Hommage

Une dernière promenade avec Pierre Guyotat

Ecrivain et essayiste

Mort ce vendredi 7 février, Pierre Guyotat était bien davantage qu’un génie ; c’était un chamane, doué comme Michelet du « don des larmes », du pouvoir réparateur du Verbe, capable de prendre sur lui le mal, d’en affronter les monstres et les démons. Écrivain, Pierre était là, peut-être dès l’origine, avec cette langue au plus près de la matière, pour réparer le monde et donner une sépulture de mots, un tombeau, à ces millions de voix tragiquement rendues au silence de l’histoire.

« Il n’y aura donc plus de promenades avec Pierre. » Voilà la première pensée qui m’est venue, en apprenant que Pierre Guyotat était mort cette nuit-là à l’hôpital Saint-Antoine. Pierre était un être de promenades. Il n’y en aura plus et la perspective de cette privation à venir m’est plus douloureuse que le souvenir des promenades passées.

Avec sa tête d’oiseau, ses yeux clairs perçants à l’ombre d’épais sourcils, son haut front, son crâne lisse, Pierre aimait marcher, toujours chaussé de solides godasses. Il aimait le « dehors », respirer l’air, travailler en extérieur comme l’aurait fait un peintre de plein air dessinant, disait-il, « sur le motif ». Sans doute cherchait-il à perpétuer les enchantements des toutes premières balades de collégien, dans les années cinquante, à Joubert, la pension religieuse perdue dans les Monts du Forez. Il m’en parlait parfois. Beaucoup sans doute s’est noué dans ces paysages qu’il a croqués au crayon, à 13 ans, dans un dessin toujours conservé à portée de main dans son appartement de la place de la Nation.

Les endroits clos donnaient à Pierre le sentiment d’étouffer. Il n’y avait ainsi jamais assez d’air dans les restaurants – au point qu’un jour de décembre, il y a bien longtemps, rue du Cygne, dans les Halles, le serveur, sans doute lassé de nos hésitations, avait accédé à la demande de Pierre en installant une table dehors, dans la rue… par zéro degré et sous la neige ! Trente ans auparavant, déjà, dans les années soixante, au moment de Tombeau pour Cinq cent mille soldats, Pierre circulait en combi VW qu’il avait aménagé en « écritoire » ambulant. C’était ainsi, disait-il, plus simple de « lancer l’esprit devant soi, sans être arrêté par rien ». L’esprit, autrement dit l’air toujours. Pierre était, à sa façon, un athlète spirituel.

Des promenades, il y en eut de toutes natures. Quand mes enfants étaient petits, il nous avait entraînés dans de longues marches, quelques dimanches de printemps, au milieu des ruines de Port-Roya


Thierry Grillet

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