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Derrière la promesse de l’open access, la marchandisation renouvelée de l’édition scientifique

Sociologue

Depuis le début du siècle, de nouveaux modèles de diffusion de la recherche scientifique sont apparus. Marchandisant à leur profit l’injonction à l’open access, ils piègent les chercheurs mal informés ou souhaitant répondre plus facilement aux demandes de leurs institutions. Pour éviter la dégradation de la qualité scientifique provoquée par ces mégarevues, il est urgent de repenser les modalités d’expertise et d’évaluation de la recherche.

En France, la réforme de la recherche publique s’est accélérée à la fin des années 2000, visant notamment l’intensification et l’internationalisation de la production scientifique pour rivaliser avec les pays aux universités prestigieuses. Dans cette quête d’excellence, une concurrence accrue a été instaurée entre scientifiques comme entre institutions de recherche. Considérée comme vertueuse, elle a renforcé le besoin d’indicateurs pour évaluer les travaux et faire converger les moyens vers les « meilleurs ».

Déjà central, le rôle de l’article scientifique en tant qu’unité d’analyse de la performance s’en est trouvé accentué. Comparer, classer et distribuer les ressources à cette aune est d’autant plus commode qu’un facteur d’impact (FI)[1] est attribué à la plupart des revues anglo-saxonnes publiant ces articles, contribuant à leur hiérarchisation. Certes, l’activité d’évaluation ne se résume pas à faire des additions et tient compte d’autres référentiels et supports de publication (liste de revues d’audience nationale, livres et chapitres d’ouvrages collectifs dans bien des disciplines des sciences humaines et sociales). Mais, comme le souligne Yves Gingras, cette métrique internationale et ses déclinaisons (classement des revues par quartiles, h-index, etc.) constituent un point d’appui pour établir les jugements, justifier et accélérer les sélections.

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En position de force, les éditeurs de revues cotées ont régulièrement et abusivement augmenté les tarifs des abonnements conditionnant l’accès à leur contenu. Sur fond d’incitations politiques à l’open access, deux évolutions récentes contribuent à atténuer l’emprise de cette rente. La première alternative est la mise à disposition en ligne, gratuite et légale, de travaux publiés dans ces revues (sur les archives publiques HAL ou arXiv par exemple). La seconde altère le modèle économique dominant : l’accès est rendu gratuit pour tous après paiement par l’auteur de frais de publication (article processing


[1] Cet indicateur a été créé dans les années 1950 dans le but d’outiller les choix d’abonnement des bibliothèques ; il correspond au ratio entre le nombre de citations des articles parus dans une revue et le nombre d’articles publiés par la même revue. Cette mesure assez rudimentaire a ensuite été détournée à des fins d’évaluation de la recherche, pour attester indirectement de la qualité des contenus d’une revue, dont elle constitue au mieux un proxy très approximatif.

[2] En 2020, 87,5 millions d’euros ont été dépensés en abonnements par les institutions de recherche françaises. À l’échelle européenne, la facture s’élève à un milliard d’euros.

[3] Lancé en France en 2018, le Plan national pour la science ouverte est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et la Commission européenne. Il entend dynamiser la construction d’un écosystème de publications scientifiques ouvert, éthique et transparent, impliquant une pluralité d’acteurs éditoriaux.

[4] Le cap des cent mille articles a été atteint par PLOS One en 2014, un peu plus de sept ans après sa création. Frontiers cumule, en 2023, plus de cinq cent mille articles publiés et le Multidisciplinary Digital Publishing Institute, en 2024, un million cinq cent mille.

[5] Promesse de l’open access, l’accélération de la circulation des savoirs se trouve paradoxalement entravée par une telle profusion d’articles, au sein de laquelle faire le tri relève de la gageure.

[6] Un processus éditorial digne de ce nom comporte différentes phases : assigner l’article à un éditeur (associé) ; laisser ce dernier jeter un œil à l’article et identifier des reviewers ; contacter et convaincre ces derniers (beaucoup refusent) ; expertiser le texte (sachant que les scientifiques compétents manquent généralement de temps) ; prendre une décision éditoriale basée sur la consultation des évaluations ; rédiger l’avis aux auteurs ; consulter et comprendre les rapports (pour les

Bastien Soulé

Sociologue, Professeur à l’université Claude Bernard Lyon I et membre du Laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport (L-ViS)

Notes

[1] Cet indicateur a été créé dans les années 1950 dans le but d’outiller les choix d’abonnement des bibliothèques ; il correspond au ratio entre le nombre de citations des articles parus dans une revue et le nombre d’articles publiés par la même revue. Cette mesure assez rudimentaire a ensuite été détournée à des fins d’évaluation de la recherche, pour attester indirectement de la qualité des contenus d’une revue, dont elle constitue au mieux un proxy très approximatif.

[2] En 2020, 87,5 millions d’euros ont été dépensés en abonnements par les institutions de recherche françaises. À l’échelle européenne, la facture s’élève à un milliard d’euros.

[3] Lancé en France en 2018, le Plan national pour la science ouverte est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et la Commission européenne. Il entend dynamiser la construction d’un écosystème de publications scientifiques ouvert, éthique et transparent, impliquant une pluralité d’acteurs éditoriaux.

[4] Le cap des cent mille articles a été atteint par PLOS One en 2014, un peu plus de sept ans après sa création. Frontiers cumule, en 2023, plus de cinq cent mille articles publiés et le Multidisciplinary Digital Publishing Institute, en 2024, un million cinq cent mille.

[5] Promesse de l’open access, l’accélération de la circulation des savoirs se trouve paradoxalement entravée par une telle profusion d’articles, au sein de laquelle faire le tri relève de la gageure.

[6] Un processus éditorial digne de ce nom comporte différentes phases : assigner l’article à un éditeur (associé) ; laisser ce dernier jeter un œil à l’article et identifier des reviewers ; contacter et convaincre ces derniers (beaucoup refusent) ; expertiser le texte (sachant que les scientifiques compétents manquent généralement de temps) ; prendre une décision éditoriale basée sur la consultation des évaluations ; rédiger l’avis aux auteurs ; consulter et comprendre les rapports (pour les