Produire des sondages dans un monde marchand
Les sondages d’opinion sont un objet ambivalent. D’un côté, leur omniprésence permet de les comparer aux « prévisions météorologiques[1]», devenues tellement banales qu’elles font partie du quotidien, sans que personne n’y prête vraiment attention. Dans le même temps ces chiffres occupent une place essentielle dans l’actualité politique et médiatique. Une littérature abondante en sociologie et science politique s’est attachée à pointer les limites et les biais de cet instrument ainsi que ses effets sur le monde social. Nous proposons ici un regard nouveau sur les sondages en nous tournant vers les coulisses de leur fabrication. Être en mesure de comprendre les sondages, de les utiliser mais aussi les critiquer implique de cerner l’univers dans lequel ils sont produits et de les réencastrer dans un ensemble de relations économiques. Les sondeurs et sondeuses ont une longue histoire, à la jonction des mondes scientifique, économique et politique.

En s’appuyant sur les progrès de la théorie statistique et sur des travaux académiques issus de la sociologie et de la psychologie sociale du début du XXe siècle, les premiers entrepreneurs de la profession sont parvenus, à partir des années 1930, à imposer un instrument nouveau. Celui-ci répondait d’abord au besoin croissant d’un capitalisme en pleine transformation d’ouvrir de nouveaux marchés et de mieux connaitre le profil des consommateurs et consommatrices. Habilement, les sondeur·se·s ont parallèlement développé un discours présentant le sondage comme un atout pour la démocratie : grâce à lui il était désormais possible de connaitre l’opinion du plus grand nombre, sur tous les sujets, sans devoir attendre la tenue de scrutins très espacés dans le temps.
Cette promesse de fournir à la société des données fiables, issues d’un procédé scientifiquement établi et visant à stimuler et renforcer la pratique démocratique, se trouve profondément ancrée dans le profil des sondeur·se·s et la structuration progressive de