Société

À la vue du public, le théâtre policier

Politiste

La loi sur la « sécurité globale » comme la récente décision du Conseil d’État du 10 juin sur le nouveau « Schéma national du maintien de l’ordre » ont mis au cœur du débat le contrôle des images des interventions policières comme l’image publique de la police. Dans un nouveau texte en écho au podcast Public Pride, Fabien Jobard analyse le maintien de l’ordre comme une « performance » publique qui met aux prises policiers, manifestants et journalistes, et où se joue la légitimité des forces de l’ordre en démocratie. Il pointe au passage les ambiguïtés et faux-semblants des récents efforts pour assurer la « transparence » de l’action de la « force publique ».

La police est une institution publique, une « force publique », ainsi définie par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’affirmation de ce caractère distinctif est d’une portée considérable : elle implique que les actions entreprises par les policiers sont redevables d’une justification publique, visée à l’article 15 de la même Déclaration (« la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration »), mais elle signifie aussi que les forces de police agissent dans un régime de publicité, c’est-à-dire que leurs actions sont exposées à la vue du public, qui en retour est légitime à en juger le bien-fondé.

Les théoriciens de la police ont bien sûr traité des deux aspects, et dans les pays anglo-américains souvent au moyen d’un même terme, celui de « performance [1] ».

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Dans son premier sens, la performance policière est entendue comme l’instrument qui permet de comptabiliser les coûts et les bénéfices de son action. Cette performance a fait l’objet d’un investissement considérable depuis une vingtaine d’années, notamment par le biais des méthodes du « nouveau management public ». La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) du 9 août 2002 demandait aux préfets, policiers et gendarmes de « s’engager dans un mode de management moderne fondé sur la responsabilité et la culture de la performance » (discours de Nicolas Sarkozy, septembre 2005), notamment par le biais de l’évaluation par objectifs, indicateurs de résultats, responsabilité individuelle des agents et rémunération au mérite.

Mais le terme de « performance » ne se réduit pas, dans les travaux de théorie de la police, à ce qui très vite prit l’allure d’une « culture du chiffre » dévoyée par la production de statistiques sans rapport avec la poursuite des missions fondamentales de la police. « Performance » est en effet l’un des concepts-clés de la sociologie de Erving Goffman, qui ent


[1] Voir ainsi le chapitre 4 de Martin Innes et al., Neighbourhood Policing. The Rise and Fall of a Policing Model, Oxford University Press, 2020, en particulier p. 101-103.

[2] « Ordre de l’interaction » est le titre que donne Erving Goffman à l’un de ses derniers textes, visant à décrire le travail de sa vie (Les moments et leurs hommes, Éditions de Minuit, 1988, p. 186-230).

[3] Dans l’un de ses premiers textes, fondé sur une analyse de « la présentation de soi » de Goffman, Peter Manning voit dans la police un mandat, des stratégies et des apparences (« The Police : Mandate, Strategies, and Appearances », in Peter Manning, John Van Maanen (dir.), Policing. A View from the Street, Random House, 1978, p. 7-31. Voir plus récemment Peter Manning, Democratic Policing in a Changing World, Routledge, 2010.

[4] Voir « Public Reassurance », in Alison Wakefield et Jenny Fleming (dir.), The Sage Dictionary of Policing, Sage, 2009, p. 256-258.

[5] Pour un bilan très éclairant de la jurisprudence et du droit sur le maintien de l’ordre, voir Olivier Cahn, « Construction d’un maintien de l’ordre (il)légaliste », Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé, Dalloz, 2021, p. 1069 et suivantes.

Fabien Jobard

Politiste, chercheur au CNRS, Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip)

Notes

[1] Voir ainsi le chapitre 4 de Martin Innes et al., Neighbourhood Policing. The Rise and Fall of a Policing Model, Oxford University Press, 2020, en particulier p. 101-103.

[2] « Ordre de l’interaction » est le titre que donne Erving Goffman à l’un de ses derniers textes, visant à décrire le travail de sa vie (Les moments et leurs hommes, Éditions de Minuit, 1988, p. 186-230).

[3] Dans l’un de ses premiers textes, fondé sur une analyse de « la présentation de soi » de Goffman, Peter Manning voit dans la police un mandat, des stratégies et des apparences (« The Police : Mandate, Strategies, and Appearances », in Peter Manning, John Van Maanen (dir.), Policing. A View from the Street, Random House, 1978, p. 7-31. Voir plus récemment Peter Manning, Democratic Policing in a Changing World, Routledge, 2010.

[4] Voir « Public Reassurance », in Alison Wakefield et Jenny Fleming (dir.), The Sage Dictionary of Policing, Sage, 2009, p. 256-258.

[5] Pour un bilan très éclairant de la jurisprudence et du droit sur le maintien de l’ordre, voir Olivier Cahn, « Construction d’un maintien de l’ordre (il)légaliste », Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé, Dalloz, 2021, p. 1069 et suivantes.