Politique

Donner au Conseil constitutionnel des « yeux juridiques »

Juriste

Juppé, Mézard, Pillet. Trois récentes nominations viennent hélas de le rappeler : point besoin d’être un juriste compétent pour devenir membre du Conseil constitutionnel. C’est d’autant plus triste et inquiétant que, dans ce moment populiste qui la remet en cause, la légitimité démocratique de la justice constitutionnelle doit être affirmée et défendue.

Partout dans le monde, il est porté atteinte à la justice constitutionnelle.

En Hongrie, en Pologne, au Brésil, au Venezuela, en Égypte, en Ukraine, les élus politiques font adopter des lois ou des amendements constitutionnels qui ont pour objet de réduire les compétences des cours constitutionnelles ou/et de briser l’indépendance des juges.

En France même, certains proposent que le Parlement puisse passer outre une censure du Conseil constitutionnel en revotant la loi condamnée à la majorité des trois-cinquième.

Et en France encore, aujourd’hui, certains se représentent le Conseil constitutionnel non pas comme une juridiction chargée de juger la conformité des lois à la Constitution mais comme une assemblée chargée d’accueillir des hommes (surtout) et des femmes qui ont rendu de bons et loyaux services à la Politique : Alain Juppé ancien Premier ministre remplace Lionel Jospin ancien Premier ministre ; Jacques Mézard ancien ministre ami et parrain électoral du président Macron remplace Michel Charasse ancien ministre et ami du président Sarkozy ; François Pillet sénateur LR ami du président Larcher remplace Jean-Jacques Hyest ancien sénateur LR ami du président Larcher.

Ce mode de désignation des juges constitutionnels ne peut plus durer et dure depuis trop longtemps. Il porte un préjudice manifeste à la légitimité internationale et nationale du Conseil.

De tous les États européens, la France est le seul à ne fixer aucune condition d’âge, de formation juridique ou d’expérience juridictionnelle pour devenir membre du Conseil ; elle est le seul État à appliquer le système de nomination par trois autorités politiques (le président de la République, le président de l’Assemblée nationale) ; bref, elle est le seul État à accorder aux autorités de nomination une totale liberté de choix.

Partout ailleurs, cette liberté est limitée par les textes qui soumettent la nomination des juges constitutionnels à certaines conditions. En Allemagne, en Italie, au Portugal, en Espagne


Dominique Rousseau

Juriste, Professeur émérite de droit public à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,Directeur de l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne