Ne saurait mentir (littérature et migration) – sur trois romans de Melandri, Kumar et Schwartz
Bon sang ne saurait mentir. Malgré la patine de son usage, l’expression crée de l’embarras car elle suppose une qualité, et donc une hiérarchie, des sangs et suggère que par cette distinction biologique, c’est-à-dire involontaire, une qualité morale reposerait sur l’hérédité. Premier accroc. Second accroc : encore faut-il démontrer que le mensonge appartienne au catalogue des vices et péchés. Ne dépend-il pas des circonstances, en réalité, que le mensonge soit condamnable ou pardonnable ? N’en déplaise à Kant, mentir sous la torture pour ne pas dénoncer un camarade n’a rien d’infamant.
Lorsqu’un migrant, par exemple, ment pour échapper à son destin d’errance en produisant un récit qu’il devine acceptable pour le fonctionnaire de l’OFPRA qui l’interroge et cherche à contrôler la vérité du dossier déposé, va-t-on l’en blâmer ? Toute personne ayant traversé un état traumatique construit de même une narration de son passé évitant les épisodes obscurs. Ce n’est pas la littérature qui s’en offusquera, elle qui manie le « mentir-vrai » (Aragon), arrangeant fantasmes et désirs en décor permanent pour personnages et narrateurs, elle qui fréquente et pratique le mensonge et nous a depuis longtemps appris à ne pas le traiter en ennemi de la vérité. « Madame Bovary, c’est moi ». Oui, c’est vrai, Gustave. Et Romain Gary, c’est Emile Ajar et Fernado Pessoa tous ses hétéronymes.
Le roman de Francesca Melandri, Tous, sauf moi, parle de mensonge et de migration. Ce titre ne correspond pas à l’original, Sangue giusto, traduit littéralement « Sang juste ». Il y est effectivement question de descendance biologique puisque le récit commence par l’arrivée dans la vie romaine d’Ilaria et de son frère d’un jeune Ethiopien se présentant comme l’enfant du fils adultérin de leur père, leur neveu en somme. Outre le trouble inhérent au surgissement d’un migrant arrivé par la Lybie et la Méditerranée, Ilaria pressent que la vie de son père, Attilio Profeti, recèle de fâcheuses zones d