire moyen le taux de remplacement brut est de 63,35% pour un départ à 62 ans. Pour la partie au-dessus du plafond, le taux de remplacement brut est de 52,7%. Ces taux passeraient à 50,1% pour un départ à 62 ans, à 58,45% pour un départ à 64 ans, de sorte que les salariés sous plafond y perdraient tandis que les salariés au dessus du plafond pourraient y gagner. Il aurait fallu sortir de la logique « un euro cotisé doit donner les mêmes droits », en stipulant que les cotisations en dessous du plafond donnent droit à plus de points, ceux en dessus du plafond à moins de points, ne serait ce que pour compenser les différences d’espérance de vie selon le niveau de salaire.

Le 26 août, Emmanuel Macron a aussi reconnu que la réforme devrait s’accompagner d’une revalorisation des traitements des fonctionnaires à bas niveaux de primes, mais la reforme préconisée pèserait aussi fortement sur tous les salariés de salaire moyen (inférieur au plafond de la sécurité sociale et qui ne bénéficieraient pas du minimum de pension).

Seul point favorable, le minimum retraite (85% du SMIC pour 43 années de carrière) sera versé plus largement, ce qui bénéficiera à des agriculteurs et à des femmes à carrières hachées.  Mais, il faut réintroduire la notion de durée de cotisation.  De plus, la garantie de 85% du SMIC n’est valable qu’au moment de la liquidation ; les retraites liquidées ne seront indexées que sur les prix.

L’harmonisation se fait par la mise en cause des avantages du secteur public ; elle aurait dû se faire par un meilleur ciblage et leur extension quand ceux-ci sont justifiés

Le nouveau système ne sera pas vraiment universel puisque les non-salariés cotiseront moins, auront des retraites publiques plus faible, ce qui les incitera à mettre en place des régimes complémentaires. Certaines professions (avocats, pharmaciens, etc.) refusent déjà de s’intégrer au système. De même, la baisse programmée des retraites publiques incitera les salariés les mieux payés des grandes entreprises à réclamer la mise en place de tels régimes. Plus généralement, la baisse des retraites publiques, l’incertitude sur leur montant, favoriseront le recours aux fonds de pension. Enfin, les bas-salaires bénéficieront d’un minimum retraite de logique totalement différente.

Les dispositifs de carrière longue seraient heureusement maintenus. Ils permettront un départ à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, avec une valeur de service du point correspondant à un départ à 64 ans. Il faut toutefois avoir travaillé au moins 4 trimestres avant 20 ans et avoir cotisé 168 trimestres.

Un système de retraite doit tenir compte des métiers pénibles, de ceux qui réduisent l’espérance de vie, de ceux qu’il est difficile de conserver après un certain âge. Cette prise en compte doit être la même dans le secteur privé et dans le secteur public. Le rapport Delevoye se limite à proposer l’extension du Compte Professionnel de Prévention et de la retraite pour incapacité permanente aux fonctionnaires, mais ces dispositifs sont très restrictifs. De toute évidence, il manque un dispositif général permettant un départ précoce pour les métiers qu’il est difficile de faire après un certain âge, comme routiers ou aides-soignantes. L’harmonisation se fait par la mise en cause des avantages du secteur public ; elle aurait dû se faire par un meilleur ciblage et leur extension quand ceux-ci sont justifiés. Il manque aussi un dispositif général pour les personnes qui ne peuvent espérer retrouver un emploi en raison de leur état de santé, de la situation de l’emploi dans leur région ou dans leur profession. Selon des critères médico-sociaux, elles devraient pouvoir partir à la retraite au taux plein.

Le rapport prévoit une Caisse nationale de retraite, gérée paritairement par les représentants des syndicats et du patronat, qui fera tous les 5 ans des projections à 40 ans, qui pourra proposer d’infléchir l’évolution des retraites, de la valeur du point, de l’âge du taux plein, des taux de cotisation, mais les décisions seront prises par le gouvernement et le parlement dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale. En fait, les syndicats et le patronat n’auront plus directement de pouvoir de décisions, comme c’était le cas dans les régimes complémentaires, alors que la retraite constitue un salaire différé et socialisé. C’est un recul de la démocratie sociale. Le système sera directement  géré par l’État et donc par la technocratie financière, dans le cadre de l’objectif de baisse des dépenses publiques.

Le rapport propose d’introduire une règle d’or : le solde du régime devrait être équilibré sur une période de 5 ans. Toutefois, il ne précise pas comment sera prise en compte la situation macroéconomique, ni comment l’équilibre sera obtenu (baisse des pensions, hausse des cotisations qui est nécessaire si la cause du déficit est structurelle, ou subventions publiques qui se justifient si la cause du déficit est la situation conjoncturelle). Le risque est grand que l’ajustement se fausse sur le niveau des pensions.

Pour nous, le système de retraite doit rester une assurance sociale et salariale, à prestations définies. Il doit se donner l’objectif d’assurer aux salariés ayant eu une carrière normale des taux de remplacement, différenciés selon le niveau de salaire, assurant le maintien de la parité de niveau de vie avec les actifs pour la masse des retraités. L’âge normal de départ à la retraite dans chaque profession, doit tenir compte  de la situation de l’emploi et des différences d’espérance de vie et de capacité à rester en emploi. Ceci demande une hausse progressive et modérée des taux de cotisations (de l’ordre de 0,2 point par an). Les choix faits par le rapport Delevoye doivent être socialement discutés. Il existe des alternatives.


Henri Sterdyniak

Economiste

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