Étrange époque
À ma mère (†)
Au cours des dernières semaines, je me suis donc remis à lire de vieux textes des années 1920-1930, à l’instar de Retour du Tchad d’André Gide (1928), L’Afrique fantôme de Michel Leiris (1934), Prière aux masques de Léopold Sédar Senghor (1935), Retour de Guyane de Léon-Gontran Damas (1938), et Cahiers d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire (1939). Il en a été de même de Légitime défense, un manifeste publié par des étudiants martiniquais en juin 1932 et aussitôt frappé d’interdiction par les autorités françaises de l’époque. Enjambant le temps, j’ai clos ce bref parcours avec Minerai noir de René Depestre (1956), Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem (1968) et L’État honteux de Sony Labou Tansi (1981).

Je suis revenu à ces textes, mû intuitivement par toutes sortes d’événements qui nous assaillent, des situations difficiles et déshonorables qui nous interpellent, une actualité qui ne cesse de nous bousculer, de nous choquer (du moins certains d’entre nous), ou de nous laisser perplexe.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur ce qu’ils appellent « la possibilité du fascisme » alors que la démocratie libérale ne cesse de se déliter. Peu importe qu’en son article 13, la Déclaration universelle des « droits de l’Homme » affirme que tout habitant de la Terre « a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État »! Il n’existe plus de droits durables. De partout ne cesse de monter la même clameur: « Retournez chez vous! » À l’échelle planétaire, l’idée selon laquelle il y a des limites au-delà desquelles la vie n’est plus possible s’impose petit à petit. Simultanément, les technologies computationnelles et les grandes firmes tentaculaires ne cessent de nous encercler et d’exercer sur nos désirs et comportements une insondable emprise.
L’époque n’est donc pas seulement étrange. Elle est, a proprement parler, toxique, propice à toutes sortes de débordements sans finalité apparente.
Toutes choses égales par