Éducation

La désorientation de l’orientation scolaire

Sociologue, Sociologie, Sociologue

L’orientation scolaire post-bac a toujours suscité de l’appréhension pour les élèves et leurs familles. Il faut faire des choix importants dans un éventail de possibilités toujours plus large, parmi des filières de plus en sélectives, avec des outils de plus en plus opaques. Idem pour les professionnel.le.s chargé.e.s de les accompagner. De quelles manières le travail au quotidien de ces professionnel.le.s est-il bousculé par les dernières réformes et l’instauration d’outils tels que ParcourSup ?

La question de l’orientation scolaire occupe régulièrement le devant de la scène médiatique. En début d’année, les procédures en ligne d’inscription dans l’enseignement supérieur débutent. Courant mai, les premières réponses arrivent avec les premières désillusions pour les jeunes qui font face aux refus ou à la mise en attente de leurs choix d’orientation. Cette période génère de l’angoisse pour les élèves, leurs familles mais aussi pour les professionnel·l·e·s de l’éducation en charge de l’orientation.

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Alors que les premières réponses de Parcoursup aux vœux émis par les lycéen·n·e·s de Terminale pour leur orientation post-bac seront bientôt publiées, revenons sur les dispositifs d’orientation et les modalités de la sélection scolaire.

Une accélération législative qui fait bouger l’orientation

Dans les « temps anciens » (avant 2009), les bachelier·e·s se déplaçaient dans les universités pour déposer leur candidature et l’attente pour déposer un dossier pouvait durer plusieurs jours. Celui-ci était ainsi traité localement et l’établissement informait le ou la candidat·e par courrier de sa décision d’admission. Ce n’était pas simple de s’inscrire à la fac !

À partir de 2009, un service installé sur le site du ministère de l’Enseignement et de la Recherche, généralisé sur l’ensemble du territoire, change la donne. Admission Post-Bac (APB) est prévu pour automatiser les procédures d’affectation des lycéen.ne.s de terminale en première année de l’enseignement supérieur public. Ce dispositif devait apporter plus de lisibilité quant à l’offre de formation disponible dans le supérieur et une rationalisation des affectations, mais au bout d’une dizaine d’année, les critiques du système sont vives. En 2018, la plateforme Parcoursup remplace APB pour pallier ces critiques. Elle doit mieux informer les futur·e·s étudiant·e·s au sujet des formations et des établissements et leur permettre de formuler des vœux et de valider les propositions d’admissions reçues. Plus largement d’ailleurs, les dispositifs techniques d’affectation des élèves, régulés par des algorithmes (Affelnet en fin de 3ème, Parcoursup en terminale ou encore Monmatser en L3) qui fonctionnent sur une logique d’appariement entre les demandes et les offres, se généralisent.

Les responsables politiques présentent ces outils comme des instruments qui permettent de rationaliser les procédures d’orientation pour les rendre plus efficaces et plus justes. En réalité, comme ils impliquent des compétences implicites liées à la connaissance du système scolaire et universitaire, tant pour les familles que pour les professionnel.le.s impliqués et qu’ils relèvent d’un fonctionnement opaque, ils génèrent des inégalités sociales. Ces inégalités résultent de processus sociaux qui ont cours en dehors de l’école, mais aussi de dynamiques complexes qui ont lieu dans l’école, portées par une pluralité d’acteurs, qui voient de fait leurs territoires professionnels et leur activité évoluer. Contrairement au projet, l’école continue donc, pour de multiples raisons de participer à la (re)production des inégalités de parcours scolaire et fonctionne toujours « comme une institution divisée et divisante ».

Par ailleurs, pour comprendre ce que ces outils font, plus particulièrement, aux professionnels impliqués, il faut prendre un peu de recul. La mise en place de Parcoursup s’inscrit dans le contexte politique et doctrinal du New public management qui vise à transformer l’État et les services publics afférents afin de les rendre « moins coûteux », « plus efficaces » et « plus efficients ».

À partir d’un constat généralisé d’inefficacité des politiques publiques concernant l’orientation scolaire, une succession de réformes a été lancée : les réformes du lycée et du baccalauréat en 2019, Parcoursup en 2018, la délégation aux régions de l’organisation des actions d’information sur les métiers et les formations dans le cadre de la loi de 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », le bouleversement du mandat des « Psychologues-conseillers d’orientation » en « Psychologue de l’Éducation nationale » en 2017, etc. Elles modifient en profondeur le lycée général et technologique et plus généralement le modèle de l’orientation scolaire français. Il ne s’agirait plus d’orienter les élèves mais de les accompagner en développant « leurs compétences à s’orienter », cet accompagnement devenant la tâche d’une pluralité de professionnel·le·s : non pas seulement les Psy-EN, mais aussi les enseignants, les CPE, les chefs d’établissement, …

En réalité, la mise en œuvre de ces réformes est très variable selon les établissements scolaires, selon les équipes de direction qui adoptent des modalités de prise de décision et de collaboration hétérogènes, selon des filières qui bénéficient de budgets inégaux et bien entendu selon les pratiques des professionnel·le·s qui varient selon les profils des élèves, leur propre profil, et l’ancrage social et territorial.

Parcoursup : un dispositif particulièrement opaque que les enseignants tentent de rendre lisible

Même la littérature produite par l’État comme le rapport de la Cour des comptes par exemple, souligne l’opacité de Parcoursup. Les outils proposés durant la procédure, l’absence de publication du code algorithmique et des critères de sélection des étudiant·e·s participent à rendre ce dispositif nébuleux. Ce manque de clarté entraîne un brouillard que les professionnel·l·e·s de l’éducation du second degré ont du mal à sonder.

Pour lever partiellement ce brouillage institutionnel, ils et elles essaient d’apporter de la lisibilité et font avec les moyens du bord. Ils et elles créent des forums étudiants ; organisent des rencontres informelles avec leurs ancien·n·e·s lycéen·n·e·s ; glanent des informations dans leur entourage ; mobilisent leur réseau professionnel ou piochent dans leurs propres expériences du monde universitaire et/ou professionnel pour apporter de la lisibilité.

C’est donc généralement par un investissement temporel conséquent, et variable en fonction des statuts des enseignants, qu’ils ou elles mobilisent des réseaux informels et s’auto-forment pour y voir plus clair.

Pour autant, lors des premières années de vie de Parcoursup, et malgré leur fort engagement, les enseignant.e.s se sont régulièrement retrouvé.e.s dans l’incapacité de justifier auprès des élèves et de leurs familles certains refus générés par l’algorithme. La connaissance s’est faite sur le tas, par l’expérience et les échecs des lycéen.ne.s à obtenir leur orientation. Dans les faits, le temps consacré à ces activités associé au manque de formation et à la lisibilité très partielle des processus d’orientation engendrent chez de nombreux.ses enseignant.es une grande souffrance. Le caractère opaque et implicite des dispositifs amène les enseignant.e.s à éprouver un sentiment de délégitimation tant par rapport aux élèves et aux familles que vis-à-vis de leurs pairs. Face aux nouvelles missions et aux conditions de travail, certain·e·s enseignant·e·s développent alors un sentiment d’insuffisance professionnelle conduisant parfois à de la souffrance professionnelle.

Une mise en concurrence des établissements et des professionnel·l·e·s

Outre cela, l’instauration de la réforme du lycée GT et de Parcoursup a amplifié la mise en concurrence des établissements et des professionnel·l·e·s. Dans les lycées, entre les enseignant.e.s des différentes spécialités émergent des stratégies de compétition dont les enjeux de flux dépassent les questions pédagogiques.

De ces luttes résultent très directement leurs conditions de travail mais aussi la pérennité même des postes, comme l’illustre l’extrait d’entretien informel que nous avons eu avec cette enseignante d’allemand : « T’as l’impression qu’on nous monte les uns contre les autres. […] Bah oui, je sais qu’entre les maths, SVT [sciences de la vie et de la terre] et physique chimie…. Qui c’est qui va … ? Quel poste va sauter ou pas sauter cette année ? Faut recruter, à fond, à fond, … enfin, pour toutes les spé je pense, hein. Faut recruter pour être sûr d’avoir un groupe, pour être sûr de garder son poste. »

Cette mise en concurrence entre segments professionnels s’inscrit dans le cadre de politiques scolaires néo-libérales caractérisées par la responsabilisation locale des résultats et des performances. Ainsi, en échange de leur autonomie, les établissements et leurs professionnel.le.s, dont les enseignant.e.s, doivent rendre compte d’objectifs quantitativement et qualitativement mesurables, tels les flux d’élèves dans les spécialités. Ils se trouvent à cet égard, garant.e.s de la stabilité de leur propre poste.

Dans les pratiques professionnelles des acteur.trice.s, cette mise en concurrence se traduit par un élargissement des tâches, une modification de ce que les professionnel·l·e·s doivent faire pour accompagner le ou la jeune. Les enseignant.e.s conçoivent et participent à des forums d’informations, entretiennent un réseau de professionnel.le.s ou créent des vidéos vantant leur spécialité, hors et dans l’établissement. Autant de « nouvelles » tâches de promotion qu’ils et elles effectuent sur leur temps libre. On le voit, les politiques publiques de régulation par les résultats déstabilisent les groupes professionnel.e.s de l’orientation en rendant les acteurs de terrain individuellement comptables de la mise en œuvre de ces réformes. Et Parcoursup catalyse l’opacité de l’algorithme, des procédures, des critères de sélection, et illustre bien l’inconstance dans laquelle les réformes récentes sur l’orientation plongent les professionnel·l·e·s.

En modifiant profondément le lycée et les procédures d’orientation, ces dernières réformes conduisent à la déstabilisation des professionnel·l·e·s du second degré et au bouleversement de leurs pratiques. Face à cela, les enseignant·e·s, sans formation à l’orientation, bricolent tant bien que mal. Malheureusement, ces derniers ne sont pas les seul·e·s professionnel·l·e·s à être bousculé·e·s par ces réformes, le travail des Psy-En est également particulièrement remis en cause.


Alexie Geers

Sociologue, Maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Paris Nord

Florence Legendre

Sociologie, Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Champagne-Ardenne

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Sociologue, Enseignant-chercheur en sociologie et en sciences de l’éducation à l’Université Champagne-Ardenne

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Ses histoires sont des filets en spirale faits pour capturer non pas les bancs de poissons mais les cœurs meurtris et féroces, les âmes de femmes abandonnées et abandonneuses, les pièges tendus par des jeunes... lire plus