Société

Pour une extension du droit de la PMA à toutes les femmes

Juriste

Afin de reconnaître pleinement l’autonomie des femmes en matière de reproduction mais aussi de garantir l’égalité de toutes les familles, il est indispensable que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes prenne la forme d’une extension des modalités actuelles, que ce soit la prise en charge par l’assurance maladie ou l’établissement de la filiation selon le droit commun.

Le 12 juin, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé la mise à l’agenda politique simultanée de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et d’une réforme concernant l’accès aux origines des enfants nés en cas de PMA avec tiers donneur. Cette annonce a été largement saluée en dépit des incertitudes qui subsistent.

Les deux évolutions proposées mettent en lumière des intérêts bien distincts : l’ouverture de la PMA à toutes les femmes peut être perçue comme mettant fin à une discrimination à l’égard des femmes en raison de leur statut conjugal et/ou de leur orientation sexuelle, tandis que la remise en cause de l’anonymat du donneur repose sur la reconnaissance d’une demande légitime des enfants nés à la suite d’un don de connaître leurs origines biologiques. Au sein même du camp des pro-PMA, il existe d’importants débats à propos des options possibles concernant l’établissement de la filiation de la seconde mère et l’accès aux origines.

Une des formulations du problème consiste à imbriquer les deux questions et à présenter une solution qui répondrait à ces deux impératifs : il s’agirait de créer un mode d’établissement de la filiation spécifique aux enfants nés à la suite d’un don de gamètes, dont il serait fait mention sur leur acte d’état civil. Cette déclaration commune anticipée de filiation proposée par le rapport Théry-Leroyer et reprise par le député Jean-Louis Touraine présente le risque de stigmatiser les enfants nés à la suite du recours à un don de gamètes. Cela pourrait d’ailleurs conduire les couples hétérosexuels à contourner le système et à établir leur filiation selon les règles de droit commun ; dans cette hypothèse, la déclaration commune anticipée de filiation ne concernerait finalement plus que les enfants des couples de femmes et conduirait à de nouvelles discriminations. Plus généralement ce dispositif, qui inscrit le recours au don de gamètes sur l’acte de naissance des enfants, confond la filiation, qui est une construction sociale et juridique, et les origines biologiques, qui n’ont pas leur place à l’état civil. Enfin, il accrédite l’idée selon laquelle en dehors des cas de PMA avec tiers donneur, le père est nécessairement le géniteur de l’enfant.

Si la révision des lois de bioéthique peut être l’occasion de réfléchir aux modalités de réalisation des PMA avec tiers donneur, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ne doit cependant pas être complexifiée par l’imbrication avec la remise en cause de l’anonymat du don de gamètes.

Des transformations sociales prises en compte par les lois de bioéthique

Le recours aux techniques de procréation médicalement assistée, notamment lorsqu’il implique un tiers donneur, interroge la limite entre le domaine de l’État et la sphère privée tout en questionnant le rôle des médecins, lorsqu’ils font le choix du donneur de gamètes. Les enjeux médicaux, éthiques et sociaux sont nombreux, mais ils concernent des procédés et des protocoles en place depuis près de quarante ans. Les évolutions qui pourraient être envisagées à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique ne concernent pas tant l’évolution des sciences biomédicales que celle de la société elle-même.

Il s’agit alors de réfléchir à ce qui fonde la parenté et à l’importance donnée au lien génétique dans notre société, mais également à la légitimité que l’on accorde aux femmes pour faire famille lorsqu’elles sont seules ou en couple lesbien. Il s’agit désormais de penser le recours aux techniques de PMA comme une prérogative supplémentaire reconnue en matière de procréation à toutes les femmes, sans distinction fondée sur leur statut conjugal ou orientation sexuelle. De la même manière, l’autoconservation ovocytaire pourrait être autorisée afin de prévenir la baisse de la fertilité liée à l’âge.

Le format des lois de bioéthique conduit à examiner un grand nombre de sujets dans des domaines très variés. Néanmoins, la fin de la condition d’hétérosexualité pour accéder à la PMA ne conduit pas nécessairement à remettre en question tous les aspects d’un système dénoncé comme étant celui du « ni vu ni connu ». Plusieurs éléments concourent à créer le secret autour du don de gamète : l’hétérosexualité du couple, le fait qu’ils soient en « âge de procréer » mais également la procédure d’appariement du donneur avec le membre infertile du couple (selon des critères phénotypiques mais également le groupe sanguin…), l’établissement de la filiation selon le droit commun, et le principe d’anonymat du donneur de gamète. L’ouverture de la PMA à toutes les femmes est un sujet distinct de l’éventuelle reconnaissance d’un droit à la connaissance de ses origines biologiques pour les enfants nés d’un don de gamète. L’ouverture de la PMA à toutes les femmes contribuerait d’ailleurs à elle seule à faire évoluer le droit, modifiant de fait le sens de certains principes.

Ce que la PMA pour toutes changerait : autonomie des femmes, diversité des familles et fin de la culture du secret

Les débats sur l’ouverture de l’accès à la PMA à toutes les femmes ont permis de rendre visible le recours au don de gamètes, mais aussi d’en transformer les représentations.

D’abord, ils ont mis en lumière les familles qui ont recours à la PMA et surtout, la diversité de ces familles et des manières de faire famille. Il n’existe plus un modèle unique de famille en France. Les modèles familiaux se multiplient : familles recomposées, monoparentales, homoparentales… Les enfants sont conçus, avec ou sans don de gamètes, par des personnes seules, des couples -hétérosexuels ou homosexuels- qui peuvent être mariés, pacsés ou en union libre. La création d’un mode d’établissement de la filiation spécifique aux couples lesbiens ou aux enfants nés d’un don créerait des régimes de légitimité distincts et stigmatiserait ces familles.

Ensuite, l’établissement de la filiation de la seconde mère selon les règles existantes pour les couples hétérosexuels permettrait de sécuriser la filiation de l’enfant tout en répondant à un enjeu d’égalité entre les familles et de simplicité quant aux évolutions envisagées. En outre, cela permettrait de préciser le sens donné à la présomption de paternité et à la reconnaissance. Dans l’hypothèse d’une extension du droit commun aux couples lesbiens, la femme mariée qui n’a pas porté l’enfant bénéficierait d’une présomption de co-maternité et pour les autres, pacsées ou en concubinage, le lien de filiation pourrait être établi à l’égard de la seconde mère par reconnaissance, y compris prénatale. Pour établir leur filiation, les couples de femmes pourraient simplement produire à l’officier d’état civil le consentement au recours au don de gamètes qu’elles auraient donné devant un notaire préalablement au parcours de PMA et ce, sans qu’il soit nécessaire de faire figurer cet élément sur l’acte de naissance de l’enfant. Comme pour les couples hétérosexuels, on présumerait que lorsqu’un enfant naît au sein d’un couple marié, il est le fruit d’un projet parental commun tandis que pour les autres couples, il serait nécessaire de faire une reconnaissance.

L’ouverture de l’accès aux techniques de PMA accompagnée d’une extension de la prise en charge financière par l’assurance maladie et du bénéfice des règles d’établissement de la filiation existantes à toutes les femmes constitue une évolution significative vers plus d’autonomie en matière de procréation et vers plus d’égalité entre couples hétérosexuels et lesbiens. Il s’agit de permettre à toutes les femmes qui ne sont pas en capacité d’avoir un enfant sans recourir aux techniques de PMA, d’accéder à des techniques déjà autorisées et de sécuriser la filiation des enfants nés par ce biais. L’égalité dont il est question n’est toutefois pas aveugle à la réalité des corps et ne concerne pas les situations dans lesquelles il est nécessaire de recourir à une gestation pour autrui.

La question distincte de l’accès aux origines biologiques des enfants nés à la suite d’un don

Concernant enfin les enfants nés à la suite d’un don de gamètes, certains revendiquent un droit d’accéder à leurs origines biologiques. Si ces demandes sont légitimes, il s’agit toutefois d’un tout autre sujet. L’ouverture de la PMA à toutes les femmes, et en particulier aux couples lesbiens participe d’un changement de paradigme culturel en questionnant le secret autour du don de gamètes, qui a fréquemment autorisé les couples hétérosexuels à procréer autrement sans l’assumer. Toutefois la volonté de mettre fin au système du ni vu ni connu ne doit pas conduire à saisir l’ouverture de la PMA à toutes les femmes comme un prétexte à la création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation spécifique aux enfants nés à la suite d’un don.

Plusieurs options permettent la levée du secret et même celle de l’anonymat sans faire figurer le recours au don sur l’acte d’état civil des enfants. En outre, la mention du recours au don sur l’acte d’état civil ne permet pas à lui seul de résoudre le problème de l’accès aux origines biologiques. Quelle que soit la solution retenue en la matière, et dans un contexte de biologisation croissante de l’identité des personnes, il convient de se garder de toute confusion entre filiation et origine et de saisir l’opportunité qui nous est donnée d’affirmer l’autonomie des femmes en matière de reproduction et l’égalité entre les familles.


Marie Mesnil

Juriste, Maîtresse de conférences en droit privé

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Féminisme