Art contemporain

L’affaire Druet vs Cattelan : l’art est-il un travail ?

Historien de l’art

L’un conçoit, l’autre façonne. Dans une décision du 8 juillet, le tribunal judiciaire de Paris a débouté le sculpteur Daniel Druet de sa demande de se voir reconnaître la paternité des œuvres modelées pour la star de l’art contemporain, Maurizio Cattelan. Les recherches artistiques et scientifiques actuelles sur les relations entre l’art et le travail permettent de sortir de l’opposition simpliste entre l’art (conceptuel-contemporain) et l’artisanat (manuel-traditionnel) et de repenser de manière plus nuancée l’affaire Druet vs Cattelan.

Depuis mai dernier, le procès opposant les artistes Daniel Druet et Maurizio Cattelan a été largement médiatisé. Si l’affaire se présente comme un cas exemplaire, c’est parce qu’elle oppose deux figures antithétiques, « l’artiste contemporain » à la renommée internationale, qui défend une posture dilettante, et « l’artiste-artisan » qui revendique un savoir-faire traditionnel. Le débat que l’affaire a suscité porte généralement sur la question de l’auteur de l’œuvre : est-ce la personne qui en a eu l’idée ou celle qui l’a réalisée ? Mais ce vieux débat s’inscrit dans un contexte particulier qui en rebat les cartes et devrait nous inciter à éviter tout choix binaire. Dans cet article, je voudrais replacer l’affaire dans un contexte où la frontière entre l’art et l’artisanat, et le travail en général, est interrogée par les artistes et les chercheur·ses, qui développent depuis quelques années des approches politiques et ethnographiques des pratiques artistiques contemporaines.

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Résumé de l’affaire

Depuis un article de Pascale Nivelle dans M Le Magazine du Monde daté du 1er mai 2022, le monde de l’art contemporain français est secoué par une affaire qui oppose deux artistes. D’un côté, le célèbre artiste italien Maurizio Cattelan (né en 1960), représenté par la galerie Emmanuel Perrotin à Paris. De l’autre, un artiste français beaucoup moins connu, Daniel Druet. Né en 1941, ce dernier est un sculpteur formé à l’École des beaux-arts de Paris dans les années 1960, lauréat du prix de Rome en 1967 et en 1968, la plus haute récompense des institutions françaises dans les arts visuels, héritée du système de l’Académie, qui sera abolie par Malraux dans le sillage des événements de Mai 68.

Autant dire que Druet représente un artiste à l’ancienne, qui a reçu une formation académique et qui fabrique lui-même ses pièces dans son atelier de la banlieue parisienne. Il s’est spécialisé ensuite dans l’art sur commande, notamment des portraits en buste très réalistes. À parti


[1] William Morris, L’Art et l’artisanat, trad. T. Gillybœuf, Paris, Rivages poche, 2011 ; Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail [2009], trad. M. Saint-Upéry, Paris, La Découverte, 2010.

[2] Alfred Gell, L’Art et ses agents. Une théorie anthropologique [1998], trad. S. & O. Renaut, Dijon, Les presses du réel, 2009 ; Arnd Schneider et Christopher Wright (éd.), Anthropology and Art Practice, London/Oxford, Bloomsbury, 2013 ; Tim Ingold, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture [2013], trad. H. Gosselin et H.-S. Afeissa, Bellevaux, Éditions Dehors, 2017 ; Thomas Golsenne et Patricia Ribault (éd.), Essais de bricologie. Ethnologie de l’art et du design contemporains, Techniques&Culture, 64, 2015 ; Thomas Golsenne et Francesca Cozzolino (éd.), Par-delà art et artisanat. Approches processuelles et matérielles de la création, Images Re-vues, hors-série 7, 2019.

[3] Yaël Kreplak, « Observer l’œuvre en train de se faire. Analyser l’accrochage d’une installation », in Irina Kirchberg et Alexandre Robert (éd.), Faire l’art. Analyser les processus de la création artistique, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 121-42.

[4] Arnaud Dubois, La Vie chromatique des objets. Une anthropologie de la couleur de l’art contemporain, Turnhout, Brepols, 2019.

[5] Maxime Le Calvé, « Ethnographie dans l’espace de la “Dictature de l’Art” de Jonathan Meese. Comment bien “laisser faire ce qui arrive” », Techniques&Culture, 64, 2015.

[6] Par exemple Emmanuel Grimaud, Bollywood film studios ou comment les films se font à Bombay, Paris, CNRS éditions, 2003 ; Sophie Houdart et Chihiro Minato, Kuma Kengo. Une monographie décalée, Paris, Éditions Donner Lieu, 2009.

[7] Christophe Viart (dir.), Les Mots de la pratique. Dits et écrits d’artistes, 2 vol., Marseille, Le mot et le reste, 2018-2019.

[8] Ileana Parvu, Jean-Marie Bolay, Bénédicte le Pimpec, Valérie Mavridorakis (éds.), Faire, faire faire, ne pas faire. Entretiens sur la production de l’art c

Thomas Golsenne

Historien de l’art, Maître de conférences en histoire de l’art et études visuelles à l’Université de Lille.

Notes

[1] William Morris, L’Art et l’artisanat, trad. T. Gillybœuf, Paris, Rivages poche, 2011 ; Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail [2009], trad. M. Saint-Upéry, Paris, La Découverte, 2010.

[2] Alfred Gell, L’Art et ses agents. Une théorie anthropologique [1998], trad. S. & O. Renaut, Dijon, Les presses du réel, 2009 ; Arnd Schneider et Christopher Wright (éd.), Anthropology and Art Practice, London/Oxford, Bloomsbury, 2013 ; Tim Ingold, Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture [2013], trad. H. Gosselin et H.-S. Afeissa, Bellevaux, Éditions Dehors, 2017 ; Thomas Golsenne et Patricia Ribault (éd.), Essais de bricologie. Ethnologie de l’art et du design contemporains, Techniques&Culture, 64, 2015 ; Thomas Golsenne et Francesca Cozzolino (éd.), Par-delà art et artisanat. Approches processuelles et matérielles de la création, Images Re-vues, hors-série 7, 2019.

[3] Yaël Kreplak, « Observer l’œuvre en train de se faire. Analyser l’accrochage d’une installation », in Irina Kirchberg et Alexandre Robert (éd.), Faire l’art. Analyser les processus de la création artistique, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 121-42.

[4] Arnaud Dubois, La Vie chromatique des objets. Une anthropologie de la couleur de l’art contemporain, Turnhout, Brepols, 2019.

[5] Maxime Le Calvé, « Ethnographie dans l’espace de la “Dictature de l’Art” de Jonathan Meese. Comment bien “laisser faire ce qui arrive” », Techniques&Culture, 64, 2015.

[6] Par exemple Emmanuel Grimaud, Bollywood film studios ou comment les films se font à Bombay, Paris, CNRS éditions, 2003 ; Sophie Houdart et Chihiro Minato, Kuma Kengo. Une monographie décalée, Paris, Éditions Donner Lieu, 2009.

[7] Christophe Viart (dir.), Les Mots de la pratique. Dits et écrits d’artistes, 2 vol., Marseille, Le mot et le reste, 2018-2019.

[8] Ileana Parvu, Jean-Marie Bolay, Bénédicte le Pimpec, Valérie Mavridorakis (éds.), Faire, faire faire, ne pas faire. Entretiens sur la production de l’art c