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Grèves à Emmaüs : derrière le sens du travail associatif, sa matérialité

Sociologue, Sociologue

Depuis l’été dernier, des grèves ont éclaté dans plusieurs communautés d’Emmaüs du Nord de la France. Ce ne sont pas les premières mais celles-ci posent la question de la participation du monde associatif à la précarisation, à la dérégulation et même à la « gratuitisation » du travail aujourd’hui.

Depuis l’été 2023, des grèves ont éclaté dans plusieurs communautés d’Emmaüs dans le Nord de la France. Ce n’est pas la première fois que l’association, fondée il y a maintenant 70 ans par l’Abbé Pierre, est le théâtre d’une mobilisation et d’un arrêt de la production par ses travailleur.ses. De la grève des salarié.es de 2009 à celles des compagnes et compagnons de 2023, ces conflits interpellent sur le traitement du travail dans ce cadre associatif et le déni qu’il y subi, au nom de la cause et des valeurs portées par ces entreprises engagées. Ils nous invitent, plus largement, à prendre en compte les liens entre monde associatif et néolibéralisme et à prendre au sérieux le statut politique et matériel du travail dans les associations, bien au-delà de la question du « sens » à laquelle il est souvent limité.

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De la grève de 2009 à celle de 2023, des brèches dans le déni de travail associatif

En 2009 déjà – entre le 3 juin 2009 et le 15 mars 2010 plus exactement – une grève de plusieurs mois avait secoué l’associations Emmaüs[1]. Les revendications des salarié.es portaient notamment sur le non respect du droit du travail par l’association – absence de négociations annuelles obligatoires – et dénonçaient plus largement leurs conditions de travail, de rémunération et le type de management appliqué depuis la restructuration de l’association deux ans plus tôt. Cette grève à Emmaüs était loin d’être la première grève dans le monde associatif. La Cimade avait déjà connu en 1977 une « grève étrange dans une entreprise association » pour reprendre le titre de l’article de Libération qui l’avait alors documentée. À la même époque, Amnesty International avait également été secouée par des conflits entre personnels et direction. Et en 2000, c’était au tour de France Terre d’Asile.

Ce qui frappe toutefois avec la grève d’Emmaüs de 2009 et qui la distingue de ces autres mobilisations, c’est sa forte médiatisation. Celle-ci résulte en grande partie d’une stratégie de pu


[1] Matthieu Hély, Maud Simonet, « Le monde associatif en conflits : des relations professionnelles sans relation ? » In L’année sociale : 2011, Syllepse, 2011.

[2] Axelle Brodiez-Dolino, Emmaüs et L’abbé Pierre, Presses de Sciences Po, 2009.

[3] L’absence de lien de subordination des compagnons avait été reconnu quelques années plus tôt, en 2001, lorsqu’un compagnon avait saisi la justice pour faire reconnaître qu’il était titulaire d’un contrat de travail. La chambre sociale avait alors rendu l’arrêt en faveur de l’association défendant l’idée que les travailleurs qui étaient acceptés dans les communautés et y travaillaient n’étaient pas des salariés puisqu’ils « s’engageaient par vœu » et « non pas avec l’idée de rendre service à un tiers ou à un employeur ». Un point de vue discutable comme l’avait alors souligné Philippe Waquet, juriste spécialiste du droit du travail dans son commentaire de l’arrêt intitulé « les zones grises entre bénévolat et salariat ».

[4] JO du Sénat, 9 juillet 2009, p. 1753.

[5] Tiphaine Guignat, ibid.

[6] Les témoignages recueillis par les journalistes de Street Press qui ont révélé, en juin 2023, l’enquête judiciaire en cours dans la communauté Emmaüs d’où est partie la grève, font froid dans le dos.

[7] Kathleen Kuehn, Thomas F. Corrigan, « Hope Labor: the role of employment prospects in online social production », The political economy of communication, vol. 1, n° 1, 2013.

[8] Pour une synthèse de ces travaux voir Maud Simonet, L’imposture du travail-désandrocentrer le travail pour l’émanciper, 10/18, 2024, pp. 53-60.

[9] Nancy Fraser, « Féminisme, capitalisme et ruses de l’histoire », Cahiers du Genre, n° 50, 2011, p. 165-192.

[10] Bob Jessop, « Towards a Schumpeterian Welfare State? Preliminary Remarks on Post-Fordist Political Economy ». Studies in Political Economy, vol. 40, n°1, 1993.

[11] Pour une approche dynamique et dialectique du salaire on renverra aux articles de la Revue Salariat, et notamment au numéro 2- 2024/2025 cons

Matthieu Hély

Sociologue, Professeur à l'université de Versailles Saint Quentin en Yvelines

Maud Simonet

Sociologue, Directrice de recherche au CNRS (IDHES)

Mots-clés

Sans-papiers

Notes

[1] Matthieu Hély, Maud Simonet, « Le monde associatif en conflits : des relations professionnelles sans relation ? » In L’année sociale : 2011, Syllepse, 2011.

[2] Axelle Brodiez-Dolino, Emmaüs et L’abbé Pierre, Presses de Sciences Po, 2009.

[3] L’absence de lien de subordination des compagnons avait été reconnu quelques années plus tôt, en 2001, lorsqu’un compagnon avait saisi la justice pour faire reconnaître qu’il était titulaire d’un contrat de travail. La chambre sociale avait alors rendu l’arrêt en faveur de l’association défendant l’idée que les travailleurs qui étaient acceptés dans les communautés et y travaillaient n’étaient pas des salariés puisqu’ils « s’engageaient par vœu » et « non pas avec l’idée de rendre service à un tiers ou à un employeur ». Un point de vue discutable comme l’avait alors souligné Philippe Waquet, juriste spécialiste du droit du travail dans son commentaire de l’arrêt intitulé « les zones grises entre bénévolat et salariat ».

[4] JO du Sénat, 9 juillet 2009, p. 1753.

[5] Tiphaine Guignat, ibid.

[6] Les témoignages recueillis par les journalistes de Street Press qui ont révélé, en juin 2023, l’enquête judiciaire en cours dans la communauté Emmaüs d’où est partie la grève, font froid dans le dos.

[7] Kathleen Kuehn, Thomas F. Corrigan, « Hope Labor: the role of employment prospects in online social production », The political economy of communication, vol. 1, n° 1, 2013.

[8] Pour une synthèse de ces travaux voir Maud Simonet, L’imposture du travail-désandrocentrer le travail pour l’émanciper, 10/18, 2024, pp. 53-60.

[9] Nancy Fraser, « Féminisme, capitalisme et ruses de l’histoire », Cahiers du Genre, n° 50, 2011, p. 165-192.

[10] Bob Jessop, « Towards a Schumpeterian Welfare State? Preliminary Remarks on Post-Fordist Political Economy ». Studies in Political Economy, vol. 40, n°1, 1993.

[11] Pour une approche dynamique et dialectique du salaire on renverra aux articles de la Revue Salariat, et notamment au numéro 2- 2024/2025 cons