La « condition toubab »
La notion de « privilège blanc » défraie depuis plusieurs mois la chronique. Mise en exergue par les décoloniaux et fustigée par le Printemps républicain, la droite en général et la gauche universaliste, elle désigne la volonté de la population majoritaire de s’abstraire de toute appartenance à une identité « colorée », cette identité fut-elle « blanche ». C’est ce qu’on nomme l’aveuglement à la couleur (color blindness).

Pour ma part, je ne m’étais, au cours de mon enfance et de mon adolescence, jamais posé la question de ma couleur de peau même si je m’étais interrogé, en raison du fait que j’étais juif, sur ma qualité de Français à part entière ou comme l’on dit désormais de « Français de souche ».
Pendant longtemps, j’ai considéré que je ne faisais pas corps avec la France et que j’étais simplement titulaire d’un passeport français. Ce sentiment de porte-à-faux par rapport à la communauté nationale m’a entraîné vers d’autres cieux et notamment vers ce que l’on appelait à l’époque les « Noirs Américains », le Black Panther Party et Malcolm X, auxquels je me suis identifié dans une sorte de « communauté de souffrance ». Je suis donc devenu un fan de jazz et par ricochet me suis rapidement intéressé à l’Afrique, continent d’origine de ces jazzmen états-uniens, ainsi qu’à la « négritude », notion qui ne laissait pas de m’interroger.
M’étant engagé dans des études d’anthropologie et ayant choisi le Mali comme terrain d’enquête, je suis arrivé à Bamako en 1967 en tant que Volontaire du Service National, comme l’on disait à l’époque, et j’ai été affecté à l’Institut des Sciences Humaines.
Je me suis alors rendu rapidement dans le Wasolon, région méridionale du pays, que j’avais entrepris d’étudier, et là j’ai expérimenté pour la première fois la « condition toubab ». En effet, à chaque fois que j’arrivais dans un village, des groupes d’enfants m’accueillaient au cri de « tubabu, tubabu, tubabu ». Il ne s’agissait pas de leur part d’une quelconque hostilité ma