« Gel imprévu » – sur L’Eclipse de Michelangelo Antonioni
Mardi 17 mars 2020, 10h45, aux abords d’un parc du Sud parisien : la ville se vide peu à peu, un joggeur semble faire sa dernière course, deux étudiants errent dans la rue munis d’énormes valises pour un voyage de retour incertain, un silence inédit gagne les voies de circulation…
Puis le confinement devient effectif à partir de midi ; les passants disparaissent progressivement, on entrevoit deux ou trois voitures passer à intervalles longs depuis chez soi, le silence se fait toujours plus dense tandis que des micro-événements deviennent peu à peu sensibles : une brise porte l’odeur d’un air urbain non pollué, le passage d’un ensemble de nuages, une moto qui file dans la nuit sans le brouhaha habituel de la veille, etc. Chacun percevra à sa façon la myriade de transformations produites par cette interruption de la vie extérieure, avec tous les effets que cet arrêt provoque sur notre rapport intime au temps et à l’espace, de jour comme de nuit. En ce sens, l’expérience du confinement est absolument singulière à chaque individu, en fonction de ses origines sociales, de son âge, de son lieu d’habitation, de ses pathologies éventuelles, des personnes qui l’entourent ou pas.
Ce qui revient dans les témoignages cependant, et de façon constante, est une référence partagée au cinéma. « C’est comme dans un film » est ainsi l’une des expressions récurrentes qui s’échangent entre amis, proches ou voisins, en vrai comme sur les réseaux sociaux, pour décrire ce moment stupéfiant qui est le nôtre. On songe au genre « apo » (pour apocalyptique), voire au « disaster movie » sans qu’on mentionne pour autant un titre en particulier, à l’exception sans doute de Contagion (2011), réalisé par Steven Soderbergh, vu massivement de nos jours en streaming aux Etats-Unis, et qui porte à l’écran la dissémination à grande échelle d’un virus attrapé à Hong Kong par le personnage de Beth Emhoff, interprété par Gwyneth Paltrow, le patient zéro dans le récit de Soderbergh.
On convoquera