Nobel d’économie 2019 : une approche très gestionnaire de la lutte contre la pauvreté
Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer ont reçu en octobre le prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, pour l’approche expérimentale de la lutte contre la pauvreté qu’ils ont élaborée depuis la fin des années 1990. Cette distinction a été largement saluée dans la presse française, où les recherches de l’économiste Esther Duflo et de ses collègues sont décrites comme radicales, voire révolutionnaires. Elles le sont en partie, dans la mesure où elles marquent une rupture nette dans le champ de l’économie du développement. Elles le sont aussi dans la mesure où elles ont contribué à transformer les pratiques de lutte contre la pauvreté. Mais de quelle manière exactement ?

Si l’on ne peut que se réjouir d’un regain de l’intérêt public pour la question de la pauvreté, il semble néanmoins nécessaire de tempérer l’engouement général pour les travaux des trois nobélisés en entrant dans les détails. Au-delà de ces trois figures de proue, ce prix récompense tout un mouvement en économie du développement, fondé sur l’utilisation des essais randomisés contrôlés (ERC), une méthode d’évaluation d’impact inspirée des essais cliniques en médecine. Ce mouvement rassemble des centaines d’économistes, en poste dans les grandes universités de pays riches ou émergents.
Formant un vaste réseau, nombre d’entre eux sont professeurs affiliés au J-Pal, un laboratoire du prestigieux MIT dont Duflo, Banerjee et Kremer sont des membres fondateurs, ou d’Innovation for Poverty Action, le laboratoire jumeau du J-Pal, implanté à l’université de Yale, non moins prestigieuse. Ces économistes partagent la conviction que cette méthode est la référence absolue en matière d’évaluation d’impact – ce zèle leur a valu d’être malicieusement surnommés les randomistas par Angus Deaton, un précédent récipiendaire du Nobel d’économie. Désormais dominante dans le champ universitaire (très internationalisé) de l’économie du développement, et très influente parmi les bailleurs, la méthode des