Le temps des expulsions
L’attente est, dans les sociétés inégalitaires, l’« une des manières privilégiées d’éprouver le pouvoir, et le lien entre le temps et le pouvoir »[1]. C’est pour cette raison qu’elle constitue le socle de la critique ordinaire des institutions, dénoncées pour leurs retards et leur lenteur, en même temps qu’elle offre une rhétorique efficace – et inépuisable – à tous les entrepreneurs politiques de la « réforme de l’État ». Dernier exemple en date : la proposition de loi contre « l’occupation illicite des logements », adoptée en première lecture le 22 novembre 2022 par l’Assemblée nationale, qui vise à accélérer les procédures d’expulsion locative.

Cette proposition législative alourdit les sanctions pénales contre les squatteurs de locaux vacants (qui encourront désormais trois ans de prison ferme) et modifie en profondeur les règles du contentieux des expulsions. Elle limite le pouvoir d’appréciation du juge civil et réduit le délai accordé aux locataires endettés pour rembourser leur dette. Ses promoteurs veulent également instaurer une peine de prison contre les familles qui, condamnées par le tribunal, ne quitteraient pas immédiatement les lieux après avoir reçu leur jugement d’expulsion. Cette mesure remet à l’ordre du jour ce que les siècles passés nommaient la « contrainte par corps », soit l’emprisonnement pour dette civile et commerciale, abrogé en France en 1867. À toutes les étapes du débat au Parlement, un même argument est avancé par les députés à l’initiative du texte : la volonté de réduire les délais de procédure, afin de permettre aux propriétaires-bailleurs de récupérer plus rapidement leur capital immobilier, vidé de leurs occupants impécunieux.
Il est vrai qu’en France mettre des familles à la rue prend du temps : des mois, parfois des années. Le temps de fixer une date d’audience, puis de solliciter et de faire intervenir la force publique contre les individus qui ne quittent pas les lieux après leur condamnation judiciaire. Mais cette