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Podemos et les leçons politiques de Game of Thrones cinq ans après

Politiste

C’est ce dimanche que s’ouvre aux Etats-Unis la Saison 8 de Game of Thrones, la série de tous les records. L’occasion de se demander très sérieusement pourquoi les fondateurs et dirigeants de Podemos, au premier rang desquels Pablo Iglesias, avaient dès 2014 décidé d’y consacrer un livre collectif.

Le mouvement des « gilets jaunes » a suscité de vifs débats sur la nécessaire structuration d’un mouvement qualifié, dès le 17 novembre, par Jean-Luc Mélenchon « d’immense moment d’auto-organisation populaire ».

Sans vouloir à tout prix jouer les constructeurs de puzzles artificiels, force est de constater que cette question n’est pas sans rapport avec la série médiévale Game of Thrones, diffusée pour la première fois au printemps 2011 sur la chaîne à péage HBO, et plus précisément encore avec l’ouvrage collectif Ganar o morir. Lecciones políticas de Juego de Tronos, qu’ont publié en 2014 Pablo Iglesias et plusieurs de ses camarades espagnols de Podemos

Alors que les promoteurs de l’ouvrage annonçaient l’analyse serrée d’une série « tout entière versée dans la conquête et la préservation du pouvoir, tantôt par la force, tantôt par la ruse, le plus souvent par une combinaison des deux » (page de garde de l’ouvrage) ; alors qu’était annoncé un ouvrage didactique activant et popularisant des schèmes théoriques aussi divers que ceux de Machiavel, de Max Weber, de Marx, d’Hobbes, de Gramsci, de Schmitt ou de Lénine, une lecture – même indulgente – de l’ouvrage (et singulièrement des chapitres rédigés par Iglesias) peine à voir ces promesses satisfaites. L’exégèse analogique proposée s’avère souvent courte, boiteuse, artificielle, sollicitée, bref pré-textuelle.

D’où cette petite énigme : prétextuelle à quoi ? à quelles fins renvoie cette appropriation pour le moins sélective et biaisée d’une œuvre certes ouverte – comme toutes les fictions – mais qui se trouve ici largement sur-interprétée.

Pour qui ne l’aurait jamais vu, Games of Trones, dont la saison 8 démarre dans quelques jours,  est l’adaptation d’une suite de romans écrits par Georges Martin dès 1996, saga qui s’inspire d’événements, de lieux et personnages historiques réels tels que la guerre des Deux Roses, le mur d’Hadrien, les Tudor… Se déroulant dans les deux continents fictifs de Westeros et Essos, sociétés féodale pour l’une, esclavagiste pour l’autre. La série entrelace plusieurs fils narratifs dont le principal suit l’histoire, passablement mouvementée des membres de plusieurs familles nobles, dans une sanglante guerre civile pour conquérir le Trône de Fer du Royaume des Sept Couronnes. Mais, comme le souligne Pablo Iglesias dans son introduction, le succès de la série ne saurait être réduit à une « formule infaillible », soit ici le « mélange efficace d’intrigues, de violence, d’aventure et de sexe. » (p. 7)

Outre ce mélange, d’autres facteurs ont en effet été souvent cités : le fait que Martin, l’auteur des livres inspirant la série, n’hésite pas à sacrifier régulièrement ses personnages, héros fugitifs qui disparaissent tragiquement (voir la décapitation de Nedd Stark, ou lors du 309 – fin de l’épisode 9 de la série 3 en langage sériel – le fameux mariage de sang, Red Wedding). Dans les Leçons politiques… deux auteurs (Clara Serra Sanchez et Eduardo Fernandez Rubino) relèvent justement que le succès de la série est aussi lié à des personnages sortant de la norme et peints comme des marginaux : des femmes, des bâtards, des eunuques, des nains, des obèses, des prostituées, des mutilés, des hommes trop féminins et des femmes trop masculines, autant de personnages socialement dominés qui finissent par s’entraider et parfois à survivre.

Comme le soulignent également dans les Leçons politiques, Justina Castillo et Sara Porras, la puissance des rôles féminins dans cette série génère contre toute attente, une véritable mixité du public par rapport à d’autres programmes comparables (42 % d’audience féminine aux Etats-Unis contre par exemple 26% pour la saison 5 de Breaking Bad). Le personnage de la princesse en exil Daenerys Targaryen (« la mère des Dragons ») s’avère, de ce point de vue, emblématique de cette discrète dimension féministe : au départ, Daenerys est quasiment prostituée par son frère mais passe progressivement du statut de femme-objet, belle et passive, à celui de reine, devant exercer, non sans contradiction, le pouvoir. Ne se soumettant plus comme une esclave, elle devient maîtresse de son plaisir, la rébellion contre le patriarcat commençant ainsi par le corps et la sexualité.

Autre explication plausible du succès de cette fantasy médiévale, l’affaiblissement historique de la science-fiction qui aurait culminé avec Matrix, l’imaginaire contemporain se réfugiant désormais davantage dans le passé que dans l’avenir.

« Catch all fantasy », la série va dès lors capitaliser une série impressionnante de records : record d’audience (depuis la quatrième saison, Games of Thrones est devenue la série la plus regardée de la chaine HBO), record de retransmissions (retransmise simultanément dans 173 pays, la série a détrôné Les Experts), record de téléchargements illégaux (la saison 5 aurait par exemple été « craquée » plus de 13 millions de fois), de récompenses et de reconnaissances des pairs (en six saisons, la série avait récolté 38 Emmy Awards), record de coût (10 millions de dollars par épisode pour la saison 6, soit deux fois plus que House of Cards).

Dans sa traduction française (2015), l’ouvrage paraît anten times. La série G of T, detient 1é nominations aux  série comportant  mots et de références légitimes. La série G of T, deest publié sous une double signature : celle du collectif espagnol Podemos et de son secrétaire général Pablo Iglesias. Il s’agit bien d’un ouvrage collectif découpé en 14 chapitres co-écrits par 16 auteurs, le tiers enseignant à l’Université et pour plus de la moitié responsable du mouvement Podemos.

Pablo Iglesias, outre sa participation à deux chapitres, rédige la présentation (Vaincre ou mourir) où il s’emploie à justifier (nous sommes en août 2014) l’écriture d’un livre malgré « la situation d’urgence sociale où nous nous trouvons » en s’excusant auprès de ses coauteurs des « retards constants » mis à le finaliser, « débordé que j’étais par des responsabilités politiques inespérées ». Pour mémoire, l’Appel signé par une trentaine d’intellectuels « Prendre les choses en main : convertir l’indignation en changement politique »), avait débouché en mars 2014 sur la création du mouvement Podemos qui, aux élections européennes de juin 2014, obtient à la surprise générale, cinq députés. C’est Pablo Iglesias, alors âgé de 26 ans, professeur de science politique et animateur de deux émissions de télévision qui avait été désigné comme tête de liste par les adhérents.

Trois facteurs plaident selon Iglesias en faveur d’une interprétation politique de la série :

  1. « Winter is coming », leitmotiv de la série, soit ici le fait que les années d’hiver alors traversées par les Espagnols après la crise financière, « témoignent d’un véritable effondrement civilisationnel » vécu comme tel.
  2. « Le scénario de destruction de l’ordre civil et social présenté par la série » est aussi « un scénario où le pouvoir est disputé ».
  3. Du même coup, la série est un prétexte à questionner « les stratégies politiques à mettre en œuvre lorsqu’on ne prétend plus seulement critiquer le régime dominant mais le renverser .»

La présentation de l’ouvrage ainsi que le premier chapitre, rédigés par Iglesias, abordent (c’est son sous-titre) la question des relations entre légitimité, pouvoir et légalité. Faut-il en faire l’aveu ? Tant la réflexion théorique sur ces concepts archi-classiques que leur ancrage dans les différents épisodes de la série laissent pour le moins perplexe du fait de leur côté très sollicité. On a affaire à une démonstration assez répétitive, souvent pâteuse soulignant a) l’incomplétude du pouvoir s’il n’est pas légitime ; b) l’impuissance des prétendants qui peuvent se targuer d’une certaine légitimité s’ils ne se sont pas donnés les moyens de conquérir le pouvoir.

Iglesias érige ainsi à plusieurs reprises la princesse Khalesi, en modèle. De fait, non contente de libérer les esclaves à mesure qu’elle conquiert de nouveaux territoires, la princesse leur tient un discours émancipateur qu’aucun tenant de la gauche radicale ne saurait renier : « Vous ne me devez pas votre liberté. Elle vous appartient à vous et à vous seuls. Si vous voulez la ravoir, vous devrez la prendre vous-mêmes. Chacun d’entre vous. ». Mais cette émancipation a un prix sur lequel Iglesias insiste : « La Khalesi l’a bien compris : elle est parfaitement consciente du fait que, dans un monde violent, il lui faut l’armée la plus redoutable, les armes les plus puissantes, et qu’elle doit les commander d’une main ferme. Elle sait par sa propre expérience que pour les faibles, le choix ne réside jamais tant dans la problématique de « l’existence ou de l’absence du pouvoir », mais dans la question de savoir si ce pouvoir doit être entre les mains de ceux qui mettent les chaines ou de ceux qui veulent les briser (…) ; elle « sait parfaitement qu’elle ne pourra pas gouverner ni libérer aucun peuple sans les dragons, puisque d’autres, plus forts qu’elle, imposeront l’esclavage et les chaînes (…) ; Et, ces dragons, elle doit les commander sans avoir la main qui tremble. »

Pour « étayer » ce propos » dix fois répété en trente pages (la légitimité n’est rien si on ne s’est pas donné les armes pour conquérir le pouvoir), Iglesias évoque, par exemple, de manière assez boiteuse, l’exemple de de Gaulle qui, dans le concert des nations, avait pour lui la légitimité historique du chef de la France libre mais avait su aussi se doter de l’arme atomique, équivalent fonctionnel des dragons… CQFD.

Pour qui n’aurait pas compris cette leçon assez simple, il faut aussi évoquer les figures repoussoirs de la série, celles vis-à-vis desquelles le dirigeant de Podemos prend prioritairement ses distances. Le jeune roi Joffrey d’abord, sorte de tyranneau cruel, suffisant et insuffisant, condensant la dimension à la fois inique et tragique de la politique et que plus tard Iglesias comparera à Mariano Rajoy.

Autre anti-héros paradoxalement construit par Iglesias – car il est le seul personnage indubitablement sympathique –, Eddard « Ned » Stark, ami du roi, qui à la mort de ce dernier périt décapité sur ordre du nouveau monarque Joffrey. Pour Iglesias, le cas Ned Stark illustre bien l’impuissance et l’inanité de ceux qui n’ont à brandir que leur idéal chevaleresque (i.e. révolutionnaire ?). Si Ned « est sans aucun doute moralement irréprochable le monde qui résulte de ses pauvres actions est « un monde où les innocents doivent fuir et se cacher pendant que votre tête roule sur le sol. » Le problème de Ned c’est qu’il ne cherche pas tant à rendre le monde meilleur, qu’à se définir lui-même comme bon aux yeux du monde. On l’aura compris, la démonstration peut tenir en une phrase : « Il n’y a jamais de place pour la légitimité de manière seulement abstraite, pour une légitimité qui n’a pas vertu à se transformer en pouvoir politique alternatif, et, en ce sens, qui n’a pas vocation à disputer le pouvoir. ».

Comment éclairer ce recours quelque peu forcé à Games of Thrones, la rédaction collective d’un ouvrage, la remise à grands renfort de publicité, du coffret de la série au roi d’Espagne lors de sa venue au Parlement européen, remise transformée en posture édifiante (« la seule qui nous permette de maintenir le jeu politique ouvert, de manœuvrer au cœur de ces contradiction » (Le Monde diplomatique, avril 2015).

On peut évoquer trois clés de résolution de cette petite énigme. La première tient aux déboires de l’enseignant Iglesias qui désespérant d’intéresser ses étudiants aux subtilités de la théorie politique machiavélienne, a recours comme matériau pédagogique, à cette série persuadé, non sans raison que les spectateurs de Games of Thrones sont virtuellement plus nombreux et motivés que les lecteurs des Discours sur la première décade de Tite Live.

La seconde explication, également confiée par Iglesias, part du même public mais élargit le propos dans une direction ouvertement gramscienne : « Lorsque le mouvement du 15-Mai a débuté, des étudiants de ma faculté – des étudiants très politisés, qui avaient lu Marx et Lénine – ont, pour la première fois, participé à des assemblées avec des gens “normaux”. Et ils se sont vite arrachés les cheveux (…) Les gens les regardaient comme des extraterrestres, et mes étudiants rentraient chez eux dépités (…) Voilà ce que l’ennemi attend de nous. Que nous employions des mots que personne ne comprend, que nous restions minoritaires, à l’abri de nos symboles traditionnels. Il sait bien, lui, que tant que nous en restons là, nous ne le menaçons pas. ». Il s’agit donc de « ne pas laisser le terrain culturel à l’ennemi » et, en rupture avec la vieille gauche crypto, proto ou archéo marxiste (et notamment les responsables du Parti Communiste Espagnol), d’abandonner le métalangage codé, les analyses absconses, les terminologies vieillottes, et jusqu’à la dichotomie gauche/droite à laquelle on préférera l’opposition, moins connotée et plus englobante, du peuple et de la caste. « Si nous voulons livrer la bataille idéologique nécessaire pour aller jusqu’à gouverner, il faut miser sur le rajeunissement, la radicalisation et l’habileté à communiquer » (Iglesias, Disputar la democracia : politica para tiempos de crisis, (Akal, 2014)

Comme se plait à le souligner Tatiana Jarzabek, traductrice française des Leçons politiques, et à l’époque secrétaire du Parti de Gauche à la communication, « Pablo Iglesias ne s’adresse pas qu’à son public de militants. Pablo Iglesias parle aux gens. Et il leur parle en partant de références qu’ils ont. Quoi de mieux qu’une série dont tout le monde a au moins entendu parler, qui a battu tous les records de téléchargement depuis la naissance d’Internet pour reconnecter les gens avec un sujet dont ils se détournent (la politique) ? » (Mediapart, 8 oct. 2015)

En troisième lieu, on peut encore plus simplement rapporter un texte (les Leçons politiques…, dont l’introduction est définitivement rédigée en août 2014) à son contexte national et politique immédiat. Si l’originalité théorique de certains de ces textes (et singulièrement ceux d’Iglesias) est assez discutable et leur fondement narratif pour le moins fragile, le message redevient parfaitement clair si on le met en relation avec les premiers pas de Podemos et la décision de transformer la mobilisation des Indigniados en un parti politique structuré, avec des représentants, un programme, des candidats investis aux élections, des jeux d’alliance…

Il suffit alors de se souvenir que les centaines de milliers de manifestants qui se rassemblent à partir du 15 mai 2011 à la Puerta del Sol, dénonçaient certes la mainmise des banques sur l’immobilier et la corruption de la classe politique mais aussi, et avant tout, une démocratie qui ne les représentait pas ; que leurs assemblées interdisaient drapeaux, sigles partisans et prises de parole au nom d’organisations ou de collectifs. « Le peuple uni n’a pas besoin de partis ».

Podemos est né trois ans plus tard, en réaction à ce slogan basiste et libertaire. Lors de son premier congrès, tenu deux mois après la publication de l’ouvrage, deux motions s’affrontent sévèrement. La motion dite Echenique, largement défaite (12% des 112 000 Espagnols qui ont voté sur le site de Podemos) proposait d’accroître la décentralisation, l’horizontalité, une meilleure prise en compte des « cercles », ces centaines d’assemblées qui forment la colonne vertébrale du mouvement, dans les processus de décision, l’introduction du tirage au sort partiel des responsables ainsi qu’une direction collégiale.

La motion de Pablo Iglesias, soutenait à l’inverse la nécessité de doter le mouvement d’une organisation digne de ce nom, moins prompte à diluer ses revendications dans une interminable réflexion sur son propre fonctionnement. Son projet chapeautait le « conseil citoyen », censé exprimer la voix des « cercles », d’un « conseil de coordination » – un bureau d’une dizaine de personnes toutes désignées par le secrétaire général. Comme le soulignait alors un analyste pourtant sympathisant : « Contrairement aux mythes que Podemos peut produire sur lui-même, le parti n’est pas né spontanément des « cercles », ces fameuses assemblées de base, mais correspond au contraire à un projet très calculé. La structuration actuelle du parti, issue du congrès de novembre 2014, est beaucoup plus verrouillée que certains aimeraient le croire, et n’est au final guère différente de celle des partis que nous connaissons », (Le blog de Tommy Lasserre, 27 juin 2015)

On saisit mieux, dans ces conditions, les leçons que croit pouvoir tirer Iglesias des figures emblématiques de Joffrey, de la princesse et surtout de l’infortuné Ned Stark : comme le rappelle à propos Tatiana Jarzabek, « la mort de Ned Stark nous apprend qu’en politique (…) si l’on n’est pas prêt, comme nous l’enseigne Machiavel, (…), à se salir soi-même les mains pour sauver le collectif, si l’on fait de la politique sans véritable volonté de s’asseoir sur le Trône de Fer, alors peut-être vaut-il mieux ne pas faire de politique du tout. » ( L’Humanité, octobre 2015)

À quoi, certaines critiques ont pu objecter : « Sa lecture de Machiavel semble proche de celle de Lénine. Il propose une conception militaire de la politique (…).Pablo Iglesias s’inscrit dans la vieille logique marxiste-léniniste de la prise du pouvoir d’Etat. Il ne perçoit pas la logique bureaucratique et la logique de l’Etat qui emporte même les personnages les plus moraux vers des dérives autoritaires ».

Analyse qui, au regard de la suite des événements et des multiples défections ayant depuis scandé l’histoire de Podemos, apparaît pour le moins prémonitoire. Quatre ans ont passé : la moitié des co-rédacteurs des Leçons a quitté Podemos, qui, au fil de défections successives, n’est plus crédité que de 14% dans les sondages préélectoraux …

 


Patrick Lehingue

Politiste, Professeur de science politique à l'Université de Picardie Jules Verne

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