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L’écologie à la conquête des métropoles ?

Politiste

Malgré la « vague verte » des dernières élections municipales, la maire PS de Nantes Johanna Rolland a été élue jeudi 24 septembre à la tête de l’association France urbaine, qui réunit les principales métropoles et agglomérations du territoire. Pourtant la victoire électorale des Verts dans nombre de grandes villes n’est pas sans conséquences, et si les écologistes n’ont pas réussi à prendre tête des gouvernements métropolitains, l’écologie pourrait tout de même devenir la matrice principale des politiques intercommunales.

Avec les élections intercommunales, la « vague verte » aurait-elle déjà atteint son plafond de verre ? En juin 2020, les écologistes ont remporté plusieurs grandes villes (Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble, Besançon, Tours, Poitiers…), dépassant les prévisions les plus optimistes. Un mois plus tard, ils ne sont pourtant pas parvenus à prendre la présidence des métropoles, à l’exception du Grand Besançon et de la Métropole de Lyon[1]. Le « troisième tour intercommunal » est passé relativement inaperçue, du fait de l’absence d’élection au suffrage universel direct (ce sont les conseillers communautaires envoyés par chaque commune qui désignent les « gouvernements » des métropoles).

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Réalisé par ordre dispersé au cours du mois de juillet, la désignation des exécutifs communautaires a pourtant fait l’objet d’âpres négociations entre les nouveaux élus communaux. Et pour cause : c’est à cet échelon que se situent les principaux leviers de l’action publique locale. Gagner les municipales sans prendre la tête de l’intercommunalité, c’est un peu comme remporter les présidentielles tout en échouant aux législatives et se retrouver en situation de cohabitation.

Si la « vague verte » des municipales ne s’est pas reproduite au niveau intercommunal, c’est aussi parce que la gouvernance de ces institutions leur est structurellement défavorable. Faute d’élections directes, le pilotage des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) repose sur une logique de compromis, ce qui conduit souvent à dépolitiser les débats[2]. Nombre de conseils communautaires sont réduits à une fonction de chambre d’enregistrement. La prédominance des maires dans le pilotage de l’intercommunalité amoindrit aussi le poids politique des villes centres, là où les écologistes sont les mieux représentés. Les négociations pour la présidence de la Métropole européenne de Lille[3], détenue depuis 2014 par le maire d’une commune de 900 habitants, ont une nouvelle fois illustré ce mécanisme. La défaite des écologistes à la Métropole Grenoble illustre ce double mécanisme. En dépit de la réélection d’Eric Piolle et de la conquête de plusieurs villes en périphérie, l’ancien président (ex-PS) est parvenu à se maintenir en composant une coalition hétérogène allant des socialistes à la droite en passant par LREM.

La difficulté des Verts à transformer l’essai de leur victoire électorale au niveau métropolitain doit être nuancée. Dans la plupart des cas (comme à Bordeaux ou Strasbourg, Nantes ou Rennes), ils occupent des postes de poids dans les exécutifs communautaires et ont joué un rôle clé dans la structuration des coalitions. Cette position en retrait témoigne néanmoins du rapport ambigu que les écologistes entretiennent avec l’échelon métropolitain. Cet article vise à revenir sur les causes de ce plafond de verre, avant de montrer pourquoi les lignes sont en train de bouger. Car, si les écologistes n’ont pas pris la tête des gouvernements métropolitains, l’écologie pourrait bien devenir la matrice principale des politiques intercommunales.

Les écologistes et l’intercommunalité : je t’aime, moi non plus

Au niveau national, les Verts défendent depuis longtemps une vision territoriale qui transcende l’échelle communale. L’acte emblématique de ce mouvement fut la constitution des « pays » portés par Dominique Voynet, en tant que ministre de l’aménagement en 1999. Ils ont été très actifs pour faire des EPCI le principal échelon de la planification écologique, à travers les Agendas 21, les Trames vertes et bleues sur les enjeux de biodiversité puis les Plans climat-air-énergie territoriaux à la suite du Grenelle de l’environnement. Au niveau local, les principaux leaders écologistes entretiennent pourtant une certaine méfiance vis-à-vis des « interco ». Parmi les figures emblématiques de l’écologie locale (Eric Piolle à Grenoble, Damien Carême à Grande Synthe ou Jean-François Caron à Loos-en-Gohelle dans le Bassin minier), tous ont construit leur légitimité politique sur l’échelle municipale et sont souvent restés en retrait de l’intercommunalité.

Cette prise de distance ne se limite pas à une question de gouvernance et de rapports de force politiques, évoqués en introduction. Elle découle aussi du logiciel écologiste de l’action publique locale, historiquement axé sur la valorisation du local et la démocratie de proximité. C’est à l’échelle du quartier que les Verts ont travaillé leur ancrage politique, en devenant les porte-parole des multiples combats pour un meilleur cadre de vie. Les Conseils de quartier puis les budgets participatifs ont été un de leurs principaux marqueurs.

Dans cette perspective, les intercommunalités sont considérées comme une machine lointaine, en décalage avec le foisonnement d’initiatives citoyennes qui cherchent à transformer la ville par en bas. Elles sont aussi perçues comme un outil technocratique au service du projet modernisateur (les écologistes diraient « productiviste ») hérité des Trente Glorieuses. Depuis les années 1990, les intercommunalités – et notamment les métropoles – se sont construites par de grands projets[4], en ayant pour leitmotivs les objectifs de compétitivité et d’attractivité.

Lors du mandat précédent, cela a pu conduire les maires de grandes villes à tenir une ligne de crête étroite entre deux logiques en tension : la maire de Nantes qui prône la proximité est aussi la présidente de Nantes Métropole qui a longtemps soutenu le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Idem à Paris où Anne Hidalgo a joué un rôle central pour obtenir les JO 2024 à l’échelle métropolitaine tout en faisant de la « Ville du quart d’heure » un axe fort de sa campagne 2020. Dans les grandes villes, le malaise vis-à-vis de l’intercommunalité est encore renforcé par la critique de la métropolisation. Présentée comme la déclinaison locale de la globalisation néolibérale, la métropolisation est accusée de tous les maux par les écologistes.

Plusieurs tendances conduisent néanmoins les écologistes à transformer leur vision de l’intercommunalité, en lien avec le changement de perception du défi écologique. Longtemps cantonnée au cadre de vie et à la planification environnementale, la transformation écologique des territoires s’élargit par nécessité à d’autres champs d’intervention. Le mouvement des « gilets jaunes », l’intensification des mobilisations citoyennes et les conséquences économiques et sociales du Covid-19 soulignent que la transition est aussi, voire avant tout, une question de mobilité, d’urbanisme ou d’économie : autant de compétences intercommunales !

À l’heure où les métropoles élaborent leur plan de relance, le défi climatique pose la question de la conditionnalité des aides apportées aux entreprises et de la capacité des collectivités à faire évoluer leur tissu économique pour le rendre plus résilient. Il sera par exemple intéressant d’analyser la façon dont la nouvelle majorité écologistes du Grand Lyon décline sa stratégie de neutralité carbone et de réduction de la pollution sur la vallée de la chimie. De même qu’il aurait été instructif de voir ce que les écologistes toulousains aurait fait en cas de victoire pour accompagner la crise du secteur aéronautique qui représente une part significative des emplois du territoire.

Pour les écologistes, il s’agit aussi de montrer que la transition écologique et sociale ne se limite pas aux bobos des centres-villes mais concerne aussi les quartiers populaires et les banlieues résidentielles. Il s’agit par exemple d’éviter que l’arrêt de l’artificialisation des sols et le ralentissement de la densification promis par les candidat.e.s ne s’accompagnent d’une augmentation des prix du logement déjà bien trop élevés. Ce qui suppose d’agir en parallèle sur les politiques d’habitat (régulation des loyers, encadrement des locations courtes durées et de la vacance…) et sur les politiques foncières.

L’écologie : une réponse à la crise existentielle des Intercommunalités ?

Si l’écologie a besoin de l’intercommunalité pour changer d’échelle, la réciproque est tout aussi vraie : les intercommunalités ont besoin de l’écologie pour prendre un nouveau départ. La « vague verte » intervient au moment d’une forme de crise existentielle de l’intercommunalité en général, et des institutions métropolitaines en particulier. Constitués à partir des syndicats intercommunaux en charge des grands réseaux techniques (l’eau, les déchets, l’énergie), les intercommunalités sont des institutions souvent méconnues des citoyens. En témoigne leur absence de la campagne des municipales, malgré l’ampleur de leur budget et de leurs compétences.

Si elle est plus que jamais nécessaire, l’élection au suffrage universel direct des élus intercommunaux ne suffira pas à elle seule à corriger ce déficit d’appropriation démocratique. Le renouvellement des formes démocratiques porté par les écologistes (budgets participatifs, conventions citoyennes…) pourrait y contribuer. Le défi écologique va aussi provoquer une repolitisation de l’action publique communautaire, en obligeant les intercommunalités à prendre des mesures contraignantes. La mise en place des Zones à faible émission qui interdit l’accès aux véhicules les plus polluants en est l’illustration. Les métropoles vont devoir assumer des choix clivants, qui touchent directement à nos modes de vie.

L’action communautaire est aujourd’hui en difficulté, les grands projets sur lesquels elle avait bâti sa légitimité depuis les années 1990 étant de plus en plus contestés. La première conséquence de la « vague verte » sera sans doute la remise en cause de ces infrastructures nouvelles, portés par les métroples depuis deux décennies, comme l’Anneau des sciences à Lyon ou le Grand contournement ouest à Strasbourg. Au croisement entre l’aménagement et le développement économique, ces projets emblématiques s’inscrivaient dans un contexte de concurrence territoriale accrue où chaque métropole cherchait à attirer de nouveaux habitants et à renforcer à tout prix sa compétitivité auprès des entreprises internationales.

Les grands projets ont aussi servi à constituer un leadership politique et à favoriser les convergences avec les milieux économiques, pour constituer ce que les politistes américains Logan et Molotch appellent les « coalitions de croissance[5] ». Les métropoles régionales se retrouvent aujourd’hui victimes de leur succès. Elles doivent gérer les conséquences en cascade de leur attractivité : augmentation des prix de l’immobilier et étalement urbain, saturation des réseaux de transports et des équipements publics, pollution de l’air…

Face à la folie des grandeurs, la « vague verte » invite les intercommunalités à réinvestir les politiques du quotidien[6]. Tout l’enjeu consiste alors à replacer les préoccupations locales des citoyens-usagers du territoire dans une ambition transformatrice à la hauteur du défi écologique et social. Les services urbains pilotés par les intercommunalités sont au cœur de cette transformation. Il s’agit moins de construire un nouvel incinérateur, que d’engager une stratégie de réduction des déchets au plus près des consommateurs.

L’essor de l’urbanisme tactique et des pistes cyclables temporaires à l’occasion du déconfinement en sont une autre illustration : une politique de mobilité ambitieuse ne se réduit pas à la construction d’une nouvelle ligne de métro, elle passe plutôt par la multiplication des alternatives à la voiture individuelle en proposant un autre partage de l’espace public. Alors que l’Union européenne initie un vaste plan d’investissements pour accélérer la transformation écologique de l’économie, les métropoles seraient les mieux placées pour porter un « Green New Deal » du quotidien.

Quatre conditions pour donner du poids à l’écologie au niveau intercommunal

Pour rendre possible la réconciliation entre l’écologie et les intercommunalités, quatre conditions méritent d’être réunies. La première consiste à sortir de l’opposition des échelles pour donner à voir les interdépendances. Il s’agit d’inscrire la soif de proximité exprimée à l’occasion des municipales dans une lecture territoriale plus systémique, pour éviter d’enfermer la transition dans une écologie de quartier. Ces interdépendances existent d’abord au sein des intercommunalités, du fait de l’importance des mobilités quotidiennes. Les individus passent leur temps à franchir les frontières de leur commune, pour aller travailler, faire leurs courses, se divertir ou rendre visite à leurs proches.

Les choix qui sont faits dans une commune ont donc des conséquences directes sur les habitants de toutes les autres. L’arrêt de la densification ici peut conduire à un renforcement de l’étalement là. La réduction de la circulation automobile sur les boulevards de la ville centre ont des répercussions sur les temps de déplacement des usagers en provenance d’autres communes. Si l’on veut éviter que la transformation écologique du quotidien se limite à une stratégie de report des externalités, elle nécessite d’être coordonnée à l’échelle intercommunale.

Les interdépendances portent aussi sur des espaces plus vastes, du fait de l’ampleur géographique de nos « territoires de subsistance », pour reprendre la jolie formule de Bruno Latour. Mener une politique urbaine de transition écologique, c’est aussi se préoccuper des ressources dont on dépend à travers une meilleure compréhension, et régulation, de ces métabolismes urbains. C’est ce qu’essaie par exemple de faire la ville de Paris, dans un partenariat avec les intercommunalités de l’Yonne autour de la ressource en eau, du tourisme et des productions agricoles.

La deuxième condition porte sur la gouvernance des intercommunalités, de manière à ce que celle-ci soit en mesure de fédérer autour d’une ambition transformatrice. Lors du dernier mandat, deux modèles ont caractérisé les limites du fonctionnement actuel des métropoles : la baronnie locale dont le cas lyonnais constituait l’archétype avec Gérard Collomb ou le pacte de non-agression communes/intercommunalité comme ce fut le cas à Lille. Ces deux formes de compromis entre maires conduisent à vider l’intercommunalité de sa substance, en réduisant à néant toute forme de péréquation sociale au sein des territoires et en annihilant tout débat politique. L’arrivée d’une nouvelle génération d’élus et la composition de majorités pluralistes invitent à imaginer une gouvernance intercommunale plus collégiale, qui aille au-delà de la défense des intérêts de chaque commune prise séparément. Cela supposerait notamment de renforcer le rôle du Conseil communautaire comme instance délibérative.

La troisième condition dépendra de la capacité des nouveaux exécutifs à mobiliser l’ensemble de l’administration au service de la transition écologique. Le risque serait en effet d’accroître la fragmentation sectorielle de la technostructure communautaire, en s’enfermant dans une opposition entre des directions alliées qui placeraient la transition au cœur de leur action et des directions ennemies qui continueraient la politique des grands projets hérités des mandats précédents. Tout l’enjeu des exécutifs communautaires consiste à dépasser la fragmentation sectorielle des organigrammes administratifs, là où le fonctionnement par coalition pourrait avoir tendance à les reproduire. La crise post-Covid pourrait accélérer le mouvement, par un dialogue renforcé entre les services environnement et développement économique autour de l’élaboration de plans de relance métropolitains, ainsi que par une meilleure intégration de l’action sociale et de la politique de la ville dans les actions de transition.

La quatrième condition ne relève pas des nouveaux élus. Elle se joue à l’extérieur des collectivités locales. Elle interroge la capacité des acteurs associatifs et économiques de la transition à se constituer à l’échelle intercommunale, pour maintenir une saine pression sur les nouveaux exécutifs et participer activement à ce « Green New Deal » du quotidien. Le mouvement social de l’écologie est à l’image d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) : très présent à l’échelle du quartier et de plus en plus structuré au niveau européen, il peine encore à se faire entendre aux échelles intermédiaires.

Là aussi, les lignes sont en train de bouger, notamment du fait de l’opposition aux grands projets. En Île-de-France, la contestation à l’encontre du centre commercial EuropaCity a posé les bases d’une mobilisation d’échelle métropolitaine. Le même phénomène s’observe à Rouen à la suite de l’accident Lubrizol. À Lyon, c’est devant le siège de la métropole qu’ont eu lieu les marches pour le climat, et non devant la mairie ou la préfecture. Mais ces mouvements de contestation pourront-ils émerger comme des partenaires incontournables de l’action publique métropolitaine ? L’enjeu est de taille, car jusqu’ici, ce sont surtout les milieux économiques, les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) en tête comme à Marseille ou Metz, qui ont accompagné la montée en puissance des métropoles.

D’une certaine manière, les intercommunalités (comme les régions) héritent le projet gaulliste de modernisation du pays conduit dans les années 1960, marqué par la combinaison entre réformes administratives et constitution des forces vives dans les territoires. Quelles sont aujourd’hui les forces vives de la transition écologique et sociale pour accompagner la transformation des institutions intercommunales ?


[1] Le cas lyonnais fait figure de cas à part, suite à la fusion de la communauté urbaine avec le département. C’est le seul territoire où les élections métropolitaines ont lieu au suffrage universel direct, les électeurs plaçant en tête la liste écologiste conduite par Bruno Bernard.

[2] Fabien Desage et David Guéranger, La politique confisquée : sociologie des réformes et des institutions intercommunales, Croquant, 2011.

[3] Voir le reportage de Médiacités.

[4] Gilles Pinson, Gouverner la ville par projets : urbanisme et gouvernance des villes européennes, Presses de Sciences Po, 2009.

[5] John Logan et Harvey Molotch, Urban fortune : a political economy of place, University of California Press, 1987.

[6] Jean-Marc Offner, « Gilets Jaunes : une politique du quotidien reste à inventée », tribune parue dans Le Monde le 15 janvier 2019.

Nicolas Rio

Politiste, Enseignant à l’École Urbaine de Sciences Po et consultant-chercheur en stratégies territoriales

Notes

[1] Le cas lyonnais fait figure de cas à part, suite à la fusion de la communauté urbaine avec le département. C’est le seul territoire où les élections métropolitaines ont lieu au suffrage universel direct, les électeurs plaçant en tête la liste écologiste conduite par Bruno Bernard.

[2] Fabien Desage et David Guéranger, La politique confisquée : sociologie des réformes et des institutions intercommunales, Croquant, 2011.

[3] Voir le reportage de Médiacités.

[4] Gilles Pinson, Gouverner la ville par projets : urbanisme et gouvernance des villes européennes, Presses de Sciences Po, 2009.

[5] John Logan et Harvey Molotch, Urban fortune : a political economy of place, University of California Press, 1987.

[6] Jean-Marc Offner, « Gilets Jaunes : une politique du quotidien reste à inventée », tribune parue dans Le Monde le 15 janvier 2019.