Savoirs

Image floue, histoire myope – coda à la querelle Didi-Huberman / Traverso (2/2)

Historien de l'art

Une photographie de presse n’est jamais seule : elle a des attaches qui l’ancrent dans un monde d’images qui l’excède et nous permettent de mieux l’appréhender. En replaçant la photographie de Gilles Caron dans une séquence adéquate, Guillaume Blanc-Marianne, dans le deuxième volet de ce texte qui fait suite au débat entre Georges Didi-Huberman et Enzo Traverso, apporte une réponse claire quant à l’identité politique des deux manifestants : des Catholiques qui se soulèvent pour leur indépendance.

En raison d’une légende imprécise, sinon erronée, un épais brouillard s’est formé devant une image, dans lequel on a débattu et on s’est débattu. Une partie en a été levée ; l’autre demeure, qu’il s’agit dissiper.

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Le jour de la Bataille du Bogside où Gilles Caron photographie deux manifestants de dos, du brouillard, il y en a : la veille au soir, le 12 août 1969 juste avant minuit, une heure après que deux députés ont affirmé qu’il n’était plus question d’une « opération de police » mais d’une « opération militaire »[1], les RUC ont commencé d’utiliser les gaz lacrymogènes (« CS Gas », en anglais) qu’ils n’avaient pas employés depuis quinze ans[2]. C’est le début d’une nuit où 1091 cartouches et 14 grenades seront tirées, conduisant 373 personnes à l’hôpital[3]. L’usage des CS Gas est si massif, cette nuit-là, que leur nuée pénètre les maisons et fait s’étouffer les plus âgés[4]. Le lendemain, Eamon McCann, officier d’information de la DCDA, fait circuler un feuillet sur la façon de s’en protéger. Les images de Caron commencent alors à se peupler de masques improvisés (fig. 16 et 17) et à se ternir, comme des grisailles.

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C’est dans ce contexte intensifié, qui fait mentir l’expression euphémique de « Troubles », que nos deux manifestants, ces manifestants qui nous tournent le dos et nous font tourner autour de la réalité des faits, sont photographiés par Caron. Si l’on ne peut dissiper nous-mêmes le brouillard lacrymogène, le flou qui cause tant de peines et d’indécisions à notre savoir, lui, peut l’être. C’est alors par une attention redoublée aux images elles-mêmes, à ce qu’elles montrent tout autant qu’à ce qu’elles dissimulent, qu’il faut en passer, de même que par une confrontation des images entre elles : en matière de photojournalisme, une image n’est jamais seule et ne devrait jamais l’être.

Vous avez en effet souligné, Enzo Traverso, un élément qui vous a légitimement conduit dans les régions incertaines du doute, voire du soupçon : le flou, qui nous prive de toute certitude quant à l’arrière-plan. Lorsque le contenu de la photographie qui nous occupe n’est pas remis en question et que l’on tient pour acquis qu’il s’agit de manifestants catholiques, le poids de l’évidence – accablant, comme souvent – désigne un cordon de policiers. Certitude caduque, dès lors que ladite évidence est remise en question. Authentifier n’est plus possible, car ces « silhouettes indistinctes », comme vous l’avez fait remarquer, pourraient bien être celles de « pompiers venus éteindre les incendies provoqués par les riots orangistes (une hypothèse qui correspond parfaitement à la chronique de ces journées dramatiques)[5]. »

Ce flou-là n’est en rien cet « indice de réel et d’immédiat, [cette] sorte de garant moral de l’instantané » que Raymond Bellour trouvait dans le flou de bougé : il n’a pas pour but d’« intégrer la trace du mouvement visible » pour en définitive « mieux voir, ou plutôt […] voir autrement ce qui est net » [6], bien au contraire. Dans notre cas, vous l’avez vous-même souligné, Enzo Traverso, le mouvement est parfaitement arrêté : « L’image le surprend au beau milieu de son élan, le corps tendu par l’effort[7] ».

Parce qu’il étouffe l’arrière-plan, ce flou-là est avant tout un obstacle cognitif. Il est l’antithèse de cette mémoire qu’on appelle « photographique », qui se remémore tout très nettement, et du coup la marque formelle, bien souvent, de la réminiscence, du rêve, de l’ineffable[8]. Puisqu’il est ici question d’informer, le message s’en trouve déstabilisé, en partie recouvert par un bruit de fond qui le dérobe à la supposée rationalité de la vision et trahit le médium dans le rôle d’« analogon parfait[9] » qu’il est censé incarner. Dans le cas de la photographie de Caron, quelle que soit l’interprétation qu’on en donne, ça ne tient pas : catholiques pour les uns, protestants pour les autres ; faisant tour à tour face à des policiers ou à des pompiers, ou tout autre corps en uniforme. On n’y voit rien, ou si peu, ce qui vous a d’ailleurs fait prendre des précautions, Enzo Traverso, en n’avançant qu’une « hypothèse ». Ce flou-là fait bel et bien baver le réel et l’obscurcit ; il en fait un danger potentiel, comme lorsqu’on avance à tâtons dans le noir. Et lorsque la vue est myope, le savoir l’est aussi. Dans le cas de la photographie de Caron, il ne distingue que le premier plan : c’est un savoir superficiel. À défaut de pouvoir adapter notre vision devant cette image qui, de toute façon, ne changera pas comme le fait celle que le photographe perçoit dans son viseur en faisant sa mise au point, l’on peut toujours tenter de regarder ailleurs.

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La planche-contact sur laquelle se trouvent nos manifestants d’août 1969, portant le numéro 16434 (fig. 18), lève le voile. Gilles Caron a l’habitude de multiplier les vues d’une même scène en introduisant des variations dans la forme qu’il choisit pour la représenter. Il ajuste et réajuste ici sa mise au point, qui redimensionne sa profondeur de champ, soit la zone au sein de laquelle tous les éléments sont nets : l’arrière-plan étant donc plus nettement perceptible sur la vue qui précède la photographie en cause (fig. 19), il ne fait aucun doute que les manifestants font face à des policiers, identifiables comme tels par leurs boucliers et, plus rarement car plus dissimulées, leurs matraques. J’écarte volontairement les blouses et les casques, parties de leur uniforme qui pourraient aussi être, comme vous l’avez remarqué, Enzo Traverso, celles de pompiers.

Il y a en tout cas un choix délibéré de la part de Gilles Caron, qui a voulu livrer deux visions d’une même scène. Ce flou-là n’est donc pas que le fruit d’une contrainte technique, mais bien le choix d’un opérateur qui a appris à manier parfaitement son appareil, avec toute la rapidité requise sur le terrain – témoins les nombreux essais de lumière qu’il réalisait au début des années 1960 avec sa femme pour modèle, alors qu’il n’était pas encore professionnel ; témoins aussi les planches-contact elles-mêmes, qui rassemblent très peu de photographies « ratées ».

Lorsqu’il travaille à un reportage, Caron doit composer avec les contraintes graphiques de la presse illustrée : des dimensions, qui varient d’un titre à l’autre et de la simple à la double-page, rarement homothétiques au format d’une photographie enregistrée sur un film 35 mm (ou 24 x 36 mm). Un tel choix formel, cadrant ces deux individus qui se dessinent nettement sur un arrière-plan moins « lisible » car moins détaillé, peut parfaitement convenir à une double-page dans un magazine d’information illustré tel que Paris-Match ou L’Express – deux clients importants de l’agence Gamma. Si cette photographie était retenue pour une double-page, les deux individus de dos occuperaient en effet chacun une page, tout en libérant suffisamment d’espace à chacun de leur côté pour une colonne de texte par page, texte dont la lisibilité serait garantie par le flou dont les colonnes se détacheraient. Au-dessus de leurs têtes, l’espace serait quant à lui suffisant pour un titre : du pain béni pour les maquettistes. Si je ne m’abuse, c’est exactement l’option graphique qui a été retenue pour la couverture de l’ouvrage Soulèvements, si l’on considère d’un même coup d’œil la première et la quatrième de couverture : sur la première, le titre, vertical, se dresse au côté d’un manifestant ; sur la quatrième, une citation d’Henri Michaux, tout aussi verticale, est adossée à l’autre.

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Au-delà de la « frontière du visible », que Michel Makarius a longée et scrutée dans son Histoire du flou, se situe ainsi la possibilité pratique du lisible. Il ne s’agit donc pas d’une approximation, ni d’une contrainte technique insurmontable, mais d’un dégagement escompté du visible en attente du dicible. Du point de vue de la presse, les « présences sans visage », auxquelles Makarius a consacré un chapitre de son ouvrage[10], animent l’image d’une activité humaine et d’une atmosphère de conflit tout en amoindrissant le « bruit » (visuel) qui nuirait à la bonne lecture du texte. Cela, Caron le sait et a pour habitude d’en tenir compte : il n’est pas rare que ses photographies d’une facture similaire (figures nettes en opposition à un arrière-plan flou ou dégagé) soient publiées en double-page. Lorsqu’il n’a pas pu (ou voulu) prendre de telles précautions, la presse peut toujours y remédier : le détourage, réalisé par des retoucheurs le plus souvent à la gouache blanche ou noire, rejoue la « hiérarchie naïve de la figure et du fond[11] » dont vous avez parlé, Georges Didi-Huberman, pour répondre aux besoins de la maquette et extraire un emblème d’une image, au détriment du contenu (fig. 20). Le retoucheur clarifie ainsi le message – et le simplifie – en contraignant le regard à ne voir que ce qui persiste. Tel est d’ailleurs le choix fait pour la couverture d’un ouvrage photographique ces journées d’août 1969, The Battle of Bogside de Clive Limpkin (fig. 21).

Pour obtenir une netteté complète du premier à l’arrière-plan, Caron peut tout à faire privilégier un objectif à plus grand angle (c’est-à-dire avec une focale plus courte), qui lui offrirait une profondeur de champ bien plus importante. S’il ne le fait pas, c’est précisément parce que la gestion du flou et du net que lui permet une focale plus longue lui donne une capacité d’anticipation sur les attentes et les pratiques de la presse. Il en va de même pour les couvertures. Caron travaille avec deux appareils, ainsi qu’en témoigne, parmi d’autres, une photographie de Charles-André Habib portée à notre connaissance alors que nous préparions notre exposition, le montrant à l’œuvre dans les rues de Derry. S’il veut obtenir la Une de Paris-Match ou ses équivalents allemand (Stern), italien (Epoca) ou encore portugais (Fatos e Fotos), non seulement le format vertical s’impose, mais la couleur aussi, eu égard des développements récents de la presse illustrée et de la demande croissante de couleur, notamment pour un usage « spectaculaire[12] ». D’où les multiples portraits (verticaux, en couleurs, à l’arrière-plan flou) qu’il réalise, tout comme Clive Limpkin, d’un jeune catholique portant négligemment un masque à gaz sur la tête et une petrol bomb à la main. L’un d’eux sera reproduit en Une du Paris-Match du 23 août 1969 (fig. 22).

L’image précédente – celle qui laisse apparaître nettement les policiers –, quant à elle moins exploitable pour des raisons exactement inverses à celles qui font de l’image qui vous oppose une « bonne » image du point de vue du maquettiste ou de l’iconographe, a pu être conçue comme une note visuelle laissée par Caron à celles et ceux qui manipuleraient ses photographies. C’est un geste équivalent à celui d’un cameraman présent lors de ces journées d’émeutes à Derry, qui, alors qu’il filme des RUC lançant eux aussi des pierres, « coupe » sa séquence pour zoomer sur un panneau de rue et réajuste sa mise au point pour indiquer où nous sommes sans ambiguïté (Sackville Street (fig. 23)). La « note visuelle » de Caron, qui montre du doigt ce que l’autre image occulte, permet de lever le doute quant aux parties impliquées et de rédiger en conséquence une légende plus ou moins convenable. Caron, journaliste, apporte une précision.

Il met ainsi ses propres images au travail, de sorte à ce que son travail reste intègre, « dans la mesure de [s]es moyens[13] » : leur coexistence produit du sens ou une inflexion du sens que sont invités à interpréter celles et ceux qui font usage de son reportage et le préparent pour sa diffusion. Mais là encore, les intentions du photographe ou même seulement la réalité des faits sont rarement considérées. Il en va ainsi pour la photographie du soldat à la cigarette au Viet Nâm que j’ai évoquée plus tôt. À la faveur d’un regard voilé, France-Soir s’autorise à en faire un moment de répit volé au chaos de la guerre, alors que, là encore, Caron avait multiplié les vues éclaircissant l’arrière-plan, cette fois non pas en changeant la mise au point mais en ajustant l’exposition de l’arrière-plan, qui était « brûlé », justement. Ces images montrent clairement ce qu’il documentait et que la chaîne de publication occulte : un crime de guerre (fig. 24).

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Il est bien connu qu’on qualifie d’« icônes » les photographies les plus mémorables de l’histoire de la presse illustrée, désignant par ce vocable une forme d’adoration des images, mais adoration produite et prescrite par la presse, tout comme les icônes religieuses étaient produites et prescrites par l’Église. Une « icône », c’est une image qui n’aurait pas même besoin d’une légende[14] : elle parle pour elle-même et « tout le monde » sait à quoi elle se réfère. On sait peut-être moins qu’il a aussi été coutume d’appeler certaines images de la presse des « Fragonard[15] » : images séduisantes par leur potentiel plastique, leur virtuosité formelle, au point que leur contenu en devient superflu pour un regard – un savoir – non averti. On a en main un « Fragonard » lorsque les seules qualités formelles de l’image deviennent un critère justifiant sa publication, sans égard pour sa valeur informative. La photographie des deux manifestants pourrait bien n’être qu’un « Fragonard », si l’on en retient d’abord l’« harmonie corporelle », l’« élégance des gestes », ou l’ « impression de légèreté qui s’en dégage »[16] et que, ce faisant, on élude son contenu politique. C’est l’accusation qui vous a été faite, Georges Didi-Huberman, à plusieurs reprises d’ailleurs. Du moins vous a-t-on accusé d’apprécier cette image, et tant d’autres, seulement comme de bien frivoles Fragonards. Je n’entrerai pas dans ce débat, qui me semble surtout questionner une hypothétique « bonne » façon de montrer les soulèvements, pour m’en tenir plutôt au sujet spécifique de la photographie de presse.

Révoquer par principe la dimension esthétique d’une photographie de presse, c’est précisément méconnaître les usages de la presse et, de fait, désarmer toute intention critique. Toute photographie, même si elle n’a supposément que vocation à informer, a une forme – déterminante, on l’aura compris. Forme qui détermine le contenu factuel et partant, le contenu politique. Les choix formels du photographe et de celles et ceux qui manipulent son image après lui ont donc leur effet ; ils sont parfois contradictoires, comme le montre ce débat. Caron, par ses choix – le flou, par exemple –, prend donc le risque de ne pas se faire comprendre même s’il multiplie les techniques pour se faire entendre. Il est encore dans une forme de négociation où il amenuise la « dénotation » photographique pour faire place à la « connotation » textuelle, ce à quoi il est invité par son pragmatisme professionnel : s’il fait des images, c’est pour les publier ; pour les publier, il faut qu’elles soient conformes aux attentes de la presse ou qu’elles puissent l’être. Plutôt que de disqualifier un quelconque formalisme ou une quelconque « esthétisation » au profit d’un contenu factuel et politique correct, mieux vaut prendre la dimension esthétique pour ce qu’elle est : une partie intégrante de la photographie de presse et, en tant que telle, une orientation pour son contenu politique et un marchepied pour sa puissance effective. Plutôt que de faire du regardeur (fût-il commissaire) le seul maître d’œuvre de l’« esthétisation », mieux vaut tenter de comprendre en quoi elle consiste du côté de ceux qui la produisent : le photographe (qui esthétiserait la violence qu’il photographie), le retoucheur (qui apprêterait la photographie pour le bal de sa publication), le maquettiste (qui accentuerait son efficacité formelle par la mise en page) et, bien sûr, le rédacteur (qui en amplifierait la charge poétique par la légende), etc.

La photographie de presse a rarement, à ma connaissance, les qualités du « document » : elle est au contraire un magma maniériste où se rencontrent toutes sortes de marques de subjectivité, au point qu’a été forgée la notion de « photoreportage d’auteur[17] » et que nombre de photojournalistes ont finalement choisi la voie du musée. Il y a des « formes de l’information[18] », qui ne sont pas nécessairement celle du document. D’un point de vue formel, l’intention documentaire, qui prétend à la neutralité, relève après tout elle-même d’un style : c’est la leçon du travail de l’historien de la photographie Olivier Lugon, qui a décelé dans les formes censées acter du « retrait » de l’auteur une véritable signature visuelle[19]. Caron, a bien des égards, marque sa présence dans la scène, comme lorsqu’il se mêle, coude à coude, aux soldats américains lors de la bataille de Dak To sur la colline 875 au Viet Nâm et adopte leur point de vue, quitte à devenir lui aussi une cible par indistinction. Ces images, gages de sensationnalisme, seront très largement prisées et Henrotte, directeur de Gamma, dira après leur publication que « Caron, c’est devenu, plus que jamais, vraiment quelqu’un[20]. »

Par ailleurs, les conflits sont aussi, c’est certain, des terrains où se manifestent un sens esthétique, si l’on veut bien étendre la notion au-delà de ce à quoi le sens commun la réduit, à savoir le domaine du beau ou de l’agréable. À travers des gestes, des attitudes, des regards, mais aussi des signes (drapeaux, affiches, banderoles, graffitis) le sens de la lutte est introduit dans la sphère du sensible. « Les rires et les larmes, écrivez-vous d’après Trostki, Enzo Traverso, font partie de la vie et ne peuvent être effacés des drames collectifs qui donne son rythme à l’histoire. Les humeurs, les passions, les sentiments des individus, des classes et des masses en mouvement, méritent la même attention que Proust consacre, sur des dizaines de pages, aux états d’âmes et à la psychologie de ses personnages[21]. » Le photojournaliste est là pour prélever ces manifestations affectives et retenir, comme d’autres après lui, les plus symboliques. Clive Limpkin le formule ainsi, à propos de l’enfant au masque à gaz : « si, nous les photographes, avions besoin d’un symbole du combat, le voici. Portant un masque trop grand, une petrol bomb qu’il semble avoir toujours eue en mains, et une carte de tout le problème sur sa veste. Pendant des heures il a nargué la police et les troupes, ignorant les objectifs. Il avait à peu près huit ans. Dieu sait où il en est maintenant[22] ».

Mais il faut aussi aller plus loin et dépasser les seuls besoins du photographe, sans quoi l’on pourrait toujours finir par accuser le photographe de voyeurisme, de se rincer l’œil et de rincer ceux des regardeurs, tout en se remplissant les poches grâce au malheur des autres dont il fait son commerce (c’est un grand classique, et il est souvent légitime). En l’espèce, Caron a sa figure du lanceur – emblème s’il en est de la révolte[23] –, mais il a aussi sa figure du poseur. Gilles Saussier, photographe qui a fait ses adieux à la presse pour repenser sa pratique sur un mode critique[24], le disait ainsi à propos des photographies de Caron en Irlande du Nord : « pourquoi toujours mettre au crédit du photographe ce qui appartient à ses sujets[25] ? » Lui aussi passé par l’Irlande du Nord, plus tard, il nous confiait son expérience, soulignant l’appétence des Catholiques pour les objectifs et leur promptitude à poser. En effet, l’évènement photographié, dont une exposition au Jeu de Paume a proposé une lecture féconde[26], est aussi un « événement photographique[27] » qui implique toujours l’opérateur, son sujet et le spectateur à venir – c’est la thèse centrale de la réflexion de l’artiste, historienne et philosophe Ariella Azoulay.

Parmi les Catholiques, Caron trouve de nombreux poseurs dont il obtient facilement la complicité. C’est encore le gamin qui n’a peur de rien avec son masque à gaz et sa petrol bomb à la main et qui, contrairement à ce qu’en dit Limpkin, n’ignore pas du tout les objectifs (fig. 25). Il a posé et il a réussi son pari, en devenant pour le coup une icône à proprement parler des Troubles : on l’a vu en 1969 en couverture de Paris-Match, en 1972 en couverture du livre de Clive Limpkin et son portrait est aujourd’hui visible dans le Bogside sous la forme d’une immense fresque murale (il s’appelait Paddy Coyle, il avait treize ans et non huit en 1969 et il est mort il y a deux ans[28]). C’est tel autre adolescent, nonchalamment adossé sur un mur et faisant face à un militaire, dont la posture désinvolte est on ne peut plus signifiante et laisse comprendre que la lutte ne se termine pas avec l’arrivée des troupes britanniques (fig 26). C’est aussi un vieil homme dans les rangs des Apprentice Boys, sûr de sa supériorité, qui menace de son regard non pas le photographe – pas forcément le bienvenu chez les unionistes –, mais son objectif, laissant Caron déclencher deux fois : il pose (fig. 27).

Vouloir priver le regardeur (qu’il soit historien et commissaire ou lecteur de Paris-Match) de se préoccuper de tout cela, cela revient finalement à taire une dimension importante de ce que sont les soulèvements. D’où l’ineptie, d’ailleurs, d’une politique « non pathétique » et « non expressive »[29], hors du monde sensible. Ce n’est évidemment pas ce que vous faites, Enzo Traverso, puisque vous convenez vous-mêmes que « parce qu’elles sont des césures violentes du continuum de l’histoire, les révolutions sont vécues intensément[30]. » Il me semblait seulement important de le rappeler ou de le réaffirmer autrement, à partir du travail de Caron, pour faire entendre que le terme « esthétisation » n’est pas le bon pour désigner une action ou un procédé qui consisterait, après-coup, à dégorger les images de leurs contenus politiques. Cela, on l’appelle dépolitisation, ce qui ne touche en rien aux formes, mais bien aux contenus politiques et historiques des images, pour supposer en somme qu’elles ne sont que formes et que les formes n’offriraient aucun contenu politique ou historique – ce qui est faux, cela s’entend.

On tend trop souvent à oublier le sens que Walter Benjamin, cité à outrance et sans ménagement, donnait au terme « esthétisation » dans sa réflexion sur l’« esthétisation de la politique ». Parlait-il en fait d’une dépolitisation de la politique ? Sûrement pas ; il désignait par là un acte transitif, à savoir l’appareillage technique, formel, visuel et plus largement culturel du régime fasciste, dont Éric Michaud a livré une admirable analyse[31]. Il dénonçait, en somme, une stratégie d’embellissement de la vie sous le fascisme, propre à créer un sentiment de supériorité et d’appartenance nationale et à légitimer ainsi le discours national-socialiste. Acte auquel doit répondre un acte tout autant transitif : la « politisation de l’art », qui n’est pas un miracle par lequel toute image peut soudainement contracter une charge politique, mais une prise de position, qu’il expose par ailleurs dans sa célèbre conférence sur « L’auteur comme producteur[32] », précisément donnée dans le cadre de l’Institut pour l’étude du fascisme.

Employé comme il l’a été par exemple Gilles Lipovetsky et Jean Sarroy[33] pour parler de la stylisation aguicheuse du monde et des marchandises par le capitalisme, le terme « esthétisation » est adéquat. Il y a aussi esthétisation, si l’on veut, lorsqu’un retoucheur élimine à la gouache blanche l’arrière-plan d’une photographie de Caron – et, dans ce cas, il y a bel et bien une entrave à la charge historique et politique de l’image, les figures étant isolées de leur milieu et donc extraites du flux de l’histoire dont la photographie tire un copeau. Lorsqu’on brandit le mot « esthétisation » pour supposer une sorte d’infamie qui consisterait, en raison d’une attention aux formes, à priver des images de leurs contenus historiques et politiques, il perd son sens ; du moins ne dit-il pas grand-chose, puisque les formes sont toujours-déjà là et procèdent du régime sensible qui est, on peut le dire sans rougir grâce à Jacques Rancière, au fondement du politique[34], voire se confond avec lui, comme le suppose Ariella Azoulay en nous invitant à nous  « débarrasser de la distinction entre esthétique et politique[35] ». L’accusation d’« esthétisation », toujours calomnieuse, est de fait sans objet dans ce cas.

Fort heureusement, Emmanuel Alloa et Christoph Haffter ont récemment proposé une synthèse historiographique riche et complète des significations du terme[36]. Elle dissipe la confusion qui s’est répandu au fil des usages du terme et à force de citer Benjamin sans s’enquérir du sens profond de son propos, qu’Alloa et Haffter explicitent. Il en ressort que l’esthétisation sert plutôt à « intensifier l’expérience » ou, dans une logique purement marchande, à « accroître l’attrait des objets »[37]. Si les usages de l’esthétisation varient et se contredisent – par exemple entre les injonctions militantes de Mai 68 à « placer l’imagination au pouvoir » et celles qui leur succèdent, marchandes cette fois, à se construire une apparence singulière –, elle donne lieu à deux grandes catégories d’interprétation : d’une part, dans une veine situationniste, « c’est la spectacularisation par les médias qui est dénoncée, la théâtralisation de la politique et le triomphe des économies pulsionnelles » ; d’autre part, elle peut sonner comme la « prise en considération, à l’âge de la modernité tardive, des affects et des goûts dans la construction d’un sens commun. »[38] Leur synthèse ne soutient et n’explicite jamais une définition de l’esthétisation comme « dépolitisation » d’un objet « esthétisé » par son regardeur ou son commentateur ; parce que cela reviendrait tout simplement à confondre, par un curieux renversement, esthétisation et anesthésie.

En fait, la seule modalité qui s’en rapproche, où « esthétisation » équivaut effectivement à « dépolitisation », se trouve chez Carl Schmitt, juriste officiel du IIIe Reich pour qui l’avènement du régime nazi répond, par un pouvoir fort, autoritaire, à une longue séquence de dépolitisation qu’il fait remonter à ce qu’il appelle le Romantisme politique[39] : l’esthétisation, conçue comme une ivresse résultant de l’omnipotence symbolique de l’artiste, aurait détourné le peuple de l’essence et de la tâche du politique. Et Alloa et Haffter d’ajouter, en étayant leur propos de documents, que Walter Benjamin aura en fait tout simplement repris la thèse de Schmitt pour en inverser les termes et lui opposer une contradiction[40].

Celles et ceux qui, sonnant l’alarme de l’« esthétisation », ont pensé que l’exposition Soulèvements procédait d’une telle dépolitisation, ont bien pu trouver quelques prises légitimes dans des rapprochements d’images, de textes ou de documents pouvant désarçonner la morale   que produit la séparation franche et nette de l’esthétique et du politique. On a pu voir, dans ses juxtapositions, la cause comme l’effet d’une oblitération de la violence politique pour lui substituer un agréable jeu formel et chromatique. Le problème de cette critique, cependant, est qu’elle a tendance à prendre son point de vue pour celui du commissaire, jugeant que de tels assemblages nivelaient les différences et déhiérarchisaient les enjeux éthiques et politiques de leurs sujets, quitte à les faire disparaître dans un maelström « esthétisant ». Il me semble qu’il eût été plus judicieux d’y repérer des confrontations et d’évaluer les tensions que produisaient ces articulations. D’autre part, cette même critique m’a semblé aussi reposer sur ce qui est à vrai dire un poncif de l’histoire de l’art et qu’elle a donc compris comme un atavisme des historiens de l’art, à savoir l’idée que les artistes seraient ou pourraient être les moteurs de la Révolution.

Or, les cas ne sont pas si nombreux, comme Gustave Courbet par exemple, qui ont effectivement joué un rôle stratégique. Un critique d’art prolétarien comme Boris Arvatov pouvait ainsi écrire en 1926, non sans provocation mais à juste titre, que « Delacroix peignant des scènes de barricades n’a pas plus aidé le mouvement révolutionnaire français que Géricault avec ses chevaux de courses[41]. » Les artistes font plutôt ce qu’ils peuvent, « dans la mesure de [leurs] moyens » comme le formulait en toute humilité Gilles Caron à propos de son travail : en peignant, en sculptant, en photographiant, en dansant ou en chantant s’il le faut. Arvatov abondait ensuite, estimant que « les grands maîtres de la peinture ont vécu douloureusement leur situation d’isolement et de détachement de la vie, lorsque leurs tableaux, destinés à avoir une influence sur l’humanité, étaient au contraire emmuré dans les musés ou soigneusement mis à l’écart du monde dans l’hôtel particulier d’un riche bourgeois[42]. » De fait, attribuer à l’art un pouvoir trop grand et qu’il n’a pas forcément demandé conduit nécessairement à faire le constat de son échec, ou, plus précisément, à reprocher à Soulèvements de considérer « l’image d’une soufflerie ou d’un monsieur en équilibre sur une chaise inclinée [comme] le summum de la subversion[43]. »

Il est sûrement plus juste de composer avec la réalité sociale de l’art, de son système institutionnel et mercantile et de les admettre pour ce qu’ils sont – ce qui n’empêche pas de souhaiter ou de prendre part à leur transformation, absolument nécessaire. Il était donc excessif de penser trouver au Jeu de Paume une exposition qui serve directement la perspective révolutionnaire, puisque comme son commissaire l’annonçait, elle n’avait pour but que de réveiller ou d’abreuver les désirs d’émancipation – émancipation qui ne s’effectuera sûrement pas dans une salle de musée, devant des œuvres encadrées. Pour autant, écrire, penser ou faire des expositions ne reviennent pas à ne rien faire : c’est toujours une forme de contribution. Idem pour la production des artistes ou de la critique, comme nous le rappellent par exemple deux brillants ouvrages tout à fait récents, sur l’avant-garde artistique espagnole sous le franquisme[44] et les incidences artistiques de l’opéraïsme italien[45] : l’art résonne avec les luttes sociales et politiques de son temps, s’en fait le dépôt ou y participe (toujours dans la « dans la mesure de [ses] moyens »…), et permet d’éclairer les soulèvements sous un autre angle.

L’exposition de Georges Didi-Huberman a bien pu contenir quelques erreurs – la légende de la photographie de Caron (et non la photographie elle-même) en fait partie – mais pas de quoi, à mon sens, remettre en cause tout un projet qui s’inscrit par ailleurs dans une recherche au long cours ayant donné lieu à plusieurs livres, et n’a pas eu pour but de la sanctionner, comme pour en livrer les conclusions définitives.

Ceci étant dit, Soulèvements, on ne peut le nier, a pu tabler sur une décontextualisation historique, ou quelque chose qui y ressemblait pour le spectateur inaccoutumé aux anachronismes et aux mélanges de genres – on a d’ailleurs pu lui reprocher son manque de pédagogie. Mais j’ai compris, parce que l’intention en était clairement exprimée, qu’il s’agissait de procéder in fine à une recontextualisation iconologique, pour retrouver l’historicité des soulèvements par d’autres chemins, encore largement inusités : ceux de la sensibilité, qui méritent d’être affranchis de toute pédagogie, pour que chacune et chacun soit libre de sentir comme bon lui semble. À moins que ne soit mise en jeu une forme de maïeutique visuelle, proposant au spectateur de voir pour savoir, plutôt que de lui dire quoi et comment regarder, et quoi penser.

Les formes et leurs effets participent du contenu politique, nous sommes d’accord. Toute image est un gage de l’ordre sensible, qui est le sujet de l’esthétique (entendue comme discipline ou méthode). Cet ordre est toujours perturbé lors de la rencontre entre l’image et son spectateur, ce qui explique en partie les passions que déchaînent les images, qui n’ont d’ailleurs rien d’archaïque, contrairement à ce qu’en disent les iconoclastes de salons qui refusent aux autres les craintes dont ils font leur commerce. C’est ce dont votre livre, Enzo Traverso, apporte brillamment la preuve, en resituant le rôle des représentations dans les dynamiques révolutionnaires. Laissons-nous donc l’opportunité d’en tirer parti, quitte à placer, temporairement et heuristiquement, l’ordre du sensible dans un régime d’autonomie : c’est en définitive ce qui permet aussi, depuis un détour par les formes et leurs significations, d’établir des savoirs bels et bien politiques.

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Vous avez aussi supposé, Enzo Traverso, à juste titre d’ailleurs puisque nous en sommes désormais assurés, que le groupe de l’arrière-plan puisse bien être un cordon de policiers, mais que ceux-ci soient attelés à défendre les Catholiques, même si ce n’est que « faiblement ». Sans garantie, à ce stade, quant à l’identité des deux lanceurs, l’hypothèse demeure valable. Elle dévisse cependant rapidement face aux enseignements d’une histoire précise et sensible à la fois. Tels qu’ils ont été décrits, les événements d’août 1969 et bien d’autres qui les précèdent invitent à lui substituer le scénario d’une fracture irrémédiable entre Catholiques et RUC, qui rend impossible une quelconque collaboration, même sur un plan purement opérationnel et dénué d’affect. Il était en effet de la tâche des RUC que de s’en tenir à un simple maintien de l’ordre et de contenir le soulèvement, mais les choses se sont déroulées bien autrement. Par ailleurs, dès lors que l’on admet que notre image n’est pas un témoignage suffisant et que l’on consacre une attention redoublée aux images resituées dans la séquence qu’elles forment ensemble, cela nous permet de localiser très précisément nos manifestants et de savoir qu’ils sont du bon côté de la barricade : en terrain catholique, à un endroit où deux Protestants ne feraient qu’aller à la rencontre de leur propre mort.

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La Bataille du Bogside se joue essentiellement entre Catholiques d’un côté, RUC et B-Specials (une unité de police quasi-militarisée) de l’autre. Le différend est en effet profond et bien entamé entre Catholiques et RUC. La marche d’octobre 1968 avait déjà fait des RUC un ennemi, tandis que celle de janvier, attaquée par des unionistes, invitait à conclure que les RUC étaient « incapables, ou réticents[46] » à protéger les Catholiques. Jack Lynch, Taoiseach (chef du gouvernement) de la République d’Irlande, est très clair : « La RUC n’est dorénavant plus considérée comme une force de police impartiale[47]. » Patrick Hillery, ministre des affaires étrangères de la République d’Irlande, qui se rend à Londres le 15 août pour y rencontrer les responsables du Foreign Commonwealth Office, décrit quant à lui les RUC comme, « au mieux, une force non impartiale » et les B-Specials comme un « régiment partisan et armé, comme on en trouve seulement dans les dictatures. »[48] Les murs de Derry parlent eux aussi de la défiance envers les RUC qui a gagné les rangs catholiques : un peu partout, les graffitis disent l’hostilité (fig. 28).

C’est que les RUC sont considérés comme une force armée au service de l’ennemi, et donc comme l’ennemi lui-même. Le Derry Journal du 15 août, cité par Prince et Warner, fait état de la crainte qui existait parmi les Catholiques, au cours de la Bataille du Bogside : à savoir que les RUC et les B-Specials, aidés par les Paisleyites (Protestants unionistes proches de Ian Paisley, pasteur radical), puissent se livrer à un véritable massacre dans le Bogside – un pogrome à proprement parler[49]. Celui-ci n’a pas eu lieu et, si les B-Specials sont démantelés l’année suivante, les RUC tireront aveuglément dans la foule trois ans plus tard, lors du Bloody Sunday.

Lors de la Bataille du Bogside cependant, les RUC sont loin d’observer une doctrine de pur maintien de l’ordre, en se contentant de contenir la révolte des deux côtés. Ils cherchent en fait activement le contact avec les Catholiques. Sur le terrain, les événements en général et l’attitude de la police en particulier abonde l’hypothèse d’une impossible réconciliation, voire d’une franche opposition entre Catholiques et RUC. Je ne compte pas moins de 45 photographies de Caron qui montrent des RUC lançant eux aussi des pierres, se dérobant ainsi aux consignes qui leur sont données et qui plaident pour une « défense statique[50] ». On les voit à l’œuvre dans le petit film avec la séquence tournée sur Sackville Street, séquence dans lequel on aperçoit aussi très brièvement Caron, qui a photographié à plusieurs reprises ces débordements au sein de la police, au moment même où le film est tourné (fig. 29). Le photographe du Times raconte lui-même avoir été agressé à deux reprises par des Protestants alors qu’il documentait ces « bavures » ou excès[51] ; Clive Limpkin le confirme, en racontant s’être enfui devant des Protestants, ceux-ci tentant alors d’acculer les photographes présents pour les lapider[52].

Lors de la Bataille du Bogside, les RUC, épuisés car sans repos et surmenés (91 blessés sur 700 policiers le premier jour[53]) peinent à obtenir des renforts, le conflit s’étant étendu au-delà de Derry et mobilisant toutes les corps d’Ulster. Caron représente cet épuisement, qui nous donne en creux la mesure de la résistance catholique et sa détermination à tenir tête à la police (fig. 30). L’usage massif qui est fait des petrol bombs dans le quartier témoigne en effet d’une organisation quasi-militaire des Catholiques (fig. 31). Ces derniers se sont d’ailleurs emparés de l’important stock d’essence d’un bureau postal[54]. Sans l’aide des protestants, comme l’affirme un analyste de l’armée britannique[55], il est probable que les RUC n’auraient pas tenu bon jusqu’à l’arrivée des troupes du Royaume.

Les RUC ne défendent pas les Catholiques, même « faiblement » ; ils se défendent contre eux ou les attaquent. Le Times du 13 août 1969 ne voit rien d’anormal à cette confrontation ; il y retrouve plutôt la « fable habituelle de Londonderry, celle des Bogsiders contre la police[56]. »

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Malgré tous ces éléments qui confortent l’hypothèse d’une police intégralement contre les Catholiques, rien n’empêche un moment demeuré inaperçu de l’historiographie mais prélevé par Caron, où les RUC auraient brièvement dû faire face à des Protestants eux aussi acharnés, peut-être enclins à produire un désordre encore plus important en s’attaquant à la police qui les sépare des Catholiques. Le désordre était après tout un désir, au point qu’on espérait, chez les Catholiques, provoquer un incident suffisamment important pour pouvoir porter la question de la réunification de l’Irlande devant les Nations Unies[57]. Il n’est donc pas exclu que les protestants aient pu eux aussi lancer des pierres sur les RUC dans le but de créer la confusion et servir une stratégie politique ; il n’est donc toujours pas exclu que nos deux manifestants, de dos, soient des protestants.

Cependant, les images, reconstituées en séquence, nous aiguillent, sans détour possible, encore sur la voie de la contre-hypothèse. Tout d’abord, on peut situer très précisément les deux manifestants. Avec un repère, comme un pan de mur libéré par une maison détruite que l’on retrouve sur plusieurs photographies (fig. 32), on pourrait presque les localiser au mètre carré près. Ils sont donc sur Rossville Street, au beau milieu du Bogside, où un protestant, on l’aura compris, n’a pas sa place lors de ces journées d’août. La zone est une enclave topographique, de même qu’un ghetto confessionnel et social où vivent presqu’exclusivement des Catholiques. Les deux manifestants tournent le dos aux Rossville Flats, au style facilement reconnaissable de l’architecture de l’après-guerre et de la reconstruction[58], d’où tombent les petrol bombs. Comme 70% du logement public en Irlande du Nord dans les années 1960, les Rossville Flats portent la marque de la ségrégation[59] : ce sont des immeubles catholiques, tout comme le quartier du Bogside dont ils sont au cœur. Les manifestants regardent en plus vers William Street, plus précisément vers ce qu’on appellera l’Aggro [pour agressive] Corner[60], point chaud des émeutes de 1969 où se trouvent la barricade et le pan de mur qui sera entièrement rasé plus tard (Clive Limpkin est revenu photographier le vide laissé à cet endroit). Là, à un jet de pierre, sont postés les RUC pour tenter de contenir la révolte dans le Bogside.

La veille, le 12 août vers 17h, ils sont parvenus à détruire la barricade de l’Aggro Corner en envoyant un blindé Humber depuis l’autre côté de Rossville Street (fig. 33), fermée par une barricade bien plus légère (séquence documentée par Caron), après avoir dû avorter une première percée à pied qui leur a valu une douche de feu tombant des toits de Rossville Flats[61]. Suite au passage du Humber sur la barricade de l’Aggro Corner, une centaine de RUC tentent une nouvelle charge avec un blindé supplémentaire et des Land Rovers, suivis par des protestants qu’ils protègent et encouragent (fig. 34). RUC et protestants s’attaquent à des immeubles – et notamment à un catholique présent sur un balcon, qui se protège avec le couvercle d’une poubelle en métal (fig. 35) en tournant le dos à l’Aggro Corner d’où ils arrivent et en faisant face aux Rossville Flats : question de tactique élémentaire, car question de survie. De nouveau, ils sont confrontés à l’énergie des Catholiques et à leur organisation qui les font reculer, au point qu’ils ne tenteront plus, dès lors, de pénétrer le Bogside – quand bien même la barricade est détruite, comme on peut le voir sur la photographie des deux manifestants, laissant une ligne de démarcation virtuelle.

Bref, l’endroit même où se trouvent nos manifestants est soit la plaque tournante, très dangereuse, des affrontements en « seesaw » (dents de scie, c’est-à-dire charges et contre-charges) qui ont eu lieu le premier jour ; soit le palier d’une zone autonome où les RUC ne tentent plus de pénétrer à partir du 12 août au soir, s’en remettant aux CS Gas pour agir à distance et éviter les petrol bombs. Les manifestants font face à l’Aggro Corner, ce qui reviendrait pour eux, s’ils étaient protestants, à s’exposer tant aux petrol bomb des Catholiques qu’aux lacrymogènes de la police. Les deux émeutiers sont même précisément au niveau du balcon où le Catholique a été attaqué par des RUC et des Protestants, donc aussi une cible pour quiconque se trouverait sur ces balcons, ou sur les toits de ces immeubles. Devant eux, légèrement sur la gauche et au pied du pan de mur en question, un mur de parpaings cache aussi un poste de tir qui permet aux Catholiques d’attaquer directement les RUC de l’autre côté de l’Aggro Corner en restant hors de vue et, dans une moindre mesure, de portée (fig. 36).

Nous le savons, nous sommes le 13 août, et le Bogside est devenu impénétrable, même sans barricade. Si c’étaient bien des protestants, tourner le dos à leur ennemi sur son propre territoire, tout en étant du mauvais côté de la barricade pour en plus faire face à la police serait pour le moins suicidaire.

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Ces images le montrent, Caron se déplace dans tous les recoins du Bogside, depuis la barricade d’Aggro Corner jusqu’aux toits des Rossville Flats où flotte le drapeau de la République d’Irlande (fig. 37) et où s’alignent les bombes artisanales (fig. 38). Il suit beaucoup celles et ceux qui rencontrent. Il suit notamment nos deux manifestants, dans leur action même, alors que le combat continue de part et d’autre de l’Aggro Corner (fig. 39), mais pas seulement.

L’un des deux se retourne, découvrant son visage. À côté de lui, d’autres personnes entrent dans le cadre, dont l’une est casquée (fig. 40). Caron, cependant, décale légèrement son regard sur la gauche, où l’on retrouve l’un des deux manifestants de la première image, désormais à droite, et un nouveau manifestant, qui semble lui aussi très jeune. Il continue de produire des images qui pourraient donner lieu à une double-page idéale. Il se concentre ensuite sur le casque, avec une image qui agit là aussi comme une note visuelle, qui élimine toute équivoque politique par le texte, montre de quel côté nous sommes, et pourrait de ce fait être retenue pour une publication – comme il l’avait fait au Viêt Nam (fig. 41) ou le fera la semaine suivant à Prague (fig. 42). L’inscription sur le casque dit : « The blood is on your hand ! Civil rights in Ulster for all now ! » ; s’y ajoute un geste emblématique, celui d’une main levée (fig. 43).

Ces quelques images laissent peu de doute. D’autres les corroborent. Caron a aussi suivi l’un des deux manifestants – celui dont on connaît désormais le visage – et le photographie à bout de souffle, manifestement très atteint par les gaz lacrymogènes (fig. 44), au moment où il a aussi photographié, quelques mètres en avant, la jeune fille dont nous avons retenu le portrait pour la couverture du catalogue de notre exposition (fig. 45). C’est peut-être à ce moment-là qu’il a trouvé chez lui une attitude, une « énergie [et un] allant[62] », comme il dit. Après l’avoir représenté en victime, il a en somme reconnu un poseur chez celui qui sera bientôt un lanceur : accablement, soulèvement. On le retrouve, le regard futé, avec d’autres jeunes gens (fig. 46), dont une jeune fille blonde que Caron a aussi photographiée seule, posant elle aussi (fig. 47). On le voit aussi victorieux ou sûr de l’être bientôt, comme d’autres que Caron a photographié au même moment, avec un air différemment taquin (fig. 48) : ses mains sont pleines de pierres, cela peut donc être juste avant notre photographie. Caron l’isole pour réaliser alors trois photographies de son homme, toujours très enclin à se mettre en scène. Il pose et il fait avant tout poser son bras, sur lequel un tatouage exprime très clairement l’univers politique auquel il appartient : celui des Républicains irlandais, des Bogsiders catholiques, qui saluent le drapeau vert-blanc-orange, qui est celui de l’unité et non l’Union Jack, qui est celui de la soumission (fig. 49).

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« Essayer de comprendre ce qu’un auteur voulait dire, pourquoi et par quels moyens, éclairer le contexte dans lequel son œuvre a été reçue et analyser les significations cachées que ses images […] révèlent au-delà de leurs intentions[63] », voilà effectivement un programme qui mérite d’être honoré par toute histoire culturelle précise et sensible à la fois, bien au-delà d’une approche purement iconographique.

Comprendre le travail de Caron, au-delà des évidences que nous plaquons sur lui a priori, n’est pas si simple. Cela ne signifie pas que Caron ne prenne pas position politiquement. Il prend par exemple position – à gauche – lorsqu’il refuse de participer aux opérations pendant son service militaire en Algérie et écope de deux mois de prison militaire ; il prend position lorsqu’il transmet à sa mère des photographies des exactions de l’armée française qu’il s’est procurées clandestinement et lui fait part de son dégoût[64] ; il prend aussi position lorsqu’en 1970, il part au Tchad avec Robert Pledge, Michel Honorin et Raymond Depardon pour documenter la guerre civile dans laquelle cette même armée française qui le révolte est secrètement impliquée pour servir les intérêts géopolitiques et économiques de son pays[65].

Caron semble cependant bien conscient que ses images, une fois qu’elles lui échappent et qu’elles mènent leurs vies ultérieures, ne peuvent être assurément identifiées comme images « de gauche » ou « de droite » : voilà un aspect de son « conflit intérieur ». Il documente un soulèvement catholique et l’on y voit, un demi-siècle plus tard, le témoignage d’un pogrome protestant. Il est pour les individus et on l’imagine contre la police. Il s’acharne à clarifier son propos visuel et on en perd nos repères. Il a particulièrement pris conscience de ce péril au Biafra, où il a admis sans retour possible que l’efficacité des images, à ne considérer que leur réception, pouvait être compromise voire annulée.

C’est du côté de la production – ou de leur diffusion lorsque Gamma publie ses propres ouvrages – que Caron prend position politiquement, à gauche. Pour Caron, traquer les subjectivités et leurs revendications dans le désordre est presque un réflexe. Quel que soit le terrain où il travaille, l’événement qu’il documente, c’est aux individus que va sa préférence[66] : il cherche à en exprimer les affects par leur visage et ce qui les affecte – la guerre, le soulèvement – dans leurs gestes. Qu’il s’agisse d’un RUC blessé (fig. 50), d’une marcheuse unioniste qui jure avec son propre uniforme (fig. 51) ou d’un émeutier catholique qui lit tranquillement un journal qui parle un peu de lui-même (fig. 52), il semble toujours à la recherche de figures qui puissent exprimer la violence morale des conflits, fussent-ils soulèvements. Que ces figures soient, politiquement, parmi les bourreaux ou parmi les victimes, c’est peu ou prou le même traitement qui leur est réservé. Les affects de Caron n’ont pas d’hémisphères. Il le formule très clairement à propos de son expérience à Derry :

« Je suis souvent de tout cœur avec les gens que je photographie. Par exemple en Irlande, même en étant tout à fait impartial, j’étais quand même très, très emballé par l’énergie et l’allant des manifestants catholiques. Quand les flics chargent, on est toujours obligé de foutre le camp et c’est toujours humiliant de se retrancher, je veux dire même pour un photographe. Tandis qu’en Irlande les manifestants se regroupaient et rechargeaient les flics. C’était la première fois que je voyais ça. Ce n’est pas que je sois contre les flics, mais c’était un phénomène inhabituel, donc intéressant. Les vraies sympathies sont plutôt au niveau individuel. Vous vous retrouvez à côté d’un flic qui vient de prendre un pavé dans le genou, vous lui parlez, il vous dit « ça ne va pas, j’en ai marre », vous êtes forcément pour ce mec-là, vous n’êtes pas pour le flic, vous êtes pour l’homme. C’est la même chose de l’autre côté[67]. »

Le photographe a ainsi pour habitude de montrer ses semblables tels qu’ils sont en-deçà ou au-delà de la tourmente qui les saisit et les emporte. Il le fait dès qu’il le peut, comme lorsqu’il photographiait les étudiants lascivement étendus sur les pelouses de l’Université de Nanterre, en mars-avril 1968, avant de les retrouver fulminants dans les rues de Paris. Si l’on compare parfois ses images de manifestants à peine protégés au combat de David contre Goliath[68], il faut cependant préciser plus avant cette métaphore simplificatrice. Pour Caron, David est le sujet ; Goliath est tout ce que la « culture de droite », pour parler comme Furio Jesi, érige en « valeurs indiscutables, indiquées par des mots dont la première lettre est toujours une majuscule[69] » : l’État, la Nation, l’Église, l’École, la Justice, l’Empire, la Tradition, l’Ordre, la Vérité, etc. Goliath n’est pas seulement l’ennemi démesuré face au minuscule ami, c’est tout ce qui déborde le sujet : c’est le corps collectif tel que défini par ce qui lui est supérieur et le cerne, et dans lequel le sujet individuel se débat ou se noie.

En ce sens, le travail de Caron se présente comme une objection continue à la métaphore du « corps » politique, dont Maxime Boidy a tout récemment livré une utile généalogie et qui aussi attiré votre attention, Enzo Traverso[70]. Alors que celle-ci dissout les individualités dans un tout soi-disant homogène qui les excède (« le peuple »), Caron détaille la foule en autant de visages qu’elle contient, pour au contraire affirmer la complexité du conflit[71]. À la vision dominante et mécaniste des peuples comme « corps » (du Roi, de la République, de la Nation), dont témoigne l’archétypal frontispice du Léviathan de Thomas Hobbes signé par Abraham Bosse[72], Caron oppose des images du « conflit intérieur », dans lequel il se mire. Pour Caron, qui se revendique de Sartre et de Camus[73], le sujet n’est pas que la rotule du Roi, il ne sert pas que la mise en mouvement de son « corps ». Caron démembre le corps politique, le disloque, pour montrer que malgré tout, malgré l’effervescence du soulèvement qui métamorphose le sujet en sujet collectif – ce qui rejoint votre définition d’une révolution, Enzo Traverso –, le sujet continue d’exister en tant que tel, à travers ses affects et ses émotions. Caron parle à certaines des personnes qu’il photographie, et cela est d’autant plus vrai à Derry qu’il est bilingue et concerné, étant élevé par une mère anglaise. Il parle à un RUC blessé ; il a probablement aussi parlé au lanceur républicain et catholique lorsque ce dernier posait pour lui.

Caron sait donc qu’il ne peut pas faire des « images de gauche » ou « de droite », mais il sait qu’il peut faire des images selon une manière de gauche – y compris quand il photographie l’oppresseur, derrière lequel il redécouvre presque toujours la victime. Ce qui compte est ce que les conséquences accablantes des conflits produisent sur le sujet. Un portrait, qui est loin d’être ce « miroir de l’âme » que l’on convoque souvent naïvement, ne dit pas grand-chose de ce qu’est réellement le sujet, l’individu qu’il représente, pas plus de l’épaisseur de l’histoire dans laquelle il est pris. On ne sait rien de ce jeune homme qui exhibe son tatouage, s’agenouille ou jubile devant les objectifs. Toujours est-il que l’existence même de son portrait photographique et de la série d’images auquel il appartient est une occasion de se saisir de sa subjectivité, de se rappeler qu’elle résiste même dans l’accablement, qu’elle a ses hauts et ses bas qui, à leur manière, participent du conflit et le redimensionne toujours. De cela, Caron ne tire que des images, et c’est alors au regardeur d’en redécouvrir le sens ou de les interpréter à sa manière, pour le meilleur comme pour le pire : rédemption ou damnation.

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La photographie de Gilles Caron a souffert la damnation à cause d’un texte. Car à vrai dire, dans votre débat, tout n’est pas seulement parti « d’une seule image » : tout me semble être plutôt parti des mots qui l’accompagnaient, à savoir une légende trompeuse. Ce texte-là, plutôt que de lui apporter sa rédemption en en clarifiant le sens, a condamné l’image ; du moins l’a-t-elle assise sur le banc des accusés pour qu’on en fasse le procès. Un texte, donc, a saboté le travail d’interprétation d’une image. Curieusement, c’est aussi par un texte, c’est-à-dire un code conventionnel, que la même photographie a obtenu sa rédemption. C’est finalement un texte indélébile, marqué à même une peau que la photographie ramène à notre présence, qui apporte sa « rédemption » à l’image en cause : les sept lettres d’« Ireland » tatouées sur l’avant-bras du manifestant, surmonté d’un symbole tout aussi conventionnel – le drapeau de la République d’Irlande.

C’est donc dans le langage que la photographie de Caron a trouvé sa perte comme son rachat. Sans l’intercession perturbatrice du langage, elle n’aurait probablement pas suscité autant de remous. Voilà pourquoi il est plus prudent de considérer qu’il n’y a pas d’image intrinsèquement « abusive[74] ». Seuls l’acte qui les produit[75], les usages qu’on en fait et les interprétations qu’on leur accole peuvent l’être. Brecht l’affirmait en estimant qu’« entre les mains de la bourgeoisie, la photographie est devenue une arme terrible contre la réalité[76]. » Ayant désarmé la bourgeoisie de ses propres images avec sa Kriegsfibel (1955), sa démarche était ainsi explicitée par Ruth Berlau : « Quiconque oublie le passé ne saurait lui échapper. Ce livre veut enseigner l’art de lire les images. Le non-initié déchiffre aussi difficilement une image qu’un hiéroglyphe. La vaste ignorance des réalités sociales, que le capitalisme entretient avec soin et brutalité, transforme des milliers de photos parues dans les illustrés en de vraies tables de hiéroglyphes, inaccessibles au lecteur qui ne se doute de rien[77]. »

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Getty Images a récemment pu se targuer de ne consacrer que vingt-deux secondes au traitement d’une image, depuis sa réception jusqu’à sa diffusion à près de 850 000 clients en passant par sa retouche et la rédaction de sa légende[78]. Ici gît précisément tout le problème, avec lequel doit composer une histoire culturelle précise et sensible. Le sens d’une image n’est jamais donné, quand bien même il est question de photographie, que l’on considère toujours trop hâtivement comme « transparente » ou « objective » ; il n’est jamais fermé et définitif non plus. Admettre la possibilité d’en clarifier parfaitement le sens, en vingt-deux secondes comme après des années de recherches, cela revient, en prétendant tout savoir, à oblitérer toute une gamme de savoirs que les images nous livrent par elles-mêmes, en dehors de toute allégeance au texte. Mieux vaut donc se mettre en quête de ce qu’il reste d’autonomie au visible par rapport au dicible : celui-ci ne peut pas toujours être manié comme la seule clé d’interprétation de celui-là. Il faut plutôt tenter de comprendre les transactions qui s’établissent entre texte et image, « parce qu’en chaque production testimoniale, en chaque acte de mémoire [langage et image] sont absolument solidaires, ne cessant pas d’échanger leurs lacunes réciproques : une image vient souvent là où semble faillir le mot, un mot vient souvent là où semble faillir l’imagination[79] », puis-je lire dans Images malgré tout. En effet, le texte de Prince et Warner qui décrit la Bataille du Bogside, aussi précis soit-il, ne nous dit en revanche rien de la transmission des gestes de soulèvements, là où les images, resituées dans des constellations d’images d’autres époques, nous en apportent l’évidence. Les images de Caron, quant à elles, ne nous disent pas combien de personnes ont été blessés ces jours-là, là où des archives écrites le peuvent.

Il n’est donc pas question d’aligner les images dans l’ordre des textes, mais de mettre les unes comme les autres en relation, d’identifier les tensions qui émergent de leur confrontation et les savoirs que l’on peut en tirer. Le texte n’est pas une source qui livrerait intarissablement des explications à propos d’une l’image, tout comme l’image n’est pas une source pour le texte. L’un et l’autre sont plutôt des affluents, parmi tant d’autres, qui font toujours grossir le cours de l’histoire telle que nous la racontons. À nous de cultiver une posture double, entre une approche raisonnée, vigilante face aux intentions et aux usages, et une approche déraisonnée, attentive à tout ce qui, dans l’image, résiste à l’ordre rationnel du langage. À nous de nous faire sismographes, pour traquer les oscillations du sens que produit la rencontre des textes et des images et trancher dans le halo qu’elle forme – peut-être est-ce cela, être précis et sensible à la fois.


[1] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt. A New History of the Start of the Troubles [2012], éd. revue et augmentée, Newbridge, Irish Academic Press, 2019, p. 144.

[2] Anon., « Petrol stock seized from GPO depot », The Times, 13 août 1969, p. 1.

[3] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 145.

[4] Ibidem.

[5] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », aoc.media, 18 octobre 2022.

[6] Raymond Bellour, « La redevance du fantôme » [1987], dans L’Entre-images. Photo, cinéma, vidéo [1990], Paris, Éditions Mimésis, coll. « Images, médiums », 2020, p. 85.

[7] Enzo Traverso, Révolution, une histoire culturelle [2021], Paris, La Découverte, 2022, p. 21.

[8] Egard Morin le soulignait pour son usage dans le cinéma : Le Cinéma ou l’homme imaginaire. Essai d’anthropologie, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Arguments », p. 65-67.

[9] Roland Barthes, « Le message photographique », in Communications, vol. 1, n°1, 1961, p. 128.

 

[10] Michel Makarius, Une histoire du flou. Aux frontières du visible, Paris, Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2016, p. 67-95.

[11] Georges Didi-Huberman, « Prendre position (politique) et prendre le temps (de regarder) », aoc.media, 23 mai 2022.

[12] Kim Timby, « La photographie en couleur au prisme de la presse française, 1945-1960 », in Focales, n°1 : « Le

photographe face au flux », 2017. Cf. Audrey Leblanc et Dominique Versavel, « Une amnésie médiatique : la pratique de la couleur », dans Id., Icônes de Mai 68. Les images ont une histoire, Paris, BnF Éditions, 2018, p. 62-75.

[13] Lettre du 6 mai 1960, publiée dans Gilles Caron. Scrapbook, Paris, Lienart, 2012, p. 37 ; cf. le recueil Gilles Caron, J’ai voulu voir. Lettres d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, 2012.

[14] Cf. Robert Hariman, John Louis Lucaites, No Caption Needed. Iconic Photographs, Public Culture and Liberal Democracy, Chicago, University of Chicago Press, 2007.

[15] Je le tiens de Bernard Perrine, correspondant de la section photographie à l’Académie des Beaux-arts et photographe qui a travaillé pour la presse.

[16] Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 21.

[17] Gaëlle Morel, Le Photoreportage d’auteur. L’institution culturelle de la photographie en France depuis les années 1970, Paris, CNRS Éditions, 2006.

[18] Thierry Gervais, « Les formes de l’information » dans André Gunthert et Michel Poivert (dir.), L’Art de la photographie, des origines à nos jours, Paris, Citadelles & Mazenod, 2007, p. 302-355.

[19] Olivier Lugon, Le Style documentaire. D’August Sander à Walker Evans, 1920-1945 [2001], Paris, Macula, 2017.

[20] Cité par Isabella Seniuta, « Stratégies du photoreportage d’auteur. Viêt Nam, 1967 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, Cherbourg, Le Point du Jour, 2020, p. 23.

[21] Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 15.

[22] Clive Limpkin, The Battle of Bogside, London, Penguin Books, 1972, n. p. Je traduis.

[23] Cf. Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, Arles/Lausanne, Éditions Photosynthèses/Musée de l’Élysée, 2013, p. 244-262 et 291-293.

[24] Cf. Gilles Saussier, « Situations du reportage, alternative d’une actualité documentaire », in Communications, n°71 : « Le parti pris du document », 2011, p. 307-331.

[25] Propos tenus lors d’une journée d’études consacrée à Gilles Caron et organisée au Centre d’art Le Point du Jour à Cherbourg, le 9 octobre 2021, et cités de mémoire.

[26] Michel Poivert (dir.), L’Événement. Les images comme acteurs de l’histoire, Paris, Hazan/Jeu de Paume, 2007.

[27] Ariella Azoulay, Civil Imagination. A Political Ontology of Photography, London/New York, Verso, p. 26-27 ; voir aussi Id., The Civil Contract of Photography, New York, Zone Books, 2008.

[28] Anon., « Paddy Coyle : Man from iconic ‘boy in the mask’ photo dies », BBC UK, 20 juillet 2020.

[29] A. Badiou, « La politique : une dialectique non expressive » (2005), La Relation énigmatique entre philosophie et politique, Meaux, Éditions Germina, 2011, p. 67-87 cité par Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », aoc.media, 18 juillet 2022.

[30] Enzo Traverso, Révolution, op. cit., p. 20.

[31] Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 1996.

[32] Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur », trad. fr. Philippe Ivernel, dans Essais sur Brecht, Paris, La Fabrique, 2003, p. 122-144.

[33] Gilles Lipovetski, Jean Sarroy, L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Gallimard, 2013.

[34] Jacques Rancière, Le Partage du sensible, Paris, La Fabrique, 2000. Voir aussi : Id., La Mésentente. Politique et philosophie, Paris, Gallilée, 1995, p. 88-89.

[35] Ariella Azoulay, « Getting rid of the distinction between the aesthetic and the political », in Theory, culture & society, vol. 27, n°7-8, 2010, p. 239-262.

[36] Emmanuel Alloa, Christoph Haffter, « De quoi l’esthétisation est-elle le nom ? », in Nouvelle revue d’esthétique, n°38, 2021, p. 5-23.

[37] Ibid., p. 5.

[38] Ibid., p. 6.

[39] Carl Schmitt, Romantisme politique, trad. fr. Pierre Linn, Paris, Valois, 1928.

[40] Emmanuel Alloa, Christoph Haffter, « De quoi l’esthétisation est-elle le nom ? », art. cit., p. 13-14.

[41] Boris Arvatov, Art et production [1926], trad. fr. Claire Thouvenot, Paris/Marseille/Genève, Sans soleil, coll. « Hz », p. 72.

[42] Ibid., p. 73.

[43] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », art. cit.

[44] Paula Barreiro López, Compagnons de lutte. Avant-garde et critique d’art en Espagne pendant le franquisme, Paris, Centre allemand d’histoire de l’art/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Passages », n°64, 2023.

[45] Jacopo Galimberti, Images of class. Operaismo, autonomia and the visual arts (1962-1988), London, Verso, 2022. Traduction à paraître aux Presses du Réel en français (2023).

 

[46] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 2. Je traduis.

[47] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 147. Je traduis.

[48] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 12. Je traduis.

[49] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 149.

[50] Ibid., p. 143.

[51] Ibidem.

[52] Clive Limpkin, The Battle of Bogside, op. cit., n. p.

[53] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 144.

[54] Anon., « Petrol stock seized from GPO depot », The Times, 13 août 1969, p. 1.

[55] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 144.

[56] Anon., « Petrol stock seized… », art. cit. Je traduis.

[57] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 147.

[58] Les Rossville Flats seront détruits en 1989.

[59] Jim Campbell, Raman Kapur, The Troubled Mind of Northern Ireland. An Analysis of the Emotional Effects of the Troubles, London/New York, Karnac, 2004, p. 7.

[60] Clive Limpkin, The Battle of Bogside, op. cit., n. p. Toutes les maisons de l’Aggro Corner seront par la suite rasées.

[61] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 143.

[62] Gilles Caron, entretien avec Jean-Pierre Ezan, Zoom, mars-avril 1970, repris dans Gilles Caron, Scrapbook, op. cit., p. 263.

[63] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », aoc.media, 18 octobre 2022.

[64] Cf. Clara Bouveresse, « Un monde imparfait », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 4.

[65] Cf. Guillaume Blanc, « Au bout du désert, la guerre. Tchad, 1980 », art. cit.

[66] Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, op. cit., notamment p. 158-174.

[67] Gilles Caron, entretien avec Jean-Pierre Ezan, Zoom, mars-avril 1970, repris dans Gilles Caron, Scrapbook, op. cit., p. 263.

[68] Cf. Marta Gili, « J’aime les images qui mêlent du politique et de l’émotion », Libération, 26-27 juillet 2014, p. 25.

[69] Entretien de Furio Jesi pour L’Espresso, n°24, 25 juin 1979, repris sous le titre « Recette : mettre le passé en boîte, avec plein de majuscules » dans Id., Culture de droite, trad. fr. A. Savona, Bordeaux, Éditions La Tempête, 2021, p. 227.

[70] Maxime Boidy, La Société n’existe pas. Images de la guerre civile sous Margaret Thatcher, Paris, Même pas l’hiver, 2022. Cf. Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 99-109.

[71] Pour ce qui est de Derry, Simon Prince et Geoffrey Warner l’ont eux aussi amplement soulignée en rejetant la lecture réductrice d’un groupe contre un autre (Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 145).

[72] Cf. Horst Bredekamp, Stratégies visuelles de Thomas Hobbes. Le Léviathan, archétype de l’État moderne [1999], trad. fr. Denise Modigliani, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003.

[73] Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, op. cit., p. 16.

[74] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », art. cit.

[75] Pensons, par exemple, aux photographies d’Abu Ghraib, ou à celles produites lors des lynchages racistes aux les États-Unis.

[76] Cité dans John Heartfield, Photomontages politiques, 1930-1938, Strasbourg, Musées de Strasbourg, p. 20. Je souligne.

[77] Ruth Berlau, dans Bertolt Brecht, ABC de la guerre [1955], éd. fr. établie, présentée et annotée par Klaus Schuffels, trad. fr. Philippe Ivernel, Presses universitaires de Grenoble, 1989, p. 7.

[78] Eric Albert, « Coupe du monde 2022 : un traitement des photos en quelques secondes », Le Monde, 3 décembre 2022.

[79] Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Éditions de Minuit, 2003, p. 39.

Guillaume Blanc-Marianne

Historien de l'art, Docteur en histoire de l’art de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, secrétaire général de la Société française de photographie

Danses, agitations, soulèvements

Par

L’extractivisme est un terrorisme intellectuel par lequel des ministres, à coups de bombes lacrymogènes, de grenade et d’entretiens dans Le Journal du dimanche, s’assurent d’une atmosphère où il n’y a pas... lire plus

Notes

[1] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt. A New History of the Start of the Troubles [2012], éd. revue et augmentée, Newbridge, Irish Academic Press, 2019, p. 144.

[2] Anon., « Petrol stock seized from GPO depot », The Times, 13 août 1969, p. 1.

[3] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 145.

[4] Ibidem.

[5] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », aoc.media, 18 octobre 2022.

[6] Raymond Bellour, « La redevance du fantôme » [1987], dans L’Entre-images. Photo, cinéma, vidéo [1990], Paris, Éditions Mimésis, coll. « Images, médiums », 2020, p. 85.

[7] Enzo Traverso, Révolution, une histoire culturelle [2021], Paris, La Découverte, 2022, p. 21.

[8] Egard Morin le soulignait pour son usage dans le cinéma : Le Cinéma ou l’homme imaginaire. Essai d’anthropologie, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Arguments », p. 65-67.

[9] Roland Barthes, « Le message photographique », in Communications, vol. 1, n°1, 1961, p. 128.

 

[10] Michel Makarius, Une histoire du flou. Aux frontières du visible, Paris, Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2016, p. 67-95.

[11] Georges Didi-Huberman, « Prendre position (politique) et prendre le temps (de regarder) », aoc.media, 23 mai 2022.

[12] Kim Timby, « La photographie en couleur au prisme de la presse française, 1945-1960 », in Focales, n°1 : « Le

photographe face au flux », 2017. Cf. Audrey Leblanc et Dominique Versavel, « Une amnésie médiatique : la pratique de la couleur », dans Id., Icônes de Mai 68. Les images ont une histoire, Paris, BnF Éditions, 2018, p. 62-75.

[13] Lettre du 6 mai 1960, publiée dans Gilles Caron. Scrapbook, Paris, Lienart, 2012, p. 37 ; cf. le recueil Gilles Caron, J’ai voulu voir. Lettres d’Algérie, Paris, Calmann-Lévy, 2012.

[14] Cf. Robert Hariman, John Louis Lucaites, No Caption Needed. Iconic Photographs, Public Culture and Liberal Democracy, Chicago, University of Chicago Press, 2007.

[15] Je le tiens de Bernard Perrine, correspondant de la section photographie à l’Académie des Beaux-arts et photographe qui a travaillé pour la presse.

[16] Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 21.

[17] Gaëlle Morel, Le Photoreportage d’auteur. L’institution culturelle de la photographie en France depuis les années 1970, Paris, CNRS Éditions, 2006.

[18] Thierry Gervais, « Les formes de l’information » dans André Gunthert et Michel Poivert (dir.), L’Art de la photographie, des origines à nos jours, Paris, Citadelles & Mazenod, 2007, p. 302-355.

[19] Olivier Lugon, Le Style documentaire. D’August Sander à Walker Evans, 1920-1945 [2001], Paris, Macula, 2017.

[20] Cité par Isabella Seniuta, « Stratégies du photoreportage d’auteur. Viêt Nam, 1967 », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, Cherbourg, Le Point du Jour, 2020, p. 23.

[21] Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 15.

[22] Clive Limpkin, The Battle of Bogside, London, Penguin Books, 1972, n. p. Je traduis.

[23] Cf. Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, Arles/Lausanne, Éditions Photosynthèses/Musée de l’Élysée, 2013, p. 244-262 et 291-293.

[24] Cf. Gilles Saussier, « Situations du reportage, alternative d’une actualité documentaire », in Communications, n°71 : « Le parti pris du document », 2011, p. 307-331.

[25] Propos tenus lors d’une journée d’études consacrée à Gilles Caron et organisée au Centre d’art Le Point du Jour à Cherbourg, le 9 octobre 2021, et cités de mémoire.

[26] Michel Poivert (dir.), L’Événement. Les images comme acteurs de l’histoire, Paris, Hazan/Jeu de Paume, 2007.

[27] Ariella Azoulay, Civil Imagination. A Political Ontology of Photography, London/New York, Verso, p. 26-27 ; voir aussi Id., The Civil Contract of Photography, New York, Zone Books, 2008.

[28] Anon., « Paddy Coyle : Man from iconic ‘boy in the mask’ photo dies », BBC UK, 20 juillet 2020.

[29] A. Badiou, « La politique : une dialectique non expressive » (2005), La Relation énigmatique entre philosophie et politique, Meaux, Éditions Germina, 2011, p. 67-87 cité par Georges Didi-Huberman, « Qu’est-ce qu’une image de gauche ? », aoc.media, 18 juillet 2022.

[30] Enzo Traverso, Révolution, op. cit., p. 20.

[31] Éric Michaud, Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme, Paris, Gallimard, 1996.

[32] Walter Benjamin, « L’auteur comme producteur », trad. fr. Philippe Ivernel, dans Essais sur Brecht, Paris, La Fabrique, 2003, p. 122-144.

[33] Gilles Lipovetski, Jean Sarroy, L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Gallimard, 2013.

[34] Jacques Rancière, Le Partage du sensible, Paris, La Fabrique, 2000. Voir aussi : Id., La Mésentente. Politique et philosophie, Paris, Gallilée, 1995, p. 88-89.

[35] Ariella Azoulay, « Getting rid of the distinction between the aesthetic and the political », in Theory, culture & society, vol. 27, n°7-8, 2010, p. 239-262.

[36] Emmanuel Alloa, Christoph Haffter, « De quoi l’esthétisation est-elle le nom ? », in Nouvelle revue d’esthétique, n°38, 2021, p. 5-23.

[37] Ibid., p. 5.

[38] Ibid., p. 6.

[39] Carl Schmitt, Romantisme politique, trad. fr. Pierre Linn, Paris, Valois, 1928.

[40] Emmanuel Alloa, Christoph Haffter, « De quoi l’esthétisation est-elle le nom ? », art. cit., p. 13-14.

[41] Boris Arvatov, Art et production [1926], trad. fr. Claire Thouvenot, Paris/Marseille/Genève, Sans soleil, coll. « Hz », p. 72.

[42] Ibid., p. 73.

[43] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », art. cit.

[44] Paula Barreiro López, Compagnons de lutte. Avant-garde et critique d’art en Espagne pendant le franquisme, Paris, Centre allemand d’histoire de l’art/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Passages », n°64, 2023.

[45] Jacopo Galimberti, Images of class. Operaismo, autonomia and the visual arts (1962-1988), London, Verso, 2022. Traduction à paraître aux Presses du Réel en français (2023).

 

[46] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 2. Je traduis.

[47] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 147. Je traduis.

[48] Daniel C. Williamson, Anglo-Irish Relations in the Early Troubles, op. cit., p. 12. Je traduis.

[49] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 149.

[50] Ibid., p. 143.

[51] Ibidem.

[52] Clive Limpkin, The Battle of Bogside, op. cit., n. p.

[53] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 144.

[54] Anon., « Petrol stock seized from GPO depot », The Times, 13 août 1969, p. 1.

[55] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 144.

[56] Anon., « Petrol stock seized… », art. cit. Je traduis.

[57] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 147.

[58] Les Rossville Flats seront détruits en 1989.

[59] Jim Campbell, Raman Kapur, The Troubled Mind of Northern Ireland. An Analysis of the Emotional Effects of the Troubles, London/New York, Karnac, 2004, p. 7.

[60] Clive Limpkin, The Battle of Bogside, op. cit., n. p. Toutes les maisons de l’Aggro Corner seront par la suite rasées.

[61] Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 143.

[62] Gilles Caron, entretien avec Jean-Pierre Ezan, Zoom, mars-avril 1970, repris dans Gilles Caron, Scrapbook, op. cit., p. 263.

[63] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », aoc.media, 18 octobre 2022.

[64] Cf. Clara Bouveresse, « Un monde imparfait », dans Guillaume Blanc, Clara Bouveresse, Isabella Seniuta, Gilles Caron. Un monde imparfait, op. cit., p. 4.

[65] Cf. Guillaume Blanc, « Au bout du désert, la guerre. Tchad, 1980 », art. cit.

[66] Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, op. cit., notamment p. 158-174.

[67] Gilles Caron, entretien avec Jean-Pierre Ezan, Zoom, mars-avril 1970, repris dans Gilles Caron, Scrapbook, op. cit., p. 263.

[68] Cf. Marta Gili, « J’aime les images qui mêlent du politique et de l’émotion », Libération, 26-27 juillet 2014, p. 25.

[69] Entretien de Furio Jesi pour L’Espresso, n°24, 25 juin 1979, repris sous le titre « Recette : mettre le passé en boîte, avec plein de majuscules » dans Id., Culture de droite, trad. fr. A. Savona, Bordeaux, Éditions La Tempête, 2021, p. 227.

[70] Maxime Boidy, La Société n’existe pas. Images de la guerre civile sous Margaret Thatcher, Paris, Même pas l’hiver, 2022. Cf. Enzo Traverso, Révolution…, op. cit., p. 99-109.

[71] Pour ce qui est de Derry, Simon Prince et Geoffrey Warner l’ont eux aussi amplement soulignée en rejetant la lecture réductrice d’un groupe contre un autre (Simon Prince, Geoffrey Warner, Belfast and Derry in Revolt, op. cit., p. 145).

[72] Cf. Horst Bredekamp, Stratégies visuelles de Thomas Hobbes. Le Léviathan, archétype de l’État moderne [1999], trad. fr. Denise Modigliani, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003.

[73] Michel Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, op. cit., p. 16.

[74] Enzo Traverso, « Les images et l’histoire culturelle », art. cit.

[75] Pensons, par exemple, aux photographies d’Abu Ghraib, ou à celles produites lors des lynchages racistes aux les États-Unis.

[76] Cité dans John Heartfield, Photomontages politiques, 1930-1938, Strasbourg, Musées de Strasbourg, p. 20. Je souligne.

[77] Ruth Berlau, dans Bertolt Brecht, ABC de la guerre [1955], éd. fr. établie, présentée et annotée par Klaus Schuffels, trad. fr. Philippe Ivernel, Presses universitaires de Grenoble, 1989, p. 7.

[78] Eric Albert, « Coupe du monde 2022 : un traitement des photos en quelques secondes », Le Monde, 3 décembre 2022.

[79] Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Éditions de Minuit, 2003, p. 39.