écologie

À Paris, l’urgence d’un PLU bioclimatique

Architecte

Durables, vertueuses, résilientes, décarbonées, préservées, attractives, productives. Nombreuses sont les injonctions faites aux métropoles mondiales pour faire face aux besoins de celles et ceux qui les habitent. Mais comment rendre une ville plus durable, plus solidaire, plus « vivable » dans un contexte d’incertitude lié aux crises successives ?

Les grandes métropoles occidentales développent des projets pour respecter les enjeux climatiques alors que les habitants, les travailleurs et les touristes qui profitent des services urbains, deviennent de plus en plus exigeants. Récemment, la pandémie a donné la preuve que les équilibres entre les besoins et les nuisances des métropoles évoluent rapidement, occasionnant des usages et pratiques adaptées au contexte sociétal et climatique.

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Dans cette course contre la montre du réchauffement et pour respecter les accords de Paris, la capitale française vise la neutralité carbone pour 2050. Pour l’atteindre, elle se dote d’un nouveau règlement : lundi 5 juin, le Plan local d’urbanisme dit « PLU bioclimatique » a été présenté et arrêté au Conseil de Paris. Dans un contexte d’incertitude lié aux crises successives, ce nouveau PLU permet d’apporter des réponses concrètes à la manière de construire et aux profondes mutations du cadre de vie.

D’un PLU pour construire à un PLU pour transformer

Le PLU est un document à la fois stratégique et opérationnel qui regroupe les règlements applicables à une ville en matière d’urbanisme et d’architecture. Il contient des textes de loi qui déterminent les nouveaux projets et des cartes qui spatialisent les règles applicables à chaque parcelle. C’est aussi un outil efficace pour appliquer des politiques sociales, économiques et environnementales sur le territoire. Issu à la fois d’une mobilisation citoyenne qui a réuni 53 138 propositions issues d’un processus concertation par 8 000 contributeurs, de travaux professionnels – architectes, urbanistes, paysagistes, juristes, politiques, etc. – et d’institutions comme l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), le nouveau PLU de Paris porte l’ambition d’une ville décarbonée et perméable. Ces nouvelles règles favorisent une approche bioclimatique de la ville : construire moins et mieux, laisser plus de place possible à la nature dans toutes ses formes sur les espaces publics et privés, partir des usages pour transformer l’existant. Quelles peuvent en être les conséquences sur l’architecture, les espaces publics et la manière dont on y vit dans une ville comme Paris ?

À Paris, ce nouveau PLU vise à répondre durablement à des enjeux multiples : réchauffement climatique, urgence sociale, mixité programmatique, pression foncière par les investisseurs et le tourisme. Pour ces raisons, la ville souhaite développer une politique forte en matière de logement et de nature mais aussi un règlement pour la mettre en place. Pourtant, le PLU n’est pas un outil, il est la règle et la ville de Paris et ses opérateurs ne sont pas les seuls acteurs de la construction de la capitale.

« Le PLU est une vision politique avant d’être technique », insiste Anne Hidalgo, maire de Paris, lors de sa conférence de presse à l’Hôtel de Ville, le 24 mai dernier. L’un des principaux objectifs du nouveau PLU est de créer un socle et une force réglementaires pour adapter la ville de Paris au changement climatique pour les prochaines années. Dans le cadre du « C40 Cities », réseau d’une centaine de maires de métropoles du monde engagés pour le changement climatique auquel la ville de Paris fait partie, des actions concrètes voient le jour : mise en réseau d’actions communes entre toutes les villes (efficacité des bâtiments municipaux, mobilité avec la marche, le cyclisme et le réseau des transports publics, systèmes alimentaires), « accélérateurs » d’actions (vers le « zéro déchet », air pur, promesse d’équité, rues vertes et saines, bâtiments à zéro émission de carbone, énergies renouvelables, nature urbaine…) et des guides de bonnes pratiques de quartier comme à Masséna dans le 13e arrondissement qui présente les actions effectuées par les habitants et les services municipaux. Ces changements initiés dès 2005 pour réduire les émissions de gaz à effets de serre et améliorer le quotidien des habitantes et habitants sont déjà visibles : depuis 2001, le nombre de voiture dans la capitale a baissé de 40 %, ce qui correspond à une baisse de 40 % de la pollution dans la ville annonce la Mairie de Paris.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de construire et développer, mais de recycler, de réemployer, de transformer, de végétaliser et, idéalement, de dé-densifier. La nouvelle réglementation favorise des actions situées dans l’existant, le déjà-là, plus que les projets de constructions neuves. Mais les bâtiments ne sont pas les seuls concernés, les manières de pratiquer les métiers de la ville le sont aussi, et en premier lieu celui des architectes. Il ne s’agit plus de construire des bâtiments neufs aux façades contemporaines mais de composer au maximum avec des bâtiments conçus par d’autres et de les transformer en modifiant leur programme, en ajoutant ou détruisant certaines parties.

Au-delà des règles de construction, le nouveau PLU bioclimatique propose d’insuffler de nouveaux usages de la ville : places piétonnisées comme celles de la République et de la Bastille, rues végétalisées et sécurisées du programme « Rues aux écoles », nouveaux parcs, création d’équipements médicaux, sportifs et culturels… La stabilisation des emprises au sol dans Paris est un objectif majeur : pour augmenter les zones de nature, il ne faut pas construire davantage. Les nouveaux projets devront réserver 30 à 65 % des surfaces de terrain en fonction de leur superficie à des espaces en pleine terre et végétalisés.

10 m2 d’espaces verts par habitant

Ce nouveau PLU est donc une réglementation qui permet d’agir sur les usages de la ville, la biodiversité et qui propose des solutions pour répondre aux risques provoqués par le réchauffement climatique. Il concerne donc tous les vivants, humains, animaux, végétaux. Le rapport entre nature et espaces artificiels devra évoluer de façon substantielle : réduction de la densité des nouveaux projets architecturaux de 30 à 40 % avec un objectif de végétalisation de 40 % de la ville d’ici 2035, soit près de 300 hectares. Christophe Najdovski, adjoint à la Maire de Paris en charge de la végétalisation de l’espace public, des espaces verts, de la biodiversité et de la condition animale, indique qu’il s’agit de « passer d’une ville avec des jardins à une ville-jardin ». C’est le rêve d’une nature à tous les étages, qui entre dans chaque espace de vie, comme le gaz ou Internet à d’autres époques. Mais comment résoudre la quadrature du cercle, construire plus de logements tout en développant plus d’espaces verts ?

Au niveau social, le PLU porte l’ambition de permettre aux habitants et habitantes de continuer de vivre à Paris, grâce au maintien d’une mixité programmatique favorisant des quartiers inclusifs qui puissent accueillir des logements sociaux accessibles et des équipements publics de proximité. Le nouveau PLU permet de rééquilibrer emploi et habitat avec une gestion de la destination des programmes par immeuble. Depuis 2001, Paris a augmenté sa part de logements sociaux de 13 à 25 %, un chiffre qui concerne environ 600 000 personnes mais aujourd’hui, 70 % de la population parisienne est éligible au parc immobilier social. Il s’agit donc de construire 8 000 nouveaux logements par an.

Pour atteindre cet objectif, des « servitudes de mixité fonctionnelle » qui imposeront de construire 10 % de logements, dont 30 % de logements sociaux pour toute rénovation lourde ou construction de plus de 5 000 m2 seront appliquées. En parallèle, le PLU prévoit d’autoriser la surélévation dans des secteurs élargis et de protéger certains secteurs de la dérive du marché immobilier de la capitale, devenue la plus attractive d’Europe en matière de bureaux et de tourisme. Il prévoit également d’éviter l’augmentation de secteurs monofonctionnels comme le « Triangle d’Or » du 8e arrondissement qui concentre quasiment tous les bureaux de luxe de la capitale. Ainsi, pour renforcer l’habitat pour tous, 600 emplacements prioritaires au logement sont identifiés dans les secteurs hyperdéficitaires, au centre et à l’ouest de Paris selon la carte de zonage de protection de l’habitat, principalement dans les 2e, 7e, 8e, 9e, 7e, et 16e arrondissements.

Le principe de « la ville du quart d’heure » en six actions, développé par Carlos Moreno, urbaniste spécialiste de la Smart City, – se loger, travailler, accéder aux soins, s’approvisionner, apprendre et s’épanouir – devient le socle théorique pour augmenter la mixité entre les différents programmes et l’implantation de services répartis sur l’ensemble du territoire parisien. Par exemple, une série d’équipements publics de proximité seront développés au fur et à mesure comme ces 90 emplacements d’équipements de santé nécessaires, identifiés sur l’une des cartes du PLU. Le sport représente également une priorité, favorisé par l’impulsion des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

La « ceinture verte » le long du boulevard périphérique sera renforcée : pour protéger la santé des parisiens et favoriser la conservation d’espaces verts, une bande de 25 mètres de large le long périphérique sera rendue inconstructible en attendant sa mue progressive en boulevard urbain. Enfin, l’hôtellerie ne sera plus considérée comme du logement mais comme un véritable secteur d’activité économique comme le sont les bureaux, ce qui permettra de ralentir le développement hôtelier des quartiers du centre de Paris. Le PLU sera ainsi moins favorable qu’auparavant à l’hôtellerie et aux espaces de co-working, secteurs en pleine expansion.

Contrairement à l’idée hygiéniste et moderniste, d’amener la ville à la campagne, le nouveau PLU propose l’inverse : amener massivement la nature à la capitale. Ce volet important de la réglementation permettra d’introduire ce paramètre puissant dans le combat contre le changement climatique tout en améliorant le confort des habitants, en particulier l’été lors des épisodes de canicule en luttant contre les îlots de chaleur. L’objectif est de pouvoir compter sur 10m2 d’espaces verts par habitant. Des projets publics, comme la végétalisation des rues, la protection des 100 000 arbres d’alignement que compte la ville, la création de dix nouveaux parcs seront initiés d’ici 2035 soit la réalisation de près de 30 hectares de parcs au total. La redécouverte de la Bièvre participera également à la renaturation de Paris.

Transformer, adapter et réutiliser

« La démolition-reconstruction, c’est terminé ! » annonçait Dominique Alba lors de la conférence de presse, s’exprimant en tant qu’ancienne directrice de l’Atelier parisien d’urbanisme qui a porté le projet de PLU bioclimatique depuis 2020. Ainsi « la réhabilitation deviendra la norme, et la démolition l’exception ». Ce PLU propose une véritable mutation de la ville sur elle-même. Cette nouvelle manière de faire la ville – de la transformation aux usages – déterminera aussi le paysage de Paris. Dans le prolongement du travail présenté dans le « Manifeste pour la beauté de Paris » mené par la municipalité en 2022, trois thèmes majeurs se dégagent pour caractériser les transformations sur lesquelles le PLU est prescriptif : obligation des développeurs de projets immobiliers à respecter certains gabarits de bâtiments, emploi de matériaux bio-sourcés et géo-sourcés et conservation du « patrimoine remarquable ».

Mais c’est par les toits que le visage de Paris sera transformé grâce à la possibilité d’y créer de nouvelles surfaces de plancher, de produire de l’énergie et de décupler sa végétalisation. La révision générale du PLU en 2006 avait déplafonné les hauteurs constructibles dans certains secteurs et permis la construction en fond de parcelle, augmentant ainsi la densité de la capitale. Avec le nouveau PLU, il ne s’agira plus d’augmenter les surfaces au sol mais en hauteur par la surélévation

La transformation du bâti concerne principalement le changement d’usage – passer du bureau au logement par exemple – et la rénovation thermique avec le principe d’isolation par l’extérieur. Quelle esthétique émergera de ces transformations ? Jusqu’à ce jour, il n’y avait pas de cahier des charges formel mais la nécessité de respecter la réglementation environnementale 2020 (RE2020). Avec le nouveau PLU, les architectes devront redoubler d’inventivité car leurs marges de manœuvre seront limitées. La priorité sera à la vertu environnementale : règles sur les matériaux bio-sourcés et géo-sourcés, le recyclage, analyses des cycles de vie et bilan carbone des matériaux.

Le dernier enjeu lié au patrimoine est primordial. La protection d’édifices remarquables, qui concernait majoritairement des édifices datant d’avant la deuxième moitié du XXe siècle, sera élargie aux bâtiments du XXe siècle et au patrimoine industriel. Cette nouvelle condition confortera la diversité du patrimoine bâti, contrairement aux réglementations précédentes qui favorisaient une homogénéisation du tissu parisien selon les principes d’un Paris haussmannien et faubourien.

À la suite de villes comme Nantes ou Grenoble qui ont débuté leur mue écologique, la ville de Paris souhaite être pionnière dans les prochaines années pour adapter à la fois son bâti et ses espaces publics aux urgences climatiques et sociales. L’heure n’est plus à l’homogénéisation de la ville mais au respect d’une diversité sociale et architecturale : la nature aura enfin sa place à Paris, les toits seront plus hauts pour densifier la ville, les espaces publics seront requalifiés pour être plus inclusifs. Ce pari vertueux et ambitieux devra être porté par tous les acteurs de la ville de demain ou alors les Parisiens et les Parisiennes devront à nouveau fuir dans des contrées plus vertes et plus abordables.


Mathieu Mercuriali

Architecte, Chercheur à l’AMUP et au LIAT, professeur à l’ENSAS

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