écologie

La biodiversité et ses effets en milieu urbain

Écologue

Les recherches récentes mettent en évidence les nombreux bénéfices que la biodiversité urbaine apporte aux citadins, lorsqu’elle peut former des écosystèmes fonctionnels. La végétalisation des villes participe en effet de la réduction de la pollution mais procure aussi des bienfaits psychologiques et physiques.

La ville est essentiellement bâtie pour accueillir, héberger, voire protéger les humains. De ce fait, la biodiversité qui est associée à l’espace urbain est supposée pauvre et sans grande originalité.

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Pourtant, les recherches actuelles mettent en évidence les nombreux bénéfices que la biodiversité urbaine apporte aux citadins : qualité de vie et santé, dépollution de l’eau, de l’air et du sol, régulation des températures… Pour offrir ses services, elle doit pouvoir former des écosystèmes fonctionnels. Dans cet article il s’agit d’exposer quelles sont les propriétés de la biodiversité vis-à-vis du milieu urbain et des citadins qui l’habitent.

La ville est un milieu très contraignant pour la biodiversité

Les citadins bâtissent leurs villes en fonction de leurs besoins et de leurs activités, tout en tenant compte de l’histoire du territoire. Même si ces caractéristiques peuvent varier en fonction de la densité de population, de l’emplacement géographique (par exemple, centre-ville ou périphérie) et du type d’activités présentes, les villes demeurent toujours des endroits où la présence humaine est très prégnante pour les espèces avec lesquelles elles cohabitent.

Quelles sont les conséquences de cette forte présence humaine sur la biodiversité ? Dans un environnement urbain, les espaces favorables à la biodiversité sont souvent limités en taille et sont entourés par des bâtiments, des rues et d’autres structures non propices à la survie de nombreuses espèces. En conséquence, ces habitats sont isolés les uns des autres au sein de l’environnement urbain, ce qui rend difficile la migration des organismes d’une zone à une autre. Cet isolement a des conséquences négatives sur la survie et la diversité génétique des populations animales et végétales, ce qui les fragilise considérablement.

Dans une ville, les conditions climatiques locales peuvent différer de celles des zones environnantes, créant ainsi un microclimat spécifique à l’environnement urbain. Elles ont tendance à être plus chaudes et plus sèches en raison du phénomène d’« îlot de chaleur urbain ». Ce phénomène est causé par les activités humaines, parmi lesquelles certaines génèrent beaucoup de chaleur, telles que les usines, les moteurs de véhicules, le chauffage des édifices, la climatisation et les eaux chaudes circulant dans les canalisations, l’imperméabilisation des sols et le manque de végétation, qui contribuent tous à l’augmentation des températures locales.

En outre, les organismes humains et non-humains, sont tous exposés à la pollution urbaine. Cette pollution découle des émissions de divers gaz provenant du trafic routier, des activités industrielles et du chauffage urbain. Parmi les principaux agents polluants, on retrouve les oxydes d’azote (NO et NO2), le monoxyde de carbone, les composés organiques volatils ainsi que l’ozone, résultant de réactions photochimiques par temps ensoleillé, et les particules fines. Toutes ces substances peuvent être absorbées par les organismes vivants, ce qui peut avoir des conséquences plus ou moins dommageables sur leur santé et leur bien-être.

Dans les environnements urbains, l’eau de pluie peut être souillée en raison de la pollution générée par le trafic automobile et les activités industrielles. Cette eau de pluie, ainsi que l’air et les émissions provenant des activités humaines, contribuent à la contamination des sols par des substances toxiques. Ces sols, souvent perturbés en raison de la construction et de l’urbanisation, ne sont pas toujours propices à la croissance d’une grande variété de plantes.

Les autres sources de perturbations infligent des dommages significatifs aux espèces sensibles. Ce sont par exemple les pollutions lumineuses, qui altèrent la vie des espèces diurnes ou nocturnes. Les chauves-souris voient leurs comportements altérés en raison de l’éclairage artificiel nocturne. Certaines espèces courantes chassent les insectes attirés par la lumière des lampadaires. En revanche, des espèces moins répandues, très sensibles, fuient les zones urbaines pour trouver des espaces préservés. La pollution sonore peut également perturber la faune, y compris les oiseaux, les mammifères et les insectes, en les empêchant de communiquer, de se reproduire et de chasser. Certaines espèces modifient leur comportement pour éviter les zones bruyantes, ce qui peut avoir un impact sur leur habitat et leur survie.

Les sites en milieu urbain sont confrontés à des pressions directes considérables dues à la densité élevée de citadins sur de petites surfaces. Les sols subissent le piétinement et le compactage incompatible avec leur croissance et leur survie.

Quelles sont les espèces qui vivent en ville ?

Les grands groupes taxonomiques sont à peu près tous représentés en ville. Néanmoins, comme c’est observé dans de nombreux autres environnements, les espèces aquatiques sont assez rares car l’expansion urbaine se fait souvent aux dépens des zones humides. D’autre part, les eaux de pluies qui ruissellent vers les rivières sont chargées en polluants.

Les citadins sélectionnent un grand nombre d’espèces pour leur plaisir ou leurs besoins. Ainsi, la biodiversité urbaine comporte un certain nombre d’espèces cultivées ou domestiquées. S’agissant de la flore, cette catégorie englobe toutes les espèces horticoles ou potagères qui embellissent les maisons, les balcons, les espaces verts publics et privés, ainsi que les plates-bandes en bordure de voirie. Comme flore cultivée, il convient de noter les espèces poussant au niveau du sol, sur les murs, ainsi que sur les toits et les terrasses. Certaines sont locales, elles font partie de la flore de notre pays depuis plusieurs centaines d’années, l’orpin blanc (Sedum album L.) par exemple est utilisé pour végétaliser certaines toitures. Beaucoup d’autres sont exotiques.

Les alignements d’arbres qui bordent les avenues et les boulevards, comprennent principalement des espèces qui tolèrent bien les contraintes de la ville, telles que les platanes, les marronniers ou les tilleuls. Ils sont choisis pour leurs qualités esthétiques et l’ombre qu’ils fournissent durant la belle saison, ainsi que la difficulté qu’ils représentent pour les gestionnaires des rues lors de la chute de leur feuille en automne pour préserver la sécurité et la propreté de l’espace public.

En ce qui concerne les animaux, les chiens et les chats sont très nombreux. Ils ont un impact significatif sur l’écosystème urbain. Des études révèlent en effet que ces animaux sont des prédateurs redoutables, responsables de la mort de milliards d’oiseaux, de lézards et de petits mammifères. Leurs déjections contribuent à enrichir les sols. Les autres animaux de compagnie peuvent également être impactant pour les autres espèces.

Certaines espèces domestiquées, animales ou végétales sont en mesure de s’établir et de prospérer de façon autonome en milieu urbain. Un exemple notable est celui des roses trémières (Alcea rosea L.) qui échappent souvent des jardins pour coloniser l’environnement urbain. De même, les tortues de Floride (Trachemys scripta) ou les perruches à collier (Psittacula krameri) relâchées dans la nature urbaine, en dehors des zones où elles ont été élevées ou cultivées, sont un autre exemple de cette adaptation et du dérangement qu’elles peuvent occasionner pour la nature urbaine.

Les espèces sauvages et spontanées

Les espèces végétales sauvages sont parfois nombreuses dans les environnements urbains. La richesse de la végétation dépend de la diversité des espaces qui composent l’écosystème. En effet, chaque type d’espace vert héberge son propre ensemble d’espèces : des pelouses aux friches en passant par les jardins potagers. En fonction des pratiques de gestion, la composition des communautés végétales peut évoluer d’une simple pelouse vers une prairie, une friche voire même une forêt urbaine.

Les bases de données naturalistes identifient des espèces fréquentes telles que le pâturin annuel, le pissenlit ou encore la vergerette du Canada parmi les plus communes. De manière générale, ces espèces sont répandues et appartiennent en grande partie à la catégorie des pionnières ou rudérales. Elles résistent efficacement aux perturbations résultant des activités humaines en milieu urbain, telles que le piétinement, la tonte ou les arrachages fréquents. On estime qu’il existe environ 1000 espèces végétales dans Paris intra-muros.

Les plantes des milieux humides sont particulièrement vulnérables, car ces habitats ont été largement asséchés lors des phases d’urbanisation. Certaines fougères en particulier sont légalement protégées en raison de leur raréfaction en milieu urbain.

Certaines espèces végétales d’origine lointaine manifestent une remarquable aptitude à proliférer rapidement, ce qui les classe comme espèces exotiques envahissantes. Une grande proportion de ces espèces, originaires de climats chauds, trouve dans les environnements urbains des conditions optimales pour leur expansion. Les réseaux de transport, en particulier, leur fournissent un accès direct aux cœurs des villes.

Parmi les espèces de faune urbaine, les oiseaux sont les plus visibles. Des dizaines d’espèces peuplent nos villes, notamment le moineau domestique, la mésange bleue, l’étourneau sansonnet, le merle noir et le martinet noir, parmi les plus fréquentes. Certaines espèces exotiques, comme le pigeon biset ou la perruche à collier, ont également trouvé leur place dans cet environnement. Dans les environnements urbains, les oiseaux adaptés découvrent des sites de nidification adaptés et des ressources alimentaires abondantes, contribuant ainsi à des abondances remarquables. Le moineau domestique reste courant en ville, tandis que son déclin est davantage documenté en zones rurales. L’hirondelle de fenêtre fait de la ville son principal lieu de nidification en Europe occidentale. Pendant l’hiver, certains oiseaux migrateurs font place à de nouvelles espèces non-reproductrices, telles que le tarin des aulnes, à la recherche de nourriture et de chaleur.

En ce qui concerne les mammifères urbains, leur diversité est relativement limitée, avec seulement une vingtaine d’espèces. Dans les villes européennes fortement urbanisées, les dernières mentions de grands mammifères tels que les loups et les cerfs remontent à plusieurs siècles. Cependant, les sangliers sont de plus en plus signalés dans certaines zones périphériques. Les hérissons, les taupes, les putois, les écureuils, les rats, les souris, les lapins, les renards et quelques espèces de chauves-souris sont parmi les seuls mammifères qui coexistent avec succès dans les zones urbaines.

Alors que la plupart de ces espèces prospèrent grâce à des stratégies adaptées (reproduction prolifique, activité nocturne, etc.), certaines endurent les conditions difficiles de cet environnement. Les hérissons, en particulier, sont en nette régression en raison de la rareté des insectes et des gastéropodes, qui constituent leur alimentation, en raison des pesticides et des mesures de contrôle des limaces. La fragmentation croissante de l’habitat due aux clôtures dans les zones urbaines étendues limite les échanges génétiques entre les populations, tandis que les collisions mortelles avec les véhicules sur les routes représentent également une menace sérieuse pour cette espèce.

La chaleur urbaine ainsi que la grande disponibilité de ressources alimentaires attirent également de nombreux petits invertébrés. Des études ont d’ailleurs démontré qu’une meilleure connectivité entre les jardins par des haies ou d’autres structures végétales plus ou moins continues favorise la présence de ces petits organismes décomposeurs dans les jardins. En général, la ville est un territoire d’accueil pour les insectes généralistes, bien adaptés aux conditions variables de milieux perturbés. Les papillons, quoique moins fréquents en centre-ville, peuvent être abondants dans les jardins lorsqu’ils offrent des espaces non gérés et une ressource florale généreuse. D’autres espèces pollinisatrices, notamment les abeilles solitaires, jouent un rôle crucial dans la pollinisation d’un grand nombre de plantes, sauvages ou cultivées, du milieu urbain, surtout si elles ne subissent pas la concurrence excessive des abeilles domestiques issues des ruches installées dans certains quartiers.

De nombreuses espèces d’insectes sont mal perçues par les citadins, tels que les punaises de lit, les mites alimentaires ou les blattes. Ces espèces trouvent dans nos habitats urbains et nos modes de vie, des conditions idéales pour leur prolifération.

Quels sont les effets de cette biodiversité sur le milieu urbain et les citadins ?

Les recherches de plus en plus nombreuses sur ce sujet illustrent très clairement que la qualité de vie des citadins, voire leur santé, sont étroitement liées à la qualité de la biodiversité dans les quartiers où ils habitent.

Grâce à leur rôle dans l’écosystème urbain, les plantes contribuent à améliorer la qualité de l’air, de l’eau et du sol. Les arbres en particulier jouent un rôle essentiel pour des citadins car ils possèdent de nombreuses propriétés bénéfiques : ils participent à la trame verte des villes en formant des corridors pour diverses espèces, au niveau du sol et au niveau de leur feuillage. Ils produisent des microclimats et influent sur le cycle de l’eau. En période de canicule, en particulier, ils fournissent une ombre rafraîchissante et bienfaisante. L’eau captée par leurs racines circule jusqu’aux feuilles où elle s’évapore par les stomates.

Ce processus de conversion de l’eau liquide en vapeur d’eau, appelé évapotranspiration, demande une grande quantité d’énergie solaire, et exerce localement un effet rafraîchissant. Grâce à ce processus, ils rafraîchissent et humidifient l’air, modifient les flux d’air, contribuant ainsi à la ventilation de la ville, effet remarquable notamment en période de vague de chaleur.

Les forêts urbaines séquestrent une certaine partie des gaz à effet de serre, notamment le CO2, et génèrent de l’oxygène grâce à la photosynthèse. Elles agissent comme filtres en éliminant une fraction de la pollution atmosphérique, qu’elle soit particulaire ou gazeuse (comme le CO, les NOX, les NO2 et certains polluants non biodégradables). De plus, les arbres enrichissent les sols en abritant des bactéries et des champignons capables de décomposer des polluants organiques complexes (comme certains pesticides, hydrocarbures aromatiques polycycliques, composés organochlorés, etc.). La végétalisation intense des villes en général et l’augmentation du nombre d’arbres en particulier, ont donc des effets bénéfiques en participant à la réduction de la pollution.

L’intégration de la nature dans l’environnement urbain procure aussi des bienfaits psychologiques et physiques aux citadins résidant dans des quartiers riches en espaces verts. C’est pourquoi de nombreuses villes créent des parcs ou des squares, auquel chaque citadin peut accéder dans son voisinage. Les recherches indiquent entre autre que dans les zones plus vertes, les habitants sont moins susceptibles de souffrir d’allergies et de maladies cardiovasculaires. En effet, ces espaces améliorent la qualité de l’air localement, et leur aspect esthétique incite les résidents à les utiliser pour la promenade ou les activités physiques. Ainsi, ils ont un impact positif sur la santé des citadins.

La biodiversité en milieu urbain a également des avantages culturels et éducatifs. Elle offre l’occasion de sensibiliser un large public aux enjeux environnementaux, en commençant par les enfants. Pour bon nombre de petits citadins, les interactions avec la nature se limitent aux espaces verts proches de leur domicile. L’intérêt croissant pour les initiatives associatives visant à mettre en valeur la nature en ville (comme les fêtes de la nature et d’autres événements axés sur la biodiversité) ainsi que le succès de certains programmes de sciences participatives qui collectent des données sur la biodiversité urbaine (projets tels que « Sauvage de ma rue », « Lichen go », biodiversité des jardins, etc.) démontrent l’importance de préserver des espaces verts dans les quartiers centraux.

L’agriculture urbaine connaît une renaissance dans nos villes, que ce soit pour des raisons récréatives ou économiques, les jardins potagers font leur retour dans les quartiers. La production de fruits et légumes repose sur des sols et de l’eau de qualité, ainsi que sur la présence d’organismes pollinisateurs et régulateurs des espèces nuisibles aux cultures.

De la même façon, la présence d’espaces dédiés à la biodiversité au sein des villes permet d’assurer le rôle de corridors pour la faune et la flore, qu’ils soient continus ou disjoints, facilitant le passage d’espèces depuis des populations périurbaines.

Alors, comment mieux accueillir la biodiversité dans les villes ?

Au-delà de ces raisons purement pratiques, la préservation de la nature en milieu urbain équivaut à sauvegarder une part de la biodiversité caractéristique de certaines régions. Du fait que les terrains urbains s’étendent de plus en plus et que l’urbanisation progresse parfois dans des zones riches en faune et en flore, conserver la biodiversité urbaine revient parfois à préserver certaines espèces rares.

Le facteur le plus important qui agit sur la qualité de la biodiversité est la place qu’on lui laisse : vastes espaces verts, nombreux jardins, connectés entre eux par des structures végétalisées au sein de la matrice bâtie. Les immeubles et autres surfaces artificialisées peuvent intégrer de la végétation, et d’autant mieux que cette végétalisation ait été envisagée lors de la conception initiale.

La gestion de ces espaces doit être adaptée en fonction de leurs caractéristiques et des usages qui en sont faits. L’utilisation de pesticides doit être rigoureusement proscrite en raison de leur toxicité pour la biodiversité et leur danger pour la santé des citadins. Les pratiques de fauchage et d’arrachage doivent être espacées dans le temps afin de permettre aux espèces de boucler leur cycle de vie et ainsi se renouveler générations après générations.

En conclusion, la préservation de la faune et de la flore en milieu urbain est impérative. Cependant, les citadins doivent faire des choix en ce qui concerne les espèces avec lesquelles ils cohabitent. Cette démarche consiste souvent à trouver un équilibre optimal entre les impératifs de la biodiversité, les contraintes économiques et les modes de vie ainsi que les désirs des citadins.

Dans le contexte de changements climatiques, nos régions sont de plus en plus exposées à des événements extrêmes tels qu’inondations, tempêtes et canicules. C’est par la mise en œuvre de politiques de renaturation urbaine efficaces que les citadins auront des chances d’échapper au pire. L’abandon progressif des produits chimiques dans les espaces publics montre déjà des résultats prometteurs, étant donné qu’au début du 21e siècle, le milieu urbain de nos villes occidentales est le seul environnement terrestre où la biodiversité est en augmentation.

 

Dans le cadre de l’édition 2023 du festival Vivaces ! consacrée aux feuilles, qui a lieu à La Villette, Nathalie Machon, écologue, et Mickaël Wilmart, historien, échangeront autour de la question de la biodiversité en milieu urbain, son évolution, le rôle qu’elle joue et ses effets sur le mode de vie des citadins, tant d’un point de vue historique que dans une perspective d’écologie scientifique. Cette conversation proposée par AOC aura lieu le samedi 7 octobre à 15h sous la pergola de la Ferme de La Villette. Plus d’informations ici.


Nathalie Machon

Écologue, Professeure au Muséum national d'Histoire naturelle

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