Politique

Faire de la recherche en pleine apocalypse (2/2)

Sociologue

Une partie des chercheurs se désintéresse des attaques dont la science fait actuellement l’objet, soit qu’ils l’ignorent, n’y voient qu’une menace lointaine ou considèrent qu’ils ont déjà trop à faire ou qu’ils ne peuvent tout simplement rien faire, condamnés à la manière de Norbert Elias à regarder inexorablement monter l’extrême droite, en continuant à essayer de faire vaille que vaille leur travail. On ne saurait pourtant s’y résoudre.

Le rapport de détestation que plusieurs figures de l’entrepreneuriat, de la finance et de la politique entretiennent à l’égard du personnel académique peut se comprendre à partir d’un texte originellement publié en 1967 par Howard Becker.

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Dans « De quel côté sommes-nous ? », le sociologue s’intéressait aux soupçons de partialité que les élites politiques et économiques entretenaient à l’égard des chercheurs, Becker parlant de sa propre expérience de sociologue de la déviance. Il les expliquait par deux facteurs : l’empathie développée par les chercheurs pour leur objet et le fait que les travaux de recherche bousculent la « hiérarchie de crédibilité » précédemment établie.

Concernant le premier point, l’auteur d’Outsiders avançait ainsi qu’en tant que chercheurs nous développons « une sympathie profonde pour les gens que nous étudions. Alors que le reste de la société les voit comme indignes de la considération habituellement accordée à nos concitoyens, nous croyons qu’ils valent autant que tout un chacun, et plutôt que de les voir comme des pécheurs, nous estimons qu’à l’inverse on pèche contre eux. » Il précisait que cet attachement avait des implications morales et politiques, car en livrant un « portrait » différent de ceux et celles que le reste de la société considèrent comme déviants, nous condamnons implicitement « ces citoyens respectables qui, à nos yeux, ont fait du déviant ce qu’il est. »

De fait, l’existence de certaines sciences, indépendamment des résultats produits, des valeurs défendues, du vote ou des convictions intimes des chercheurs, conduit à bousculer la « hiérarchie de crédibilité » que certaines élites souhaitent instaurer ou voudraient ne pas voir changer. Becker considérait ainsi qu’au sein de tout système, il est généralement accepté que « les membres du rang le plus élevé détiennent le droit de définir la situation ». Or, si l’on soupçonne certains chercheurs de partialité, c’est qu’ils refusent « de tenir pour acquis, sur les


[1] Pour s’en rendre compte, on peut notamment comparer Alain Corbin, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot sur les traces d’un inconnu 1798-1876, Flammarion, 1998, et Bruno Latour, Enquêtes sur les modes d’existence, Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012.

[2] Voir notamment Vincent Tiberj, La Droitisation française. Mythes et réalités, PUF, 2024. On notera que ces évolutions concernent également les élites portant des agendas conservateurs, qui peuvent être issues de l’immigration, appartenir à des minorités sexuelles ou accorder une place grandissante aux femmes.

[3] Gérard Grunberg et Etienne Schweisguth, « Libéralisme culturel, libéralisme économique », L’Électeur français en questions, Presses de Sciences Po, 1990, p. 45-70.

[4] Voir notamment Alice Marwick, Becca Lewis, « Media Manipulation and Disinformation Online », Data and Society, mai 2017 ; Becca Lewis, « Alternative influence », Data and Society, septembre 2018. Pour une comparaison internationale, voir Caterina Froio, Bharath Ganesh, « The Transnationalisation of Far Right Discourse on Twitter: Issues and Actors that Cross Borders in Western European Democracies », European Societies, 2019, 21 (4), p. 513-539.

[5] Cité par Alain Besançon, « Les Intellectuels », Annales, 18, 5, 1963, p. 1 019-1 022.

[6] Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Flammarion, 1992.

[7] Vincent Descombes, Philosophie par gros temps, Éditions de Minuit, 1989.

[8] Voir notamment Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou et Philippe Vincke, « Faut-il croire le classement de Shangaï ? », Revue de la régulation, 8, 2010, et Fabien Eloire, « Le classement de Shanghaï. Histoire, analyse et critique », L’Homme & la Société, 2011, 178(4), p. 17-38.

[9] À la différence des think tanks : Institut Rousseau proche de LFI, Terra Nova du parti socialiste, Institut Montaigne pour Renaissance, Fondapol pour Les Républicains, l’IPJ ou Atlas pour l’extrême droite.

[10] Counterrevolution. Extravagance and Austerity in Pub

Olivier Alexandre

Sociologue, Chercheur au CNRS

Mots-clés

Démocratie

Notes

[1] Pour s’en rendre compte, on peut notamment comparer Alain Corbin, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot sur les traces d’un inconnu 1798-1876, Flammarion, 1998, et Bruno Latour, Enquêtes sur les modes d’existence, Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012.

[2] Voir notamment Vincent Tiberj, La Droitisation française. Mythes et réalités, PUF, 2024. On notera que ces évolutions concernent également les élites portant des agendas conservateurs, qui peuvent être issues de l’immigration, appartenir à des minorités sexuelles ou accorder une place grandissante aux femmes.

[3] Gérard Grunberg et Etienne Schweisguth, « Libéralisme culturel, libéralisme économique », L’Électeur français en questions, Presses de Sciences Po, 1990, p. 45-70.

[4] Voir notamment Alice Marwick, Becca Lewis, « Media Manipulation and Disinformation Online », Data and Society, mai 2017 ; Becca Lewis, « Alternative influence », Data and Society, septembre 2018. Pour une comparaison internationale, voir Caterina Froio, Bharath Ganesh, « The Transnationalisation of Far Right Discourse on Twitter: Issues and Actors that Cross Borders in Western European Democracies », European Societies, 2019, 21 (4), p. 513-539.

[5] Cité par Alain Besançon, « Les Intellectuels », Annales, 18, 5, 1963, p. 1 019-1 022.

[6] Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Flammarion, 1992.

[7] Vincent Descombes, Philosophie par gros temps, Éditions de Minuit, 1989.

[8] Voir notamment Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou et Philippe Vincke, « Faut-il croire le classement de Shangaï ? », Revue de la régulation, 8, 2010, et Fabien Eloire, « Le classement de Shanghaï. Histoire, analyse et critique », L’Homme & la Société, 2011, 178(4), p. 17-38.

[9] À la différence des think tanks : Institut Rousseau proche de LFI, Terra Nova du parti socialiste, Institut Montaigne pour Renaissance, Fondapol pour Les Républicains, l’IPJ ou Atlas pour l’extrême droite.

[10] Counterrevolution. Extravagance and Austerity in Pub