Nanni Balestrini, ou la nouvelle vie qui arrive
On était en avril 1979 lorsque le poète et écrivain Nanni Balestrini chaussa ses skis, vingt ans après les avoir remisés, et dévala le versant français du Mont Blanc. Il fuyait l’Italie, poursuivi par plusieurs mandats d’arrêt pour délits politiques, qui l’accusaient à divers titres, lui et beaucoup d’autres de sa génération – des intellectuels et des universitaires, en plus des militants –, d’avoir animé la direction de cette vague d’insubordination de masse que le pouvoir judiciaire appelait « terrorisme ». Et que le film de Margarethe von Trotta de 1981 étiquettera, pour toujours peut-être, « années de plomb ». En France, non loin de la montagne Sainte-Victoire ou de la rue Campagne-Première à Paris, Balestrini vivra quelques années d’exil, évitant ainsi un emprisonnement qui se serait révélé injustifié – il aurait été disculpé de tout chef d’accusation –, et retrouvera le fil de son travail commencé dans les années 1950 : la recherche d’une poétique à la mesure de la capacité de subversion intrinsèque à toute période présente, au-delà des appellations que les tribunaux attribuent ou des étiquettes octroyées par la sociologie.
Balestrini sera, pour le XXe siècle littéraire italien, l’écrivain « politique », celui qui a su inventer la forme et reproduire la langue des luttes ouvrières, du refus du travail, du combat diffus entre les rapports sociaux et les rapports de production qui s’est installé durant une décennie, depuis le Mai 1968 des usines au general intellect du mouvement de 1977. L’œuvre littéraire de Balestrini restera attachée aux révoltes du prolétariat dans ses multiples formes comme celle d’Alessandro Manzoni le sera à l’unité de l’Italie. Et Balestrini a été sans aucun doute ceci : le poète, le romancier, l’auteur qui, plus que tous – parmi les poètes « novissimi » de sa génération réunis autour des expérimentations formelles de la « neoavanguardia » et de ce collectif de romanciers, poètes et intellectuels nommé Gruppo 63 –, aura su éco