Littérature

Portrait-robot du grand-père – à propos de Cow-boy de Jean- Michel Espitallier

Écrivain

Dans Cow-Boy, Jean-Michel Espitallier comble le vide d’une histoire, celle de son grand-père, duquel il n’a jamais connu que la salopette gris-bleu en épais coton et la veste trois-quarts en cuir marron, et égratigne au passage la légende dorée de l’American way of life. Peut-être était-il une fois Eugène, cow-boy aux Amériques, aimant le tabac et la pâte de coing, rentré par New York et le transatlantique, peut-être – mais modelé certainement dans une langue poétique et joueuse, qui révèle d’autant mieux qu’elle imagine.

Écrire sur rien, c’est une chose. Écrire à partir de trois fois rien, c’est tout autre chose, qui est précisément ce à quoi s’attelle Jean-Michel Espitallier dans ce Cow-Boy délectable d’intelligence poétique : trois fois rien, à savoir les poussières de mémoire dont il dispose à propos de son grand-père paternel qui fut cow-boy « aux Amériques » il y a plus d’un siècle.

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On le sait, trois fois rien ne font jamais rien, et d’autant moins aux yeux des lecteurs, en l’occurrence, qu’à se pencher sur cette page étrangement trouée de son roman familial, il en vient à bricoler une étonnante machine à démystifier le rêve américain qui nous a si longtemps mis des étoiles plein les yeux. Au rythme où émerge et s’affine une sorte de portrait-robot du grand-père Eugène en gardien de vaches solitaire, l’Amérique qui l’entoure change de visage : il en devient un redoutable révélateur, ce grand-père qui fut d’abord un migrant comme tant d’autres migrants d’hier ou (pire) d’aujourd’hui.

De fait, les hommes jeunes ont été nombreux ces années-là, dans les vallées des Hautes-Alpes, à partir, qui au Mexique, qui en Californie. N’empêche : avoir eu un grand-père qui certes s’appelait Eugène mais qui fut un vrai de vrai cow-boy, avec lasso, éperons et stetson « boss of the plain », ça ne devait pas être rien, pour un enfant grandi à la grande époque des westerns, c’est-à-dire en plein boom des années soixante, quand bien même on imaginerait qu’elles furent moins pétaradantes à Barcelonnette (Alpes de Haute-Provence, 1100 mètres d’altitude, 2476 habitants en 1968 : Espitallier avait dix ans) qu’à Londres.

Ce grand-père inconnu est mort trop jeune d’une tumeur au cerveau pour que son fils garde mémoire d’aucun de ses récits d’Amérique, s’il en fît jamais (le cow-boy est rarement bavard). Jean-Michel Espitallier ne peut que le constater d’emblée : faute d’avoir interrogé son entourage familial avant décès, de ce grand-père il est un peu tard pour faire un sujet, comme il l’affirm


[1] Respectivement : Pocket, 2006, Flammarion, 2015, Flammarion, 2003.

Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

Rayonnages

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Notes

[1] Respectivement : Pocket, 2006, Flammarion, 2015, Flammarion, 2003.