L’engagement écologique des ingénieurs ou l’émergence du cause engineering
Les ingénieurs français seraient-ils devenus des chantres de la décroissance ? Cette question a vivement agité les esprits au lendemain de la cérémonie de remise des diplômes de l’école d’ingénieurs AgroParisTech le 30 avril dernier. Le ton donné par un discours en particulier a en effet diamétralement tranché avec la mise en scène de l’événement qui n’est pas sans rappeler l’ostentation dont sont coutumières les universités étasuniennes.

Huit élèves ingénieurs de la célèbre école d’agronomie, à l’origine du collectif « Des agros qui bifurquent », assènent ainsi une critique sans concession de leur « formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours ». Pourtant abondamment convoquées dans les discours institutionnels comme une panacée salvatrice, les notions d’innovation technologique, de croissance verte et de transition sont ici dénoncées comme des conceptions et des pratiques au service d’un ordre social dominant et d’un modèle économique capitaliste perçus comme responsables de l’urgence écologique en cours.
L’engagement médiatisé de ces jeunes ingénieurs pour la défense des intérêts écologiques peut surprendre à plusieurs titres, et notamment en raison de l’histoire même de la profession et de sa relation tissée avec la nature. Fers de lance du processus de modernisation à l’œuvre en France au cours des révolutions industrielles, les ingénieurs incarnent en effet les représentants du progrès technique à une époque où s’acquiert la vision d’une Histoire téléologiquement guidée par les innovations technologiques fréquemment interprétées comme des « dons de Dieu »[1].
Particulièrement présents au sein du mouvement saint-simonien dans la première moitié du XIXe siècle, une fraction conséquente d’ingénieurs polytechniciens participe activement à l’élaboration d’une utopie prométhéenne visant à réorganiser la société et faire advenir un monde fondé sur l’industrie, le machinisme et parcouru dans son intégralité par un