Y’a une route… Et Philippe Artières l’a reconnue
Des routes de Philippe Artières est presque un livre en kit, fait en tout cas de pièces, un peu comme celles d’un moteur, que l’on démonte par défi, puis remonte avec plaisir, pour peu qu’on soit versé dans la mécanique, ou l’art des métaphores : les pièces y sont aussi d’archives, et la route elle-même se duplique en significations alternées, tantôt lignes du livre, tantôt tracés de la vie, qui font une drôle de cartographie, en définitive, au croisement de l’intime et de l’Histoire.
On n’en est pas trop surpris, car c’est le territoire coutumier de cet auteur et personnage assez singulier, qui ne choisit pas vraiment entre l’orientation du chercheur – ce qu’il est, en tant qu’anthropologue du contemporain – et celle du « metteur en fiction », si l’on peut dire, inventant des dispositifs qui relèvent sans césure de la création et de la science, où un « moi » tout personnel réfracte le cours du monde à un certain moment de son état – on pourrait écrire en ses tournants, sinon ses virages.
« Des routes » : avant même de passer le panneau premier du titre, on ne peut s’empêcher d’y deviner la possibilité d’une « déroute », sortie intempestive d’une voie (d’une voix ?) de toute façon ouverte aux ambiguïtés : « des routes » s’entend à la fois comme l’indéfini d’un pluriel disant le hasard plus ou moins organisé des parcours, en même temps que la promesse d’un traité savant, à la manière latine d’une ancienne étude « sur » les routes, et son annonce sans fard, peut-être pas sans phare (ne nous privons pas de l’astuce, à laquelle peut inviter aussi le graphisme de la couverture). Tout le projet tient en tout cas dans cet entre-deux : se refusant l’univoque et conventionnelle autorité d’un traité, voire d’un guide de conduite, Des routes n’en est pas moins, à travers ses détours très personnels, une réflexion troublante sur notre rapport à l’espace, donc au temps.
Le sous-titre lui-même prête au jeu : « Accrochage » résonne à la fois comme la mention d’un bref