Annuler la dette des pays du Sud, pour que rien ne change ?
Annuler les dettes ou, à tout le moins, introduire une pause ou un moratoire. À l’occasion de la crise du Covid-19, cette cause politique qui restait jusqu’à présent cantonnée au cercle des organisations non gouvernementales et critiques de l’ordre international établi semble désormais gagner des sphères plus légitimes, depuis les cénacles de la haute finance globale jusqu’aux think thank du prince[1]. Le mercredi 15 avril 2020, le G20 a approuvé la suspension du service de la dette de soixante-seize pays du Sud.

Les États les plus riches, évacuant la possibilité d’une annulation, se sont engagés sur un report de paiement du principal et des intérêts de la dette, mais en l’accordant au cas par cas et exclusivement en ce qui concerne les dettes bilatérales (d’État à État), sans traiter du problème des dettes multilatérales, ni de celles qui sont dues au secteur privé. Quelques semaines plus tard, le 13 mai, une coalition de 300 parlementaires menée par Bernie Sanders demandait, dans une lettre au FMI, une « annulation extensive de la dette » pour ces mêmes pays. Les dépenses liées à l’urgence sanitaire et à la mise à l’arrêt de l’activité économique laissent entrevoir la perspective d’une crise vis-à-vis de laquelle les pays du Sud, déjà très endettés, auront bien du mal à faire face.
À mesure que le consensus s’étend pour mettre en œuvre des mesures exceptionnelles face à une situation exceptionnelle, s’affaisse dans le même temps la remise en cause de l’ordre disciplinaire qui lie les pays les plus pauvres aux marchés de capitaux, aux États dominants ainsi qu’aux organisations internationales à travers les formes juridiques et monétaires de la dette, comme si l’annulation des dettes annulait aussi les rapports de domination structurels entre pays du Nord et pays du Sud. Les propositions d’allègements divers de la contrainte, identifiant certes une situation hors normes, sont conçues pour soutenir les souscriptions d’obligations souveraines et rétablir au plus vite