Littérature

Sillitoe retrouvé – relire Samedi soir, dimanche matin

Professeur de littérature anglaise

Dix ans après sa mort, Alan Sillitoe nous revient, plus libre et tonique que jamais. Son ouvrage culte, Samedi soir, dimanche matin, paru en 1958, ressort en français, excellemment traduit par Henri Delgove. D’une colère, d’une insoumission, l’autre : le moment semble aujourd’hui bien choisi pour relire un ouvrage qui annonçait mai 1968 et aura alimenté en ferments de contestation et occasions de clash l’ensemble de la scène culturelle.

Ce premier roman largement autobiographique, c’est un « jeune homme en colère », un Angry Young Man, qui le signe. Natif de Nottingham, cet autodidacte avait quitté l’école à 15 ans, pour travailler dans l’usine de cycles Raleigh. Deux ans auparavant, John Osborne avait défrayé la chronique avec sa pièce Look Back in Anger (La paix du dimanche) : l’ouvrier Jimmy Porter y balançait une bombe à peine figurée contre les pouvoirs en place, accusés de tous les maux.

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Cependant, Alan Sillitoe ne se sent aucunement solidaire de cet ancien bon élève issu de la classe moyenne, et c’est très loin des rivages de l’Angleterre qu’il s’essaye à l’écriture. Assis sous un oranger à Alicante, regardant Nottingham « en tenant ses jumelles à l’envers », il se voit comme un exilé, ne sentant nullement appartenir à la classe ouvrière, « ni à aucune classe, d’ailleurs », ainsi qu’il le confiait à Christine Jordis, en 1987.

Ouvrier-tourneur, le personnage d’Arthur Seaton travaille lui aussi dans une usine de cycles, jamais nommée, immense et sinistre caserne, assourdissant Moloch aux crocs d’acier et aux écoeurants remugles d’huile chaude. Rebelle, mais ne disposant pas de cause pour canaliser sa rage, il donne toute la mesure de sa fureur de vivre, qui est réelle, mais peine cependant à limiter « la force d’écrasement de la société ». Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il y songe, tant son individualisme forcené l’emporte sur une quelconque conscience de classe, inexistante dans son cas.

Au seuil du livre, une chute mémorable : après avoir absorbé sept verres de gin et onze pintes de bière, Arthur dégringole dans l’escalier d’un pub, avant de perdre connaissance. Comment mieux signifier le péril, mais aussi le frisson, qu’il y a à « débuter », à « entrer en littérature », ainsi que le comprend Bertrand Leclair, dans un essai récent (Agora 2019) ? Débuter par une gamelle aussi spectaculaire, c’est plonger sans détour dans la langue – un idiome populaire, ponctué de jurons et r


Marc Porée

Professeur de littérature anglaise, École Normale Supérieure (Ulm)

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