Le syndrome Ulysse – à propos du Présent qui déborde de Christiane Jatahy
Sur un écran en fond de scène, des Ulysses modernes, qu’ils soient au Liban, en Afrique du Sud, en Palestine ou en Grèce ; jamais vraiment à leur point d’arrivée ni à leur point de départ, mais pris dans les feux du voyage. Comme déracinés de leurs terres natales, ils ne distinguent pas encore l’horizon qui les accueillera.
Pour Christiane Jatahy – présentant son projet utopique au début du spectacle comme à l’avant-première d’un film –, ils raniment à eux seuls les arcanes les plus vigoureux de la mythologie. Non pas qu’ils les reflètent volontairement : les acteurs à l’écran sont, tout simplement, des hommes et des femmes « aptes » à raconter l’Odyssée aujourd’hui. N’est-ce pas déjà beaucoup ? Ils racontent de vive voix une histoire que le spectateur de France ne peut plus prendre en charge. Autrement dit, nous – sédentaires et confortables amateurs de théâtre –, serions devenus incapables de faire le récit d’une fable que nous avons nous-mêmes bâtie et apprise de génération en génération.
O Agora que demora est donc une double expérience de dépossession : à l’image, des hommes dont l’histoire est malmenée – celle des réfugiés – se réapproprient des récits venus d’ailleurs. En l’occurrence, les nôtres (si tant est qu’on n’y voit pas une lecture trop « choc des civilisations ») : les acteurs se retrouvent face à une fable, exhumée par-delà les siècles, qui leur correspond mieux que quiconque. Sans doute le spectacle parle-t-il mieux en France qu’à São Paulo, où il a été créé en mai dernier, car d’un côté ou de l’autre du plateau, chacun traverse ainsi une épreuve douloureuse de désidentification de soi… N’est-ce pas quand on risque de perdre son héritage qu’on désire plus que jamais s’y reconnecter ? Tous déracinés, et tous en recherche d’histoires auxquelles s’arrimer.
Précisément : un espace entre l’écran et la salle semble avoir été désigné pour accueillir les imaginaires en marche : le plateau de théâtre. Une mer à franchir : littérale et métaphoriqu