Société

Crise sanitaire : entre confiance et méfiance, une mince frontière

Sociologue

Alors que l’hypothèse d’un troisième confinement se précise, l’expertise scientifique ne suffit plus pour générer la confiance nécessaire à l’acceptation de ce genre de mesure. Peu à peu, tous les producteurs de diagnostics sur les effets économiques, sociaux, psychologiques et générationnels de la pandémie, ou encore sur les causes de celle-ci, se sont en effet invités dans le cercle des experts. L’analyse sociologique de la crise sanitaire permet ici d’en révéler les mécanismes, et les paradoxes, de montrer qu’entre confiance et méfiance, la frontière est mince.

La pandémie de la Covid-19 a fait apparaître au grand jour la mince frontière entre confiance et défiance. Parce que la contagion pandémique est horizontale, un premier niveau de confiance a dû être sollicité à partir de la responsabilité la plus individuelle : ne sachant pas si je suis un vecteur du virus, j’agis pour demeurer à ma place (distante) et j’attends qu’autrui fasse de même. Ainsi, la distance à autrui n’était plus une marque de défiance, mais de confiance. C’était notre premier vaccin possible, à créer nous-mêmes, celui de la responsabilité individuelle dans l’attention à autrui.

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Le philosophe Kant nous aurait dit : « agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle collective ». Remarquez qu’il ne suffit pas d’en appeler à une autorité légitime pour persuader tout le monde d’agir selon cette morale universalisable. Car, comme l’a souligné Max Weber, un système d’autorité, si légitime soit-il, n’a qu’une force probabiliste : les règles seront respectées par la plupart des gens, probablement, mais pas à coup sûr, et certains dévieront ou refuseront, s’ils s’estiment hors d’atteinte de l’impératif collectif. Or la contagion est rusée, elle sait s’alimenter à de tels écarts probabilistes. D’autant que les recommandations ou les prescriptions comportementales peuvent hésiter, tâtonner, et évoluer.

Un deuxième niveau de confiance est produit par ce que les sociologues appellent les « role models », la liste des professions qui sont « au front », et dont on admire le comportement : médecins, personnels soignants, chercheurs, transporteurs routiers, employés des commerces d’alimentation, métiers de la logistique et métiers des services de nécessité. Et il y a aussi ceux qui subissent plus de dommages que d’autres : en France, les salariés peuvent bénéficier de protections par le chômage partiel, mais beaucoup d’indépendants et de précaires sont considérablement exposés et courent après les dispositifs compensateurs, eux qu


Pierre-Michel Menger

Sociologue, Professeur au Collège de France

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