Jean-Claude Chamboredon, grand sociologue de métier
Des trois auteurs du livre Le métier de sociologue, dont la première édition parut en 1968[1], Jean-Claude Chamboredon est sans doute le moins connu du grand public. Il a cultivé toute sa vie une grande discrétion, préférant à la notoriété médiatique l’enseignement de recherche en petits groupes, dans lequel il excellait. Remarqué très jeune par Pierre Bourdieu, il fut l’un des membres les plus solides de son équipe jusqu’à la fin des années 1970.
Si le groupe des proches de Bourdieu considéré dans la durée peut sembler l’incarnation d’une théorie unifiée, il est évident que ce que Bourdieu appelait lui-même, avec une tendresse mêlée d’un peu d’irritation, le « Vieux Centre », un groupe de chercheurs présents à ses côtés depuis le début des années 1960, était composé d’individus aux trajectoires et aux points de vue très divers : Jean-Claude Passeron, Luc Boltanski, Abdelmalek Sayad, Francine Muel-Dreyfus, Yvette Delsaut, Monique de Saint-Martin, Viktor Karady et Claude Grignon avaient rejoint Bourdieu alors qu’il n’était encore que le secrétaire général du Centre de sociologie européenne dirigé par Raymond Aron.
De cette première socialisation, qu’on tend à oublier lorsqu’on fait de Bourdieu un commencement absolu, Chamboredon avait gardé une vraie admiration pour Aron[2], et des amitiés avec les membres du Centre qui l’avaient quitté quand Bourdieu en avait pris la direction immédiatement après les événements de mai 1968. Il maintenait ainsi des relations amicales avec Raymonde Moulin, dont il louait devant les étudiants l’originalité et la finesse. Chamboredon n’avait rien d’un sectaire : son engagement auprès de Bourdieu, qu’il considérait avant tout comme l’expression d’une vaste entreprise collective de « re-scientifisation » de la sociologie, ne l’empêchait pas d’accueillir régulièrement à l’École normale supérieure, où il fut « caïman » de sociologie pendant près de vingt ans, Raymond Boudon, Alain Touraine et Michel Crozier.
Membre du comité de r