Société

« Faire avec » : le difficile accès à l’emploi des jeunes rurales

Sociologue

Le thème de la « jeunesse sacrifiée » fut beaucoup développé tout au long de la crise sanitaire. Mais c’est toujours une jeunesse urbaine et étudiante qui est prise en compte, laissant de côté les parcours les plus précaires, à l’intersection de la classe et du genre, ceux des jeunes femmes de classe populaire qui restent dans les territoires ruraux, les « filles du coin » dont l’accès à l’emploi est particulièrement difficile.

Chaque crise rend toujours plus visible les rapports sociaux inégalitaires (d’âge, de sexe, de classe sociale, de territoire…), les situations de vulnérabilités, précarité, pauvreté et c’est ce que l’on observe concrètement avec la crise actuelle liée à l’épidémie de Covid 19. Les personnes les plus précaires subissent de plein fouet les conséquences économiques et sociales de cette crise sanitaire, les jeunes – parce qu’ils sont en phase d’entrée sur le marché du travail ou en période d’études – sont en première ligne des difficultés.

Dans le contexte français, la période post-bac constitue un moment charnière de la vie d’une génération : plus qu’ailleurs, elle est considérée comme déterminante et décisive pour l’avenir professionnel des individus. L’enquête Génération 2016 du Cereq retrace les parcours d’insertion et montre que seuls 21 % des non diplômés ou 54 % des bacheliers accèdent immédiatement ou rapidement à l’emploi, contre 68 % des bacs+2 et bacs+3.

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Cette année plus encore que les précédentes, les écarts risquent de se creuser et se renforcer entre les jeunes qui peuvent jouer dans la compétition scolaire et avoir des chances pour entrer sur le marché du travail pour tenter de décrocher un emploi à la hauteur de leur formation, et les autres qui vont devoir « faire avec » et accepter les postes disponibles au risque d’être surqualifiés et pour qui la précarité ne sera pas plus conjoncturelle à cette période de la vie, mais structurelle.

Il n’en revient donc pas à chacune et à chacun de « vouloir » s’insérer et entrer dans l’âge adulte avec une formation, un emploi et un logement indépendant encore faut-il le « pouvoir ». C’est bien là que se jouent les inégalités : cette possibilité n’étant pas dissociable des conditions sociales et du milieu social d’origine, surtout en période de crise. Qu’elles soient financières, alimentaires, en hébergement ou même en soutien moral, les solidarités familiales jouent à plein pour ceux qui peuvent y recourir


[1] Ugo Palheta « Espoirs scolaires, déboires professionnels ? Repenser le double handicap des filles des classes populaires », in S. Beaud et G. Mauger, Une génération sacrifiée ? Jeunes des classes populaires dans la France désindustrialisée, Editions de la rue d’Ulm, 2017.

[2] Vanessa Pinto, Tristan Poullaouec et Camille Trémeau, « Les étudiants et leurs parents face à l’exercice d’activités rémunérées en cours d’études : quatre portraits de familles », Revue française des Affaires sociales, 2019, n° 2019/2 (« Un regard renouvelé sur les ressources des jeunes : ressources matérielles, soutien, accès aux capacités »), p. 99-118.

[3] Marie-Hélène Lechien, avec Véronique Jouillat et Loïse Mournetas, « L’isolement des jeunes femmes appartenant aux classes populaires rurales. L’exemple d’une animatrice de loisirs », Agone, vol. 51, no. 2, 2013, pp. 131-151.

 

Yaëlle Amsellem-Mainguy

Sociologue, Chargée d'études et de recherche à l'Institut National de la Jeunesse et de l'Education Populaire (Injep)

Notes

[1] Ugo Palheta « Espoirs scolaires, déboires professionnels ? Repenser le double handicap des filles des classes populaires », in S. Beaud et G. Mauger, Une génération sacrifiée ? Jeunes des classes populaires dans la France désindustrialisée, Editions de la rue d’Ulm, 2017.

[2] Vanessa Pinto, Tristan Poullaouec et Camille Trémeau, « Les étudiants et leurs parents face à l’exercice d’activités rémunérées en cours d’études : quatre portraits de familles », Revue française des Affaires sociales, 2019, n° 2019/2 (« Un regard renouvelé sur les ressources des jeunes : ressources matérielles, soutien, accès aux capacités »), p. 99-118.

[3] Marie-Hélène Lechien, avec Véronique Jouillat et Loïse Mournetas, « L’isolement des jeunes femmes appartenant aux classes populaires rurales. L’exemple d’une animatrice de loisirs », Agone, vol. 51, no. 2, 2013, pp. 131-151.