Voter pour rien : une vieille histoire
Genève, 1707. Au terme de cinq mois de crise politique, les citoyens de la petite république obtiennent l’introduction d’une « loge » ou isoloir dans les élections, peut-être son utilisation la plus ancienne dans une assemblée populaire, et l’instauration d’assemblées périodiques pour délibérer ensemble des lois tous les cinq ans, dans un esprit de démocratie directe. Comment cet épisode historique quasiment inconnu en France et remontant à une époque plus souvent associée chez nous à l’absolutisme louis-quatorzien qu’aux expériences républicaines peut-il faire écho aujourd’hui dans notre pays, à la veille de l’élection présidentielle ? Comment le détour par l’histoire ancienne du vote, renouvelée récemment par plusieurs études[1], peut-il permettre de faire un pas de côté, de regarder sous un angle un peu différent nos pratiques actuelles ?

Elle peut d’abord nous rappeler combien une protection comme l’isoloir est précieuse, alors que nous avons désormais tendance à l’oublier tant elle nous paraît évidente et naturelle. Dans la République de Genève, le vote obéissait à des principes opposés à notre modèle actuel du vote secret permettant le choix libre et indépendant d’un citoyen-individu. Il devait au contraire inciter à la déférence et toute l’organisation matérielle du vote dans le temple de Saint-Pierre, où avaient lieu les élections, y contribuait, reflétant la hiérarchie sociale et politique dans la République.
Portant la robe longue, les 28 membres du Petit Conseil, qui occupaient leur charge à vie et se cooptaient parmi les grandes familles de la République, dont ils constituaient le gouvernement de facto, siégeaient sur des gradins dans le chœur face aux bourgeois et citoyens réunis en Conseil général. Ces derniers, qui représentaient un tiers de la population masculine adulte, constituaient le peuple au sens politique du populus pourvu de droits, avec une diversité sociale en leur sein, des riches marchands aux artisans modestes des bas métiers