Cinéma

Le cinéma discret de Dominique Choisy – à propos de Ma vie avec James Dean

Ecrivain

Film sur un film et, plus encore son réalisateur, Ma vie avec James Dean parle de la création telle qu’elle se fait, c’est à dire malgré tout. Loin des rêves de grandeur et de reconnaissance démesurée, à hauteur d’individu, à la taille des aspirations qui sont vastes, peut-être mélancoliques, jamais écrasées.

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Quel artiste, écrivain, cinéaste ou plasticien de moyenne renommée ne s’est pas retrouvé un jour dans une salle presque vide, équipé d’un micro inutile, accueilli par les mouettes ?

Géraud Champreux est réalisateur. Géraud Champreux (pas Jérôme, Géraud) fait des films exigeants, c’est-à-dire, ni de la comédie, ni de l’action américaine, donc ça ne marchera pas, comme le lui annonce d’emblée l’ouvreur du cinéma-casino du Tréport qui connaît son public.

Invité par Sylvia van den Rood présidente de l’association « Les écrans de la côte » à une petite tournée dans les salles normandes et picardes, il commence par se faire voler son portable dans le train par un gamin de neuf ans bourré de chips. Quand il trouve son hôtel, la réceptionniste le reçoit comme un chien dans un jeu de quilles et quand il trouve le cinéma, il n’y a que Balthazar le stagiaire pour le recevoir, et une unique spectatrice dans la salle.

La situation n’est pas fameuse et pourtant, on a déjà sourit jusqu’aux oreilles. D’un sourire complice, ni ironique, ni moqueur, très loin du ricanement. On sait dès les premières images, les premiers dialogues, que ce film ne s’adressera qu’à notre belle part d’humanité. La frêle, la tenace.

L’accueil du cinéaste restera catastrophique, la reconnaissance de son travail à peu près nulle, les critiques des rares spectateurs, disons, lapidaires. Mais ce ne sera pas l’occasion d’une déploration et rien d’amer ne viendra brouiller l’image, tout au contraire. Autour de cette invitation vont graviter des personnages en quête, en rupture, en recherche, et leurs différentes solitudes vont se tramer avec la sienne.

Quand Sylvia réapparait, avec une belle gueule de bois, un tube d’acétate de bétaïne et une rupture amoureuse toute fraîche, Géraud n’est pas au mieux de sa forme lui non plus. Il est rentré avec Balthazar le stagiaire, il ne sait plus comment (dans ses bras), trou noir. Il n’arrive pas à joindre l’acteur principal de son film, dont il est amoureux, et la rupture là aussi, menace. Balthazar quant à lui a reçu la révélation et lui déclare sa flamme dans une piscine vide à petits carreaux. Gladys la réceptionniste démissionne, aspirée par son envie de faire du théâtre, et pourquoi pas du cinéma avec Géraud. Des liens ténus, des résonances profondes s’installent peu à peu entre les personnages. C’est hasardeux, volatile, tragique comme un classique (Balthazar aime Géraud qui aime James Dean qui n’est plus, Sylvia aime Louise qui l’aime « mais enfin parfois, c’est tout de même un peu plus compliqué »), changeant comme la vie.

Ce tissage se met en place au travers des projections, de soirées de peu de mots, de matins frais, et de filatures étonnantes, en brochette, hilarantes d’indiscrétion, de maladresse et de désirs contradictoires.

Si c’est la tendresse qui illumine ce film de l’intérieur, une tendresse qu’on voit partout, dans le cadre, dans le défilé des pensionnaires de la maison de retraite débarquant du bus communal, en public captif, équipé de déambulateurs chromés, dans le regard posé sur chaque corps, chaque visage, jeunes, vieux, pochés, marqués, cousus, couturés, rayonnants, dans chaque histoire, chaque forme d’amour et ses ratages particuliers, c’est pourtant le désir, et plus encore sa circulation, qui tient la narration et les personnages tous ensemble. Il passe d’un corps à un autre, d’un genre au même, à un autre, d’un âge à un autre, il est sexuel, amoureux, cinématographique, rêveur et ce sont toutes ses variations, ses transformations et ses déplacements qui font plus qu’un fil rouge, une structure à cette drôle de déambulation qu’est la vie avec James Dean.

Que ce soit à pied, en Twingo, en 4X4, en bateau ou en bus, le récit bat la campagne lumineuse et changeante du littoral normand avec une délicatesse qui n’évite pas la violence, qui la retourne. Sylvia scotche sa maîtresse infidèle sur une chaise après l’avoir assommée, prévient qu’il va y avoir du sport au terme d’une sortie en mer un peu houleuse, manque à tous ses devoirs de travailleuse culturelle en milieu rural, mais elle le fait – comme Balthazar sort du placard, comme son père le marin pêcheur bénit son départ avec cette tarlouze de cinéaste, d’un simple « fais-lui du café-crevettes, il adore ça » – avec une démesure si bien assumée, qu’elle est à la fois terriblement drôle et impeccable de justesse.

Comme le jeu de tous les acteurs du film, qui se tiennent sur le fil de cet écart qu’est le jeu, entre l’art et l’enfance, à l’intérieur des personnages. Ni au-dessus, ni à côté. Confiants dans l’incongruité et dans la beauté de la proposition.

Ce qu’oppose Dominique Choisy à la violence commerciale, à la dureté de l’économie du cinéma, à la critique médiatique et à sa langue cuite, c’est une fragilité, une poétique qui permet de respirer, de se dire que tout n’est pas pris et noyé dans l’argent, la nécessité ou le principe de réalité.

Il le fait avec tellement d’élégance, que même le migrant clandestin qui ne fait que traverser les plans, caché à l’intérieur du film, est un homme comme les autres. Bien évidemment. Et qu’on l’accueille sans effet de manche, ni hésitation, ni arrière-pensée dans le bus final. Ce qui paraît tout naturel.

Mais s’il y a une foi dans ce film, une ligne basse qui comprend et permet toutes les autres, qui court plus vite et plus loin que la foi en l’humanité, en la vie et ses occasions de surprise, en l’amour, c’est la foi dans l’art.

Ma vie avec James Dean parle de la création telle qu’elle se fait, c’est à dire malgré tout. Loin des rêves de grandeur et de reconnaissance démesurée, à hauteur d’individu, à la taille des aspirations qui sont vastes, peut-être mélancoliques, jamais écrasées.

Et c’est Gladys, la réceptionniste démissionnaire de l’hôtel du cap, qui nous donne la clef, comme il se doit, de cette chambre ouverte sur la mer, en disant Tchekhov la nuit tombée dans l’intimité d’une voiture très banale : « Maintenant, depuis que je suis ici, je fais de longues promenades, je marche, je réfléchis et je sens que, de jour en jour, mes forces spirituelles grandissent… À présent, je sais, je comprends, Kostia, que pour nous — et peu importe que l’on joue sur une scène ou que l’on écrive—, ce qui compte n’est pas la gloire, pas l’éclat, pas ce à quoi je rêvais, mais la patience. Sois patient, et crois en toi. Depuis que je sais ça, j’ai moins mal, et quand je pense à ma vocation, je n’ai plus peur de la vie. »

Ce qui n’est pas tant une leçon d’humilité qu’une profonde compréhension de l’art, des raisons qui font qu’on s’y engage entièrement, patiemment, obstinément.

Ce que fait clairement Dominique Choisy, avec tant d’humour et de discrétion que ça pourrait presque passer inaperçu.

Il n’appuie pas, il ne frôle pas, il touche. Ce que fait la grâce.

 

Dominique Choisy, Ma vie avec James Dean, sortie le 23 janvier 2019, avec, notamment : Johnny Rasse Mickaël Pelissier, Nathalie Richard, Juliette Damiens, Marie Vernalde, Bertrand Belin (qui a également fait la musique du film)

 

 


Céline Minard

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