Enseignement supérieur

Les femmes de l’ESR : minorées, invisibilisées, mais désormais mobilisées

Philosophe

Alors que les historiennes et les philosophEs se mobilisent, la question de l’invisibilisation des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche doit être posée à nouveaux frais. Pour en finir avec l’hypothèse de « l’auto-censure », qui dédouane ceux qui la professent, il faut défaire les injonctions à l’hyper-compétition et à l’ultra-flexibilité qui contribuent à la minoration des femmes dans l’université.

Après l’appel retentissant des historiennes qui jetaient le pavé de la sous-féminisation de leur discipline dans la mare de Blois, ce sont les philosophEs qui se sont mises à compter leurs rangs, ajoutant leurs voix à celles de leurs collègues et sœurs de misère. Dans les deux cas, une même déploration : d’un côté, la trop lente féminisation du corps académique, de l’autre, la trop faible reconnaissance des travaux féminins.

Nul doute que d’autres appels suivront tant il est vrai que cette situation caractérise le champ scientifique dans sa globalité : partout dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), les femmes sont sous-représentées, minorées, invisibilisées. Toutes disciplines confondues, leur proportion parmi les enseignant·e·s-chercheur·se·s est aujourd’hui de 38 %, la sous-féminisation s’accentuant encore à mesure que les disciplines se « durcissent » : on compte 61 % de femmes en langues et littérature, 45 % en sciences humaines, 44 % en droit et science politique, 38 % en chimie, 28 % en sciences de la terre, 22 % en physique, mathématiques et informatique, 19 % en sciences de l’ingénieur (d’après le rapport annuel du ministère).

Mais ces seuls chiffres ne disent pas le plus important, soit la concentration des femmes aux premiers échelons de la profession. On compte ainsi 44 % de maîtresses de conférence pour 24 % de professeures. On dénombre 34 % de chercheuses au CNRS, mais seulement 31 % parmi les directeurs/trices de recherche à l’échelon 1, 25 % à l’échelon 2, 15 % à la classe exceptionnelle (données 2016). Quant aux postes d’autorité et autres fonctions exécutives, c’est chasse-gardée masculine : seules 12 % des présidences d’université et 17 % des directions de Grands établissements sont confiées à des femmes, quand la gouvernance des organismes publics de recherche n’est féminisée qu’à « hauteur » de 29 %. Le phénomène n’est en rien spécifique au monde de la recherche et de l’enseignement, c’est tout simplement le fait majeur caractérisa


[1] Catherine Marry, « Pour en finir avec le plafond de verre: enquête sur les promotions CR-DR dans une section des sciences de la vie du CNRS », in Les femmes à l’université : rapports de pouvoir et discriminations, Actes de la journée ANEF-EFFIGIES, 2009. Une enquête par récits de vie menée par des sociologues américains a par ailleurs  montré qu’il n’existait pas de relation avérée entre les moments de creux des publications et des événements familiaux comme la naissance d’un enfant. cf. Harriet Zuckerman, Jonathan R. Cole , J.T. Bruer (éd.), The Outer Circle. Women in the scientific community, New Haven and London, Yale University Press, 1991. Voir aussi Emmanuelle Latour, Nicky Le Feuvre, « Les carrières universitaires françaises à l’épreuve du genre », in E. Ollagnier, C. Solar, Parcours de femmes à l’université. Perspectives internationales, Paris, L’Harmattan, 2006. Voir enfin Isabelle Backouche, Olivier Godechot, Delphine Naudier, « Un plafond à caissons. Les femmes à l’EHESS », in Sociologie du travail, n° 52, 2009.

[2] Une enquête menée auprès d’universitaires allemand·e·s a mis en évidence l’importance de l’illusio du champ académique qui érige l’activité scientifique en véritable cause. cf. Sandra Beaufaÿs, Beate Krais, « Femmes dans les carrières scientifiques en Allemagne. Les mécanismes cachés du pouvoir », Travail, genre et sociétés, n° 14, « Science, recherche et genre », 2005.

[3] Après avoir analysé une trentaine de rapports des commissions de nomination des professeur·e·s à l’Université de Lausanne, Carine Carvalho a ainsi pu remarquer que la présence attendue et la potentialité d’implication étaient des critères mobilisés dans les seuls cas de dossiers féminins et, le plus souvent, sur la base de simples projections. cf. Carine Carvalho, « Nomination des professeur·e·s à l’Université de Lausanne et perception des (in)égalités », in Farinaz Fassa, Sabine Kradolfer (dir.), Le plafond de fer de l’université. Femmes et carrières, Genève, Seismo, 2

Camille Froidevaux-Metterie

Philosophe, Professeure de science politique et chargée de mission égalité à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

Notes

[1] Catherine Marry, « Pour en finir avec le plafond de verre: enquête sur les promotions CR-DR dans une section des sciences de la vie du CNRS », in Les femmes à l’université : rapports de pouvoir et discriminations, Actes de la journée ANEF-EFFIGIES, 2009. Une enquête par récits de vie menée par des sociologues américains a par ailleurs  montré qu’il n’existait pas de relation avérée entre les moments de creux des publications et des événements familiaux comme la naissance d’un enfant. cf. Harriet Zuckerman, Jonathan R. Cole , J.T. Bruer (éd.), The Outer Circle. Women in the scientific community, New Haven and London, Yale University Press, 1991. Voir aussi Emmanuelle Latour, Nicky Le Feuvre, « Les carrières universitaires françaises à l’épreuve du genre », in E. Ollagnier, C. Solar, Parcours de femmes à l’université. Perspectives internationales, Paris, L’Harmattan, 2006. Voir enfin Isabelle Backouche, Olivier Godechot, Delphine Naudier, « Un plafond à caissons. Les femmes à l’EHESS », in Sociologie du travail, n° 52, 2009.

[2] Une enquête menée auprès d’universitaires allemand·e·s a mis en évidence l’importance de l’illusio du champ académique qui érige l’activité scientifique en véritable cause. cf. Sandra Beaufaÿs, Beate Krais, « Femmes dans les carrières scientifiques en Allemagne. Les mécanismes cachés du pouvoir », Travail, genre et sociétés, n° 14, « Science, recherche et genre », 2005.

[3] Après avoir analysé une trentaine de rapports des commissions de nomination des professeur·e·s à l’Université de Lausanne, Carine Carvalho a ainsi pu remarquer que la présence attendue et la potentialité d’implication étaient des critères mobilisés dans les seuls cas de dossiers féminins et, le plus souvent, sur la base de simples projections. cf. Carine Carvalho, « Nomination des professeur·e·s à l’Université de Lausanne et perception des (in)égalités », in Farinaz Fassa, Sabine Kradolfer (dir.), Le plafond de fer de l’université. Femmes et carrières, Genève, Seismo, 2