Politique

République et châtiment 1/2 – L’avènement d’un régime d’opinion

Anthropologue

À trois reprises ce printemps, l’institution judiciaire fut contestée de façon radicale et véhémente pour son laxisme, jusqu’à se voir accusée de délivrer des « permis de tuer », ici de policiers, là de juifs. Que ce soit à la suite de certains verdicts judiciaires, ou lors de manifestations de policiers, on a vu émerger l’idée que chacun pourrait négocier un petit espace d’exception au droit commun pour son propre compte. Comme si la justice, et la République, étaient affaire d’opinion.

Durant les mois d’avril et de mai 2021, trois configurations radicales d’opinion prirent corps ; hyper-localisées, allant parfois jusqu’à cristalliser ce qui semble l’expression de tentations fascistes, elles se déployèrent de l’intérieur de ce que j’identifierai comme un régime d’opinion dont l’une des caractéristiques est de combattre voire de broyer l’existence de tout régime de pensée, de tout régime réflexif et discursif qui n’est pas le sien.

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Les trois configurations analysées ici relèvent toutes de séquences à la fois brèves et réactives à l’endroit de la justice : les réactions devant le verdict acquittant, le 18 avril 2021, huit jeunes du quartier de la Grande-Borne, prévenus pour tentative d’homicide sur des policiers en 2016 ; la manifestation dite citoyenne en hommage au policier tué à Avignon qui s’est tenue devant l’Assemblée nationale le 19 mai 2021 pendant que le ministre de la Justice y défendait son projet de loi ; la manifestation du 25 avril 2021 contestant l’irresponsabilité pénale de l’assassin de Sarah Halimi après le rejet du pourvoi en cassation déposé par les parties civiles. Affinité, en effet, entre ces trois configurations que la contestation radicale et véhémente d’une institution judiciaire laxiste au point de délivrer des permis de tuer, ici, des policiers, là, des Juifs.

Je pourrais, pour la même séquence, considérer les tribunes de militaires publiées le 21 avril et le 11 mai 2021 par Valeurs actuelles homogènes, par certains aspects, à l’esprit de ce régime d’opinion en animant le spectre d’une guerre civile dont la cause serait le délitement et de la déchéance civilisationnels dus à « l’islamisme et les hordes de banlieue ». Un spectre également très en vogue auprès de certains intellectuels qui tentent de débusquer la « gangrène » islamo-gauchiste partout où elle sévirait en jetant, souvent du haut de leur chaire académique, à la pâture de l’opinion, les noms propres de chercheurs ou d’universitaires sans jamais aucun é


[1] Aussi anecdotiques que soient ces chiffres, il est toujours plaisant de rappeler que, en 2020, les parts d’audience d’Arte – 2,7 % – étaient supérieures à celles de CNews – 1,7 % (45 164 000 spectateurs pour Arte contre 36 084 000 pour CNews). De même, L’Ivresse du pouvoir de Claude Chabrol (9,4 % de PDA et 2 155 000 spectateurs) ou le documentaire Les dernières heures de Pompéi (6,5 % de PDA avec 1 876 000 téléspectateurs) attiraient davantage de public que l’émission Touche pas à mon poste sur C8 (1 683 000 et 6,7 % de PDA).

[2] Les peines les plus basses – 10 et 12 ans – sont motivées par le jeune âge, l’absence d’antécédents judiciaires ou la participation à la manifestation de la vérité. Deux individus ayant reconnu leur participation aux faits écopent d’une peine de 20 ans.

[3] Nicolas Goinard, « Procès de Viry-Chatillon : les raisons d’un verdict incompris », Le Parisien, 12 décembre 2019 ;
Le Monde-AFP, « Policiers brûlés à Viry-Châtillon : six à dix-huit ans de prison pour cinq des accusés, huit acquittements », Le Monde, 18 avril 2021 ;
Libération-AFP, « Policiers brûlés à Viry-Châtillon : huit accusés condamnés à 10 à 20 ans de réclusion », Libération, 12 mai 2019.
Pascale Pascariello et Antton Rouget, « Fiasco judiciaire de Viry-Châtillon : des plaintes pénales contre les enquêteurs », Mediapart, 16 mai 2021 ;
Pascale Pascariello, « Viry-Châtillon : le scandale de l’enquête policière », Mediapart, 20 avril 2021 ;
Pascale Pascariello, entretien avec Foued, acquitté après quatre ans de prison : « Il leur fallait trouver des coupables », reportage vidéo, Mediapart, 21 avril 2021 ;
Pascale Pascariello, Antton Rouget et Antoine Schirer, « Affaire de Viry-Châtillon : comment la police a fabriqué de faux coupables », Mediapart, 16 mai 2021.

[4] Ces enregistrements sont obligatoires depuis 2007 dans le cadre d’affaires criminelles mais ils ne sont consultables qu’en cas de contestation du PV d’audition dans le cadre d’une instruction.

[5] La scène donne alor

Catherine Hass

Anthropologue, Chercheuse associée au LIER-FYT (EHESS) et chargée de cours à Sciences po Paris

Notes

[1] Aussi anecdotiques que soient ces chiffres, il est toujours plaisant de rappeler que, en 2020, les parts d’audience d’Arte – 2,7 % – étaient supérieures à celles de CNews – 1,7 % (45 164 000 spectateurs pour Arte contre 36 084 000 pour CNews). De même, L’Ivresse du pouvoir de Claude Chabrol (9,4 % de PDA et 2 155 000 spectateurs) ou le documentaire Les dernières heures de Pompéi (6,5 % de PDA avec 1 876 000 téléspectateurs) attiraient davantage de public que l’émission Touche pas à mon poste sur C8 (1 683 000 et 6,7 % de PDA).

[2] Les peines les plus basses – 10 et 12 ans – sont motivées par le jeune âge, l’absence d’antécédents judiciaires ou la participation à la manifestation de la vérité. Deux individus ayant reconnu leur participation aux faits écopent d’une peine de 20 ans.

[3] Nicolas Goinard, « Procès de Viry-Chatillon : les raisons d’un verdict incompris », Le Parisien, 12 décembre 2019 ;
Le Monde-AFP, « Policiers brûlés à Viry-Châtillon : six à dix-huit ans de prison pour cinq des accusés, huit acquittements », Le Monde, 18 avril 2021 ;
Libération-AFP, « Policiers brûlés à Viry-Châtillon : huit accusés condamnés à 10 à 20 ans de réclusion », Libération, 12 mai 2019.
Pascale Pascariello et Antton Rouget, « Fiasco judiciaire de Viry-Châtillon : des plaintes pénales contre les enquêteurs », Mediapart, 16 mai 2021 ;
Pascale Pascariello, « Viry-Châtillon : le scandale de l’enquête policière », Mediapart, 20 avril 2021 ;
Pascale Pascariello, entretien avec Foued, acquitté après quatre ans de prison : « Il leur fallait trouver des coupables », reportage vidéo, Mediapart, 21 avril 2021 ;
Pascale Pascariello, Antton Rouget et Antoine Schirer, « Affaire de Viry-Châtillon : comment la police a fabriqué de faux coupables », Mediapart, 16 mai 2021.

[4] Ces enregistrements sont obligatoires depuis 2007 dans le cadre d’affaires criminelles mais ils ne sont consultables qu’en cas de contestation du PV d’audition dans le cadre d’une instruction.

[5] La scène donne alor