International

En Turquie, les universitaires face au pouvoir

Sociologue

En janvier, la nomination controversée de Melih Bulu comme recteur à la tête de la prestigieuse Université Boğaziçi a une nouvelle fois montré la volonté du pouvoir turc de mettre les chercheurs et les étudiants sous tutelle politique. Malgré l’importante répression policière, le mouvement de protestation prend de l’ampleur et invente de nouveaux modes de résistance : des instances alternatives d’enseignement connues sous le nom d’« académies de solidarité » ou d’« académies de rue » se créent, au sein desquelles les universitaires poursuivent leurs métiers.

La culture est un champ de bataille qui « n’a pas encore été gagnée », a déclaré à plusieurs reprises le président Recep Tayyip Erdoğan depuis fin 2016, année de la tentative du coup d’État du 15 juillet. L’état d’urgence a donné un blanc-seing juridique pour les milliers de limogeages dans la fonction publique, ainsi que pour la criminalisation et la marginalisation des voix discordantes qui s’expriment depuis les médias et la société civile. À quoi s’ajoutent les universités, terrain brûlant de la « bataille culturelle », et lieu d’émergence des nouvelles formes de résistance dans la Turquie actuelle.

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Le lundi 4 janvier 2021, les policiers condamnent les portes de l’Université Boğaziçi (Bosphore) à Istanbul afin de bloquer des centaines d’étudiants qui manifestent contre la nomination par le président de la Turquie – nomination prenant acte le 1er janvier à minuit – d’un universitaire extérieur à l’institution et membre du parti d’Erdoğan, Melih Bulu, comme recteur à la tête de cet établissement prestigieux. Dans la Turquie actuelle, au moment où les mouvements contestataires sont réduits au silence, les enseignants de Boğaziçi se retrouvent régulièrement sur le campus du sud vêtus de leurs toges, et tournent le dos au bureau de M. Bulu.

Le mouvement prend de l’ampleur. En son sein s’expriment conjointement les activistes LGBT, les féministes et les étudiantes voilées. Cette composition, reflétant la diversité culturelle des manifestants, a aussi pour fonction de démentir les campagnes de décrédibilisation menées par le pouvoir et les médias progouvernementaux. Une vague de protestations voit le jour, réprimée par la violence policière, les arrestations des étudiants et les déclarations de M. Erdoğan et de son ministre de l’intérieur Süleyman Soylu accusant les groupes mobilisés d’être des « terroristes », « dépravés » et « antinationaux ». Une rhétorique employée également contre les « universitaires pour la paix ».

La nomination de Melih Bulu à la têt


Alihan Mestci

Sociologue , Doctorant au Centre européen de sociologie et de science politique (EHESS)