Geneviève Brisac et ses Mots sauvages ou comment politiser la littérature
« Il n’y a rien de plus sauvage, de plus libre, de plus irresponsable, de plus indomptable, que les mots » : c’est par cette phrase de Virginia Woolf que commence le nouveau livre de Geneviève Brisac, publié dans la collection « Le goût des mots », dirigée par Philippe Delerm aux éditions Points. Un tigre rugissant, au pelage fleuri et étoilé, orne la couverture et nous prévient : cet inventaire de mots indomptables sera à la fois un arsenal, un traité de stratégie et un vadémécum pour temps agités.
Ce qui n’empêche pas l’auteure de débuter son ensemble par le mot « abstention ». « Je me figurais le mot abstention comme un mot triste et raide », écrit-elle. « Je me disais cela à cause de cette expression trop entendue : Dans le doute, abstiens-toi ! Mais non, protesté-je in petto, dans le doute engage-toi, dans le doute, ouvre tes oreilles, dans le doute, prends-toi la tête dans les mains. Dans le doute, tends la main vers un livre, parle à ton voisin, tout reste à faire et à penser. » « Tout reste à faire et à penser » : tel pourrait être l’énoncé qui traverse toute l’œuvre de Geneviève Brisac, des Filles jusqu’au Chagrin d’aimer, en passant par l’immense Petite (et tant pis pour l’oxymore involontaire, ce livre ayant autant d’importance dans la littérature française contemporaine que L’Opoponax de Monique Wittig ou La Place d’Annie Ernaux).
Qu’on se rappelle d’ailleurs ce chef-d’œuvre avant d’entamer Mes mots sauvages : l’adolescente qui en est le personnage principal y va à la rencontre de Mai 68. Quelque chose se passe dont on prétend que c’est un gigantesque événement discursif : elle y va et y prend la parole, tout naturellement. À quoi aurait bien pu servir un amphithéâtre de la Sorbonne ou le théâtre de l’Odéon transformés en lieux de libre parole pendant une révolution approximative si une adolescente n’y avait pu s’exprimer naturellement ?
Geneviève Brisac s’amuse à faire sortir les mots de leurs gonds, afin qu’ils démontrent les limites et les