Kupka chez les pauvres
J’étais à la recherche d’une articulation. Premier élément : le souvenir de l’exposition « Cosa Mentale » de Pascal Rousseau au Centre Pompidou-Metz en 2015, où le rapport du tchèque Kupka (mais aussi de Kandinsky, Mondrian et de bien d’autres) à la théosophie était remis en valeur. Ce qu’est la théosophie, on essaiera de le dire un peu plus tard. Deuxième élément, qui corrobore le premier : une visite, plus récente, au palais Veletrzní de Prague où Kupka, enchaîné par le déroulement chronologique des salles aux mystères symbolistes de Jakub Schikanider ou Jan Preisler, semblait donner une peinture visionnaire et organique à la fois, pleine de formes « naturelles » (mais réinterprétées par le Jugendstil) : fleurs, feuilles, stalactites, ronds dans l’eau, par exemple avec Amorpha, fugue en deux couleurs (1912). Je pensais à un art phénoménologique, quoique techniquement « abstrait », ayant entrepris de rendre sur la toile le gargouillis de nos vibrations intracellulaires face aux objets du monde, sismographiant la perception entre deux courts-circuits synaptiques. Cela me semblait profondément humain, apte au partage, un art accessible à tous car venant d’un tréfonds commun.
Troisième élément à articuler, le plus épineux, qui apparaît dès les premières salles de la rétrospective du Grand Palais : l’engagement politique du jeune František (mais il signe François car il vit et travaille à Paris) Kupka. Par exemple, en décembre 1906, à 35 ans, il dessine un Ouvrier crucifié au fusain, à l’encre et l’aquarelle pour la der de la revue anarchiste les Temps nouveaux. Un jeune homme à petite moustache de hipster, yeux baissé, peut-être mort, est attaché à une roue dentée géante. Rien de réaliste ou dérangeant ici, nulle broyure, plutôt une icone glacée. On ignore si Kupka a lui-même emprunté cette iconographie socialiste, mais elle se retrouve évidemment dans la scène des Temps Modernes de Chaplin, trente ans plus tard, où le héros fait corps avec un rouage machin