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Le Pakistan post-Imran Khan, entre vieux démons et populisme

Politiste

Le Pakistan – qui a connu trois coups d’État militaires, en 1958, 1977 et 1999 – traverse une crise sans précédent car elle n’oppose pas l’armée aux civils, mais une coalition civilo-militaire à un homme : Imran Khan, qui avait pourtant été porté au pouvoir avec l’appui des militaires en 2018. Néanmoins, cette crise est en train d’aider l’armée à pousser son avantage dans bien des domaines, aux dépens des partis politiques.

L’une des tensions qui structurent la vie politique pakistanaise (à côté de celle qui oppose les tenants d’un pouvoir central fort aux adeptes du fédéralisme et les partisans du sécularisme aux hérauts d’un régime islamique voire islamiste) tient au conflit latent qui oppose l’armée et les leaders des partis politiques depuis au moins soixante ans. Cette lutte a récemment changé de forme après que les militaires – auteurs de trois coups d’État – aient renoncé à gérer le pays. Depuis les années 2010, ils préfèrent en effet laisser les civils s’en charger, tout en gouvernant à travers eux de manière à s’épargner l’administration du pays au quotidien – tout en défendant leurs intérêts en coulisses[1].

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Ce mode de gouvernance a été inauguré sous la présidence d’Asif Ali Zardari (2008-2013) dont la relative docilité vis-à-vis des militaires a assuré à ce modèle une certaine pérennité. Mais ce dispositif n’empêche pas des phases d’instabilité politique lorsque le représentant du pouvoir civil – qui occupe en général le poste de Premier ministre – cherche à s’émanciper de la tutelle de l’armée. Celle-ci se considère alors trahie par l’homme qu’elle a aidé à conquérir le pouvoir – pour l’emporter sur ses rivaux des autres partis – et la tension entre le pôle civil et le pôle militaire montent alors très vite.

Ces tensions étaient restées modérées lorsqu’il s’était agi pour l’état-major d’évincer Nawaz Sharif. Celui-ci avait été soutenu avec succès par les militaires contre Zardari lors du scrutin de 2013, mais il avait ensuite cherché à négocier avec l’Inde de Narendra Modi en 2014-15, ce qui avait indisposé l’armée. Celle-ci avait alors décidé de laisser monter en gamme la campagne déclenchée contre lui après la publication opportune des « Panama papers » attestant ses pratiques corrompues. Sharif avait donc été condamné et destitué par la Cour suprême en 2017.

En 2019, il avait été autorisé à se faire soigner en Grande-Bretagne où il avait préféré resté plutôt qu


[1] J’ai analysé cette histoire politique dans Le syndrome pakistanais, Paris, Fayard, 2013.

[2] Cité dans Mohammad Taqi, « Pakistan Regresses to a Full-Blown Praetorian State as Curtains Draw on National Assembly », The Wire, 12 août 2023.

 

Christophe Jaffrelot

Politiste, Directeur de recherche au Centre de recherches internationales (SciencesPo-CNRS)

Notes

[1] J’ai analysé cette histoire politique dans Le syndrome pakistanais, Paris, Fayard, 2013.

[2] Cité dans Mohammad Taqi, « Pakistan Regresses to a Full-Blown Praetorian State as Curtains Draw on National Assembly », The Wire, 12 août 2023.