(Re)lire au temps du confinement

Chroniques du ghetto – à propos de Robert Schindel, Edgar Hilsenrath, Josef Bor, Hélène Gaudy

Traductrice et enseignante, Critique

De tous les espaces de confinement possible, le ghetto est particulier au sens où il n’est pas un espace de ou pour le confinement, il est confinement. (Re)lisons Le mur de verre de Robert Schindel, Nuit d’Edgar Hilsenrath, le Requiem de Terezín de Josef Bor , ou encore Une île, une forteresse d’Hélène Gaudy. Ce dimanche, cela fera 77 ans que le ghetto de Varsovie s’est soulevé.

La chronique s’avère le genre le plus approprié à rendre compte de l’expérience du ghetto pour deux raisons principales. Elle suppose, d’une part, une certaine neutralité du narrateur qui doit se contenter de noter, de recueillir, pas tant pour être préservé de la dureté de ce qu’il observe que pour assumer sa fonction d’extériorité : le ghetto est structure fermée, espace de confinement, ce qui empêche un narrateur puissant et souverain d’y pénétrer, de passer jugement ou de sélectionner des données en laissant libre cours à ses sympathies ou à ses rancœurs. Grâce à ce positionnement distant, le chroniqueur peut rapporter tous les niveaux de réalité, du trivial au sublime, de l’horrible au plaisant, du gore au grotesque.

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D’autre part, la chronique déploie un rapport au temps spécifique qui accorde une égalité à tous les instants car elle plus attentive à la durée et à l’écoulement continu qu’à la rupture des événements, acceptant avec indifférence la répétition, la lenteur ou l’inaction. Elle rencontre ainsi la temporalité de l’enfermement et de l’exil, faite de tâtonnements, de reprises, d’apprentissages : « Les curieux événements qui font l’objet de cette chronique se sont produit en 194., à Oran », célèbre incipit de La Peste d’Albert Camus.

Lieux de l’envers urbain, lieux marginaux, lieux interdits, ghettos. Ces espaces, réels, sont aisément et souvent perçus dans une réélaboration fantasmée. Paradoxalement, alors qu’ils disent l’expulsion, ils subissent une transformation similaire à celle que les grands récits opèrent quant aux constructions nationales ou que le légendaire apporte à la mémoire des peuples. De même que la « Cour des miracles » ou la « zone » ont subi des transmutations favorables effaçant les sociologies sordides par la grâce d’un imaginaire tourmenté ou enchanteur, le XXe siècle a fait abandonner au ghetto la définition née de ses origines (Ghetto de Venise, Ghetto de Francfort) en tant que quartier réservé aux Juifs et relativemen


[1] Jean-François Lyotard, L’inhumain. Causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988, p. 214.

[2] Robert Schindel, Gebürtig, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1992.

[3] Robert Schindel, Le mur de verre, p. 285.

[4] Edgar Hilsenrath, Nacht, DTV, München, 2007, 646 p.

[5] Cité par Helmut Braun, in « Epilogue », Edgar Hilsenrath, Nacht, p. 641(trad. B. Nuselovici).

[6] Edgar Hilsenrath, Nuit, p. 90.

[7] Ibid., p. 542.

[8] Josef Bor, The Terezín Requiem, New York, Bard Book/Knopf, 1978, p. 11-12 (ma traduction).

[9] « Jour de colère, que ce jour-là / Où le monde sera réduit en cendres, / Selon les oracles de David et de la Sibylle. / Quelle terreur nous saisira / lorsque le Juge apparaîtra/pour tout juger avec rigueur ! »(Traduction : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dies_iræ)

[10] Ibid., p. 89.

[11] Hélène Gaudy, Une île, une forteresse. Sur Terezín, Arles, Babel/Actes Sud, 2017, p. 15.

Béatrice Gonzalés-Vangell

Traductrice et enseignante, Docteure en lettres et culture germaniques, enseignant-chercheur à l'Université d'Aix-Marseille

Alexis Nouss

Critique, Professeur en littérature générale et comparée

Rayonnages

LivresLittérature

Notes

[1] Jean-François Lyotard, L’inhumain. Causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988, p. 214.

[2] Robert Schindel, Gebürtig, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1992.

[3] Robert Schindel, Le mur de verre, p. 285.

[4] Edgar Hilsenrath, Nacht, DTV, München, 2007, 646 p.

[5] Cité par Helmut Braun, in « Epilogue », Edgar Hilsenrath, Nacht, p. 641(trad. B. Nuselovici).

[6] Edgar Hilsenrath, Nuit, p. 90.

[7] Ibid., p. 542.

[8] Josef Bor, The Terezín Requiem, New York, Bard Book/Knopf, 1978, p. 11-12 (ma traduction).

[9] « Jour de colère, que ce jour-là / Où le monde sera réduit en cendres, / Selon les oracles de David et de la Sibylle. / Quelle terreur nous saisira / lorsque le Juge apparaîtra/pour tout juger avec rigueur ! »(Traduction : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dies_iræ)

[10] Ibid., p. 89.

[11] Hélène Gaudy, Une île, une forteresse. Sur Terezín, Arles, Babel/Actes Sud, 2017, p. 15.