Littérature

Tristan Garcia, écrivain total – à propos de Âmes

Critique Littéraire

Faire un tableau de la souffrance, non pour peindre en dorure l’extraordinaire des héros marquant légendes et Histoire, mais pour peindre en fresque l’histoire des oubliés, des désespérés, du misérable comme du glorieux, en somme de tout ce qui fut vivant. Avec son dernier ouvrage – premier volet d’une trilogie –, Âmes , Tristan Garcia engage cette ambitieuse entreprise avec une liberté temporelle et spatiale manifestant la volonté d’écrire une histoire totale du monde.

Tristan Garcia est un écrivain mégalomane et il faut s’en réjouir. Entré en littérature à 27 ans par une chronique âpre et incisive des années SIDA, La Meilleur part des hommes, fresque polyphonique du monde d’hier dans ses conflits idéologiques, l’écrivain a accumulé les projets les plus ambitieux sur fond d’une philosophie de la littérature aussi cohérente que singulière.

Qu’on en juge : en 2010, Mémoires de la jungle tente insolemment d’enjamber la frontière linguistique nous séparant des animaux en inventant sur 300 pages le monologue intérieur, entre babil et philosophie, d’un chimpanzé désespéré par son retour à la nature. Les Cordelettes de Browser, 2012, exploite aussi les ressources de la science-fiction pour penser l’être dans le temps : dans un monde situé aux confins de l’univers et à la fin des temps, quelque part entre Alain Damasio, Ray Bradbury et Antoine Volodine, des personnages, enfermés en eux-mêmes, sont réduits à revivre leurs passés jusqu’à qu’ils s’émancipent de l’éternité pour recouvrer leur humanité.

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Faber, le destructeur, revient lui à la chronique sociale en peignant les « enfants de la classe moyenne d’un pays moyen d’Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée » pour s’intéresser à leur désillusion.

Paru en 2015, 7, sous-titré « romans », habile montage de sept récits de genres variés, de la science-fiction au conte philosophique,  passant du thème de la création à celui des vies antérieures, se veut à la fois une expérience narrative et une méditation ambitieuse sur le temps. S’y dessine le rêve d’un sauvetage universel qui hantera l’auteur d’Âmes :
« Il me sembla que l’univers entier se souvenait, que tous les hommes qui avaient existé un jour existaient encore, comme des flammes très faibles dans le feu plus puissant du présent, que les disparus, les morts, ceux dont personne ne s’était jamais remémoré les actes ne cesseraient jamais d’avoir été, même quand ils ne seraient


Alexandre Gefen

Critique Littéraire, Directeur de recherche au CNRS - Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle

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